Le projet de résolution du député Didier Fasquelle et de plusieurs dizaines de parlementaires « invitant le gouvernement à imposer une prise en charge de l’autisme basée sur les recommandations de la Haute autorité de santé » (HAS), a été discuté au Parlement le 8 décembre dernier et il a été rejeté. Ce projet a suscité de nombreuses réactions et l’ensemble des pétitions qui ont circulé en opposition à ce projet ont rassemblé plus de 30 000 signatures.
Ce projet revenait à instaurer en matière d’autisme une science d’État qui viendrait formater la décision thérapeutique, niant que les connaissances scientifiques sont, en matière de psychiatrie et de connaissance des handicaps de l’enfant, très évolutives. Force nous est de constater que c’est devenu un enjeu électoral de la droite dure, dont Fillon est le représentant aux présidentielles.
L’argumentation de Fasquelle et de ses amis, reprise par certaines associations de familles, est simple : « puisque l’autisme est un un trouble neuro-developpemental la prise en charge scientifique, la seule possible, est éducative et rééducative, notamment la méthode ABA. Puisque c’est un trouble neuro-développemental toute approche psychiatrique de l’autisme est injustifiée donc nocive, d’autant plus que 85% des psychiatres sont des psychanalystes qui culpabilisent les familles dont je suis le porte-voix. Il y a urgence à interdire toute référence à la psychanalyse dans cette prise en charge, ce sous menace de poursuite pénale ». L’essentiel de l’argumentation est donc un argument d’autorité : « l’autisme est du domaine de la méthode ABA exclusivement comme c’est démontré scientifiquement ; comme les psys s’y oppose, sanctionnons les ».
Il n’y a pourtant aucun consensus scientifique ni sur le bilan ni les présupposés « scientifiques » de ces méthodes.
Le professeur de psychologie J.C. Maleval répond par exemple en novembre 2016 :
« Dans les méta-analyses, il est régulièrement constaté que plus de 50 % des enfants ne sont pas améliorés. Les travaux postérieurs à 2012 confirment que les améliorations de la cognition et des comportements obtenues par la plus performante de trois méthodes, l’ABA, sont « modérées », tandis que celles obtenues sur l’adaptation sociale et le noyau des troubles autistiques sont « faibles ».
– une expertise réalisée en février 2015 sur les 28 structures expérimentales françaises mises en place en 2010 et qui ont disposé de conditions très favorables pour mettre en œuvre la méthode ABA, grâce à des financements et des taux d’encadrement généreux indique qu’après quatre ans de prise en charge, 19 enfants sur les 578 admis étaient parvenus à sortir « vers le milieu ordinaire, incluant CLIS et AVS ». Le taux de réussite d’environ 3 % confirme ce qui fait consensus dans la littérature scientifique actuelle : les résultats de la méthode ABA concernant « l’adaptation sociale » sont « faibles ».
– Enfin, au niveau international, l’équivalent britannique de la HAS, la NICE, prône depuis 2013 des interventions psychosociales multidisciplinaires pour la prise en charge de l’autisme et ne fait plus mention de la méthode ABA. »
Lors du débat à l’Assemblée nationale, le député PS D. Robiliard a repris des arguments de ce type concernant la problématique de l’autisme.
il n’existe aucune vérité totale révélée, dans un domaine où seule une pensée complexe peut être éclairante pour les pratiques. La recherche ne peut qu’être pluridisciplinaire, et la pratique professionnelle en relation avec les besoins de l’enfant.
Des familles d’enfants avec autisme : toutes derrière D. Fasquelle ?
C’est la thèse que certains tentent de faire croire. Bien sûr, pour les parents d’enfants autistes il y a une grande souffrance et un grand désarroi, d’abord et avant tout face au manque de structures de prise en charge. Des mois d’attente pour espérer une admission, c’est la première des réalités. Vraiment, le constat est accablant : la souffrance des familles et des autistes eux-mêmes, qui sont confrontés encore trop souvent au manque d’écoute, d’empathie et de soutien dans leurs démarches. Les personnes avec autisme disposent trop rarement des prises en charge diversifiées qui devraient être accessibles partout. Et cela s’accompagne de la souffrance des soignants qui ne disposent pas des moyens d’exercer humainement et correctement leur mission leur métier.
