Calais, vitrine inter­na­tio­nale de la maltrai­tance faite aux migrant.e.s par l’État français

Un lien vers une asso­cia­tion soli­daire de Calais et du nord. Puis un article « Calais, rien de l’autre ne m’est étran­ger »

http://www.psmi­grants.org/site/

 

Florence Prud­homme : Calais, rien de l’autre ne m’est étran­ger

Avec l’ai­mable auto­ri­sa­tion de l’au­teure
et de la revue ContreTemps

Florence Prud­homme : Calais, rien de l’autre ne m’est étran­ger

Un adoles­cent afghan est absorbé par les puzzles de l’école ; il en fait un, puis deux, trois, quatre et il en commence un cinquième. Rassem­blant les morceaux de sa vie volée en éclats, volée tout court. Recons­trui­sant patiem­ment un paysage, un visa­ge… Ses gestes recréent un espace, un habi­tacle, une rêve­rie. Pas de langue commune, tout passe par le regard. Autour de lui de très jeunes enfants se nomment et donnent leurs prénoms à celles qui les entourent.

Dehors la réalité est insou­te­nable. Oui, c’est comme ça, sur « la jungle ». Une réalité mons­trueuse, indigne, inhu­maine. Les tentes sont renver­sées par le vent, déchique­tées, inon­dées, elles claquent, s’en­volent : leurs habi­tants, femmes, hommes et enfants, circulent avec une couver­ture sur le dos. Ils ont faim, reçoivent au « mieux » un repas par jour ; ils ont froid, très froid ; ils sont trem­pés par la pluie fréquente, inces­sante, et trans­per­cés par le vent glacial. Ils sont déses­pé­rés, avec comme seule issue – de plus en plus impro­bable – de tenter aller en Angle­terre, au risque de leur vie. Sans autre choix, ni espoir. La faim et le froid suscitent des querelles, parfois violentes. Elles éclatent pour le vol d’une planche, utili­sée pour se réchauf­fer un instant. La faim et le froid renforcent les tensions, les démul­ti­plient. Les réfu­giés sont à bout. L’ul­time fron­tière est deve­nue infran­chis­sable. Le passage est hermé­tique­ment bouclé. Leur desti­née perd son sens. La direc­tion qu’ils ont suivie coûte que coûte est une impasse.

Une tenta­tive de déshu­ma­ni­sa­tion est menée déli­bé­ré­ment. L’hu­mi­lia­tion est perma­nente. À leurs dires, elle est pire que tout ce qu’ils ont connu au cours du périlleux périple qui les a conduits jusqu’à Calais, rêvé comme l’ul­time desti­na­tion avant l’An­gle­terre. Des condi­tions sani­taires déplo­rables, points d’eau et toilettes en nombre déri­soire. À quoi il faut ajou­ter l’in­ter­dic­tion récente d’ac­cès à la piscine du centre Icéo, à Calais – où il faut désor­mais présen­ter une pièce d’iden­tité et une justi­fi­ca­tion de domi­cile. Des épidé­mies se déve­loppent. Les condi­tions empirent au fil des semaines et des mois. Elles sont aggra­vées par les forces de police qui entravent systé­ma­tique­ment la distri­bu­tion de l’aide – rues inter­dites de passage ou de station­ne­ment, PV, hosti­lité affi­chée et expri­mée. Le soir, il n’est pas rare qu’un incen­die se propage. Dans la nuit du samedi 21 novembre, le quar­tier des Érythréens sur «  la jungle  » a été dévasté, des dizaines d’abris et de tentes ont été détruites, trois personnes bles­sées. Pour les soins, il faudra attendre. La clinique de Méde­cins du monde est fermée depuis le 17 novembre. Une perma­nence médi­cale sera assu­rée au Centre Jules Ferry, 10–14 h pour les hommes, à partir de 15 h pour femmes et enfants. Horaires terri­ble­ment mini­ma­listes par rapport aux besoins.

L’État a fait appel après les obli­ga­tions contrai­gnantes, pres­crites lors du référé-liberté intro­duit par Méde­cins du monde et le Secours catho­lique. Il vient d’être de nouveau condamné par le juge des réfé­rés du Conseil d’État. Le juge consi­dère en effet que «  la carence des auto­ri­tés publiques expose des personnes à être soumises, de manière carac­té­ri­sée, à un trai­te­ment inhu­main ou dégra­dant, portant ainsi une atteinte grave et mani­fes­te­ment illé­gale à une liberté fonda­men­tale  ».

