Arié Alimi et Vincent Lemire : « L’an­ti­sé­mi­tisme de gauche connaît une résur­gence incon­tes­table, mais il est instru­men­ta­lisé pour décré­di­bi­li­ser le Nouveau Front popu­laire »

Le Monde, 20 juin

La disso­lu­tion, déci­dée dimanche 9 juin par un Emma­nuel Macron plus soli­taire et verti­cal que jamais, a plongé le pays dans la sidé­ra­tion, avant de déclen­cher une mobi­li­sa­tion inat­ten­due des forces de gauche pour tenter d’em­pê­cher le pire. Le Nouveau Front popu­laire, son programme commun et ses candi­da­tures uniques, sont le résul­tat ines­péré de ce sursaut collec­tif. Pour­tant, depuis son offi­cia­li­sa­tion, un sujet empoi­sonne les débats et appa­raît comme le prin­ci­pal point faible sur lequel ses adver­saires ont prise : l’an­ti­sé­mi­tisme et la posi­tion française face à la situa­tion en Israël et à Gaza.

Ce talon d’Achille du Nouveau Front popu­laire, s’il est instru­men­ta­lisé ad nauseam par ses détrac­teurs, ne peut pas être écarté d’un revers de main, car c’est un sujet essen­tiel et même exis­ten­tiel pour une gauche préci­sé­ment rassem­blée aujourd’­hui au nom de ses plus hautes valeurs.

En tant qu’his­to­rien spécia­liste du conflit israélo-pales­ti­nien, en tant qu’a­vo­cat luttant contre les atteintes aux droits de l’homme, contre l’an­ti­sé­mi­tisme et toutes les formes de racisme, en tant que citoyens ayant voté aux élec­tions euro­péennes pour la liste Parti socia­liste-Place publique, nous voudrions poser ici quelques constats, rappels et prin­cipes afin que ce débat piégé cesse de para­si­ter une campagne élec­to­rale si brève et si déci­sive, et pour que d’autres enjeux puissent s’y épanouir.

Non, l’an­ti­sé­mi­tisme n’est pas « rési­duel » en France, il explose. (…) Clai­re­ment, le contexte tragique au Proche-Orient a donc été le carbu­rant morti­fère d’une haine antijuive débri­dée.

La gauche, aujourd’­hui rassem­blée pour contrer la menace xéno­phobe du Rassem­ble­ment natio­nal [RN], ne peut se détour­ner de ce combat prio­ri­taire, il y va de la cohé­rence du Nouveau Front popu­laire et de sa justi­fi­ca­tion même.

Non, il n’y a pas d’équi­va­lence entre l’an­ti­sé­mi­tisme contex­tuel, popu­liste et élec­to­ra­liste instru­men­ta­lisé par certains membres de La France insou­mise, et l’an­ti­sé­mi­tisme fonda­teur, histo­rique et onto­lo­gique du Rassem­ble­ment natio­nal, qui défend la préfé­rence natio­nale, dénonce les ressor­tis­sants bina­tio­naux et attaque l’« anti-France » depuis toujours et avec constance. Le premier, nous devons le combattre pied à pied, programme à l’ap­pui, sans bais­ser les yeux, en prenant les élec­teurs à témoin pour démon­trer que l’an­ti­sé­mi­tisme est la néga­tion même de nos valeurs communes. Le second, nous devons le battre, dans les urnes et dans l’ur­gence, pour éviter que la France ne renie son iden­tité répu­bli­caine en renouant avec les pires pages de son histoire.

L’his­toire, juste­ment, nous rappelle quelques véri­tés déran­geantes : en janvier 2012, Marine Le Pen parti­ci­pait, tout sourire, au bal annuel orga­nisé à Vienne par la « corpo­ra­tion panger­ma­niste », notoi­re­ment néona­zie. On nous dira qu’elle n’avait pas encore fina­lisé son reloo­king, soit. En 2022, elle célé­brait les 50 ans du Front natio­nal et ceux qui, en 1972, avaient su garder allu­mée la « flamme de la nation ».

Cette année-là, le vice-président du parti lepé­niste était un ancien mili­cien chas­seur de juifs pendant l’Oc­cu­pa­tion, son tréso­rier un ancien Waffen-SS et le bras droit de Jean-Marie Le Pen un néga­tion­niste assumé, éditeur du livre Six millions de morts le sont-ils réel­le­ment ? Histoires nauséa­bondes mais anciennes ? Oui et non : ces dernières années, les pres­ta­taires des marchés de commu­ni­ca­tion du RN se nommaient toujours Frédé­ric Chatillon et Axel Lous­teau, anciens mili­tants du Groupe Union Défense [dont la disso­lu­tion devait être « propo­sée » à Emma­nuel Macron, a annoncé Gérald Darma­nin, le ministre de l’in­té­rieur, le mercredi 19 juin] et piliers des mani­fes­ta­tions néofas­cistes et néona­zies à Paris. C’est en cela que Serge Klars­feld, figure de l’an­ti­na­zisme, fait naufrage en appe­lant à voter RN plutôt que pour le Nouveau Front popu­laire : oublieux de l’his­toire, il nour­rit la gros­sière mais super­fi­cielle « dédia­bo­li­sa­tion » du parti lepé­niste.

La déli­cate équa­tion histo­rique face à laquelle on se trouve aujourd’­hui peut fina­le­ment se résu­mer ainsi : la menace du RN est immé­diate, concrète et brutale ; le Nouveau Front popu­laire est la seule alter­na­tive élec­to­ra­le­ment crédible pour éviter qu’un parti ouver­te­ment xéno­phobe ne prenne le contrôle de nos insti­tu­tions ; l’an­ti­sé­mi­tisme de gauche connaît une résur­gence incon­tes­table ; cet anti­sé­mi­tisme est instru­men­ta­lisé pour décré­di­bi­li­ser le Nouveau Front popu­laire ; instru­men­ta­li­sa­tion qui renforce la menace du RN. Comment sortir de cette boucle morti­fère et y a-t-il des précé­dents histo­riques dont on pour­rait s’ins­pi­rer ?

(…)le Nouveau Front popu­laire est une coali­tion de forces diverses, la péda­go­gie qui l’ins­pire permet de faire progres­ser l’en­semble de ses parte­naires et a abouti à des enga­ge­ments précis : dans le contrat de légis­la­ture qu’ils ont signé, les candi­dats du Nouveau Font popu­laire condamnent les « massacres terro­ristes du Hamas », appellent à la « libé­ra­tion des otages », soulignent que « la parole et les actes racistes, anti­sé­mites et isla­mo­phobes se propagent dans toute la société » et proposent un « plan inter­mi­nis­té­riel pour préve­nir et lutter contre l’an­ti­sé­mi­tisme en France, notam­ment à l’école ».

(…)

L’his­toire nous regarde. Elle peut aussi nous inspi­rer. Repre­nons-nous !

Arié Alimi est avocat, vice-président de la Ligue des droits de l’homme. Il vient de publier Juif, français et de gauche… dans le désordre (La Décou­verte, 144 pages, 14 euros) ; Vincent Lemire est profes­seur d’his­toire à l’uni­ver­sité Paris-Est-Gustave-Eiffel, ancien direc­teur du Centre de recherche français à Jéru­sa­lem. Il a récem­ment publié Histoire de Jéru­sa­lem en bande dessi­née, avec Chris­tophe Gaul­tier (Les Arènes, 2022), et Israël-Pales­tine. Anato­mie d’un conflit avec Thomas Snega­roff (Les Arènes, 136 pages, 17 euros).

Arié Alimi (Avocat) et  Vincent Lemire (Histo­rien)

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