C’est sur ce terrain que depuis quelques années un lobbying intense de certaines associations de familles, s’est développé avec succès, auprès de l’HAS et de ministres dits socialistes pour imposer une vision d’un soin purement comportemental.
Mais d’autres associations telle que « La main à l’oreille » se sont mobilisés pour « défendre le droit de choisir le mode d’éducation et de prise en charge qui convient à leur enfant autiste » et affirment avec force cette réalité : « il n’y a pas un autisme, mais des autismes, et que la restriction des choix thérapeutiques ne peut en aucun cas être considérée comme une voie de progrès ». Ces familles qui affirment que les hôpitaux de jour, les prises en charge multiple sont utiles à leur enfant sont l’objet d’ « intimidation » par les promoteurs de la méthode ABA : ils sont accusés de sacrifier leurs enfants par aveuglement idéologique. Ne serait-ce pas là aussi une terrible culpabilisation des parents?
Le député François Asensi a très justement déclaré au Parlement :
« S’il ne revient pas au législateur de prendre parti dans des débats scientifiques, l’État doit en revanche prendre toutes ses responsabilités pour assurer la bonne prise en charge des personnes atteintes de handicap, au nombre desquelles les personnes autistes. Or, sur ce point, notre système de prise en charge du handicap est largement défaillant.
Ainsi, selon les dernières estimations, 47 500 personnes handicapées sont toujours en attente d’un accompagnement de proximité, et 6 500 autres sont encore accueillies en Belgique via un financement de la Sécurité sociale, faute de solution adaptée en France. Le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale n’apporte d’ailleurs pas de solutions nouvelles aux personnes handicapées et à leurs familles.
S’agissant plus particulièrement de la prise en charge des enfants autistes, l’insuffisance des moyens financiers mobilisés par les pouvoirs publics n’a fait que renforcer les injustices dont les familles sont victimes. Bien que des progrès aient été accomplis en termes de diagnostic et d’accompagnement depuis la reconnaissance, en 1995 seulement, de l’autisme comme handicap, les attentes des familles demeurent immenses. Au-delà des conséquences personnelles et professionnelles que cela peut engendrer pour les parents, ces familles sont victimes de l’insuffisance des financements publics. (…)il est urgent de prendre des mesures pour répondre aux attentes des familles en matière de prise en charge de l’autisme et, plus largement, des différentes formes de handicap. Nous ne pouvons en rester aux solutions décidées dans le cadre du troisième Plan Autisme, lequel prendra fin cette année : selon moi, elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. »
Si les carences du service public de psychiatrie et du secteur médico-social sont criantes, c’est dû en large partie à la volonté étatique de transformer les lieux de soins en nouveaux lieux de relégation, comme Sarkozy le voulut avec insistance, ainsi qu’à la politique de restrictions budgétaires. A l’austérité maintenue et exacerbée, M Fasquelle et ses amis LR et autres se proposent, parvenus aux marches du pouvoir, d’ajouter une doctrine scientifique d’État et une doctrine psychothérapique d’Etat! Cela nous rend d’autant plus sensibles aux graves carences dans les prises en charges et accompagnements, aux souffrances générées chez les personnes avec autisme et leurs familles.
L’expérience clinique et éducative montre au contraire qu’elle doit associer les compétences des différents protagonistes, les personnes porteuses d’autisme elles-mêmes, leur entourage, et les soignants, ceux en tout cas qui sont prêts à partager les difficultés de cette entreprise.