Au milieu de ce bour­bier inha­bi­table et inhos­pi­ta­lier, sur cette lande déchi­rée par la tempête et la misère, quelques îlots d’es­poir patiem­ment créés et construits par les migrants et les béné­voles (le plus souvent anglais). L’Au­berge des migrants, immense entre­pôt, est une ruche où de jeunes Anglais s’af­fairent. Ils apportent les dons (vête­ments, couver­tures, nour­ri­ture), les distri­buent. En apportent de nouveau. L’Ash­ram restau­rant distri­bue des centaines de repas chauds chaque jour. Les construc­teurs et les char­pen­tiers construisent des abris faits de palettes. L’école laïque du chemin des dunes, créée par Zimako, est animée par des béné­voles qui donnent des cours de français, d’an­glais, et une assis­tance juri­dique en matière de droit d’asile. La petite tente du début a été rempla­cée par deux salles spacieuses, l’une pour les enfants, l’autre pour les adultes. Une infir­me­rie, voulue par Zimako, est en cours de construc­tion. Mary a créé la Jungle books, une biblio­thèque avec des diction­naires des prin­ci­pales langues – arabe, kurde, pashto, dari, tigri­gna. Liz a ouvert la maison des femmes… D’autres lieux surgissent : des disco­thèques, une église et des mosquées, des commerces, un théâ­tre… Une expo­si­tion, instal­lée à diffé­rents points de «  la jungle  », concerts et parcours d’art se tien­dront du 17 au 20 décembre, à l’ini­tia­tive d’Al­pha qui a créé l’école des arts et métiers. À suivre sur Art in the jungle. Des initia­tives surgissent : celle de Gil Galasso, maître d’hô­tel et meilleur ouvrier de France (2003). Fils d’im­mi­grés, il est inspiré par l’exemple de son grand-père venu d’Ita­lie en 1930 pour parti­ci­per au déblaie­ment lors de la crue de la Garonne. Il a donné durant une semaine des cours d’hô­tel­le­rie à une dizaine de migrants. Cinq d’entre eux pour­suivent leur forma­tion, espé­rant un contrat solide dans un secteur qui est le premier en matière de créa­tion d’em­plois. «  Parmi ces migrants, il y avait des ingé­nieurs et des étudiants. J’ai presque eu honte de leur propo­ser mes cours.  »

Je rêve de maisons collec­tives – des foyers, des maisons de quar­tier –, disper­sées dans «  la jungle  ». Récon­for­tantes. Être ensemble, boire un thé, bavar­der. Jouer aux cartes, faire des puzzles, écou­ter de la musique. Parler, être enten­dus, accueillis, respec­tés. Rece­voir une écoute atten­tive face aux besoins qui se disent, aux urgences psychiques, aux attentes. Je pense aux « Maisons pour tous » construites après le tsunami au Japon, à la biblio­thèque publique d’Ot­tawa, qui accueille les migrants avec bien­veillance, à la « Maison de quar­tier » de Kigali construite avec et pour les resca­pées du géno­cide des Tutsi… Répa­ra­tion, urgences, secours, recons­truc­tion de soi. Les réfu­giés et les migrants ont subi un quadruple trau­ma­tisme. Celui qu’ils ont connu dans leur pays d’ori­gine : guerre, massacres, morts, tortures, empri­son­ne­ments. Celui qu’ils ont connu au cours d’un périple mons­trueux, parcou­rant des milliers de kilo­mètres, sur mer ou sur terre. Celui qu’ils ont connu en arri­vant à leur desti­na­tion finale, en Europe, dans des lieux de non-droit, de sous-nutri­tion, d’in­sa­lu­brité, d’in­hu­ma­nité. Celui qu’ils connaissent main­te­nant, avec les amal­games savam­ment entre­te­nus entre réfu­giés et terro­ristes, avec la peur quoti­dienne des violences poli­cières, avec les place­ments dans des centres de réten­tion admi­nis­tra­tive où ils sont conduits pour «  désen­gor­ger  » «  la jungle  » – un abus, «  une utili­sa­tion détour­née de la procé­dure qui entraîne des atteintes graves aux droits fonda­men­taux des personnes  », dûment consta­tée par la Contrô­leure géné­rale des lieux de priva­tion de liberté (CGLPL). Ils sont emme­nés loin de Calais.

Mille cinq cents personnes seront logées dans le camp que l’État construit. Comment seront-ils choi­sis ? Qu’ad­vien­dra-t-il des autres ?

Florence Prud­homme, 10 décembre 2015

Florence Prud­homme a créé la Maison de quar­tier à Kigali, elle est l’au­teur de Rwanda, l’art de se recons­truire (éditions ateliers henry dougier).

soli­da­ri­te­ca­lais@g­mail.com

Florence Prud­homme, auteure de « Rwanda, l’art de se recons­truire » ; Biblio­thèque vivante/Calais

« Rien de l’autre ne m’est étran­ger » est paru sur le blog Media­part de F. P.

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