En effet les professionnels ont expérimenté et développé depuis de nombreuses années la pluridisciplinarité, en mixant différentes approches et différentes ‘’techniques’’ qui donnent des résultats (PSY, orthophonie, psychomotricité, éducateurs) et en cherchant à favoriser l’intégration scolaire, la diversité des pratiques de soins, leur dialectique, est à préserver, en cette période de grande régression organisée pour transformer le soin en stricte marchandise sous contrôle d’État. C’est une lutte au long cours dont l’objectif est la liberté de penser le soin, dans la société avec les familles et les entourages des personnes.
Un ordre moral néolibéral, autoritaire et réactionnaire.
Dans la suite des lois « HPST » et « Moderniser notre système de santé » ce projet Fasquelle vient éclairer ce que signifient les restructurations et mutualisations incessantes du système de santé publique : il s’agit de le dépecer au profit d’associations reconnues comme « d’intérêt public » ou privées. L’autisme est ici le prétexte à cette offensive. Si la psychanalyse est un axe d’attaque, c’est en réalité un prétexte idéologique pour s’attaquer à la psychiatrie en général. C’est une antipsychiatrie d’un type nouveau, scientiste et autoritaire sans lien avec quelque pensée d’émancipation, qui se développe au plus haut niveau.
Les mises au pilori de la psychanalyse, fréquentes et illustrées par Michel Onfray, traduisent un malaise dans la société et les risques des « retours en arrière » : l’inquiétude du présent faisant apparaître les cauchemars d’avant hier comme rassurants… La « réaction » ou, si on veut « la restauration » (Gramsci). Le conformisme au travail contre le souci de réaliser d’autres productions et d’autres vies, la famille plutôt que la remise en jeu des rapports sociaux de sexe, la guerre qui délimite un ennemi pour assurer une cohésion d’une société obéissante aux gouvernants. La gouvernance, avec une démocratie restrictive et disciplinée, appelle une mise en ordre des sentiments, des pensées, des spiritualités religieuses au lieu de la liberté des imaginations.
La haine pour ce qui représente une ouverture donnant un pouvoir aux interrogations manifeste que, pour ces réactions, il y a là un adversaire à affronter.
Mesurons les enjeux. En commençant, pour ce qui concerne la psychiatrie, par donner place au refus de sa fonction adaptative là où il y a traitement de sujets porteurs de créativité, mais enfermés dans leurs retraits du monde quelle qu’en soit la forme ou la nature. C’est exactement l’objet du travail psychothérapique et institutionnel comme traitement de base de l’institution psychiatrique qui échappe à la seule médicalisation par l’enfermement. La psychanalyse ou la phénoménologie sont ici des outils de pensée de ce qui fait relation soignante, pas un traitement d’une maladie en soi.
C’est bien cette approche qui, au nom de l’efficience néolibérale, est combattue comme non évaluable et rentable. La mobilisation contre la volonté d’une science d’État en manipulant la situation de l’autisme avait et a aussi cet enjeu.
Le projet Fasquelle annonce la volonté de les faire disparaître et de les réprimer, et ce n’est pas son rejet à l’Assemblée nationale qui va éteindre cette détermination qui associe réaction et néolibéralisme. Psychanalyse et psychothérapie institutionnelle sont au contraire traversées par le refus de ce nouveau conformisme, mais cette critique est malheureusement aujourd’hui devenue une pensée minoritaire.
Les associations de patients et de familles sont divisées sur cette question de la nature du trouble psychique, souvent en fonction du type de soignants qu’elles rencontrent, donc avec des revendications légitimes qui donnent forme à des associations aux finalités différentes. Cela nécessite de plus amples informations sur ce qu’elles sont, en repérant leurs possibles instrumentalisations.
En conclusion immédiate, un débat est ouvert qui, loin d’installer on de sait quelle division, nécessite de se poursuivre y compris avec des textes contradictoire. L’intérêt d’un site, et pourquoi pas celui d’Ensemble !, est de porter des débats vivants qui traitent de ce qui se passe dans la société, un consensus éventuel s’affirmant quand c’est possible.
Pascal Boissel, Pierre Cours-Salies, Jean-Pierre Martin, Bruno Percebois
Le13/12/2016