Pierre Laurent monte sur scène. Dans une interview au Parisien, le secrétaire national du Parti communiste annonce qu’il a décidé de se présenter aux régionales en Ile-de-France alors qu’il avait écarté cette idée quelques semaines plus tôt. Son argument : « Les communistes m’ont désigné comme leur chef de file car nous estimons possible de construire un projet « l’Ile-de-France en commun », à l’image de ce qui s’est fait à Barcelone, avec une liste faisant converger des forces politiques et citoyennes. »
Pierre Laurent explique que cette démarche s’adresse « à l’ensemble du Front de gauche et à toutes les forces disponibles » et met en avant son souhait de voir cette liste « portée par un duo paritaire avec Clémentine Autain ». Libération a donc interrogé la porte-parole d’Ensemble, troisième force du Front de gauche, à ce sujet.
Comment avez-vous réagi à la candidature de Pierre Laurent ?
Avec surprise. Comme Pierre Laurent avait démenti une telle hypothèse avec des arguments fondés, je ne m’attendais pas à cette candidature. Mais tout le monde a le droit de changer d’avis. Et Pierre Laurent a toute légitimité pour être désigné par son parti, le PCF, comme chef de file. Sa candidature en tête d’une liste commune n’a en revanche pas été décidée par l’ensemble des forces que nous devons rassembler, par toutes celles et ceux qui entendent construire une alternative de gauche à la politique gouvernementale. Cette désignation doit être le fruit d’un processus collectif et non d’un coup de force. Je note que les communistes franciliens ne se sont d’ailleurs prononcés que sur la désignation de Pierre Laurent comme chef de file du PCF.
Il faut maintenant réunir les composantes du Front de gauche, les éventuels partenaires, les espaces citoyens qui souhaitent agir avec nous et les personnalités qui veulent porter une ambition neuve, sociale et écologiste, pour l’Ile-de-France. Cette étape est indispensable pour créer une dynamique en lieu et place de la discorde. Si l’on ne se ressaisit pas pour mettre notre énergie au service du rassemblement, de l’action, de l’ouverture sur la société et de l’invention, nous n’irons pas loin. Celles et ceux qui paient le prix fort des politiques régressives ont besoin de cet élan, de ce signal de responsabilité et de mise en mouvement.
Pierre Laurent met en avant le souhait des communistes de voir cette liste « portée par un duo paritaire » avec vous. L’idée vous plaît ?
Je suis volontaire pour m’engager dans cette campagne mais à la condition que notre liste soit porteuse d’unité large et de renouveau. A ce stade, je constate que la candidature en tête de liste de Pierre Laurent et le binôme proposé par le PCF ne font pas consensus. D’ailleurs, avec Ensemble, nous n’avons pas donné notre accord pour une telle configuration. L’idée d’un binôme n’est peut-être pas la bonne solution dans ce que l’on appelle la région-capitale. Le Parti de gauche ne saurait être ainsi marginalisé. Mais la discussion n’est pas close, elle s’ouvre. Je veux croire que la raison l’emportera. Vivement que nous parlions plutôt de la métropole technocratique et inégalitaire qui se prépare derrière notre dos, de la préservation du Parc de la Courneuve, de l’amélioration des transports ou de la justice fiscale en Ile-de-France…
Jean-Luc Mélenchon tacle le secrétaire national du Parti communiste. Il a déclaré : « Il est déjà président du Parti de la gauche européenne, du PCF et sénateur. Il n’a pas compris que si Podemos existe, c’est en réaction au fait qu’en Espagne, l’autre gauche était trop sous l’emprise des communistes. » Etes-vous d’accord avec lui ?
Les dégâts suscités par l’austérité sont plus profonds en Espagne qu’en France. Les Espagnols ont connu un mouvement social inédit, celui des Indignés. Leur passé récent de lutte contre le régime de Franco rend plus difficile les percées de l’extrême droite. Malgré ces différences, je partage l’idée que nous devons nous inspirer de Podemos comme de Syriza. Et je constate que ces forces comptent de très nombreux communistes en leur sein ! La démocratie, la justice sociale, la dignité du peuple nous animent. Nous devons construire une force nouvelle porteuse de rupture avec la logique infernale de réduction des dépenses publiques, de destruction des acquis sociaux, de soumission à la finance comme à la Troïka.
Cette force ne peut se bâtir autour d’un parti mais doit être le fruit d’une mise en commun inédite associant des courants politiques du Front de gauche, d’EE-LV, de la gauche du PS, du NPA, mais aussi des mouvements sociaux, des personnalités intellectuelles et culturelles. Elle doit s’ouvrir franchement aux citoyennes et citoyens. Elle doit répondre au profond besoin de renouvellement des pratiques politiques comme des visages qui l’incarnent. Podemos a d’abord réussi parce qu’il est apparu comme un espace politique inédit et tranchant. Prenons-en de la graine !
Pierre Laurent était déjà le candidat du Front de gauche en 2010, pourquoi devrait-il l’être en 2015 ?
C’est à lui qu’il faut poser la question.
Ces régionales, notamment les tensions en Ile-de-France, peuvent-elles conduire à la fin du Front de gauche ?
Je ne le souhaite pas et ne veux pas y croire. Ce serait suicidaire pour tous. Nous devons trouver la voie de l’unité, et pas seulement de l’unité entre nous, composantes du Front de gauche, même si c’est un premier pas indispensable. La force à construire désormais doit être bien plus large.
Craignez-vous que Mélenchon lâche le Front de gauche pour faire cavalier seul en 2017 ?
Je ne vois pas quel intérêt aurait Jean-Luc Mélenchon à se couper des forces qui ont porté avec succès sa candidature en 2012.
Comment expliquez-vous que les tous représentants du Front de gauche et écolos rêvent de construire un nouveau mouvement, une nouvelle formation citoyenne mais que vous êtes incapables de vous réunir autour d’une candidature, d’un projet commun ?
Figurez-vous que c’est une question que je me pose tous les jours ! Il y a évidemment plusieurs facteurs d’explication, non réductibles à la querelle des egos, même si elle existe. Structurellement, les organisations politiques ont davantage tendance à persévérer dans leur être qu’à se fondre dans une dynamique qui les dépasse. Par ailleurs, nous manquons d’impulsion populaire, d’un grand mouvement social pour bousculer les routines. Mais à l’échelle de l’histoire de notre pays, je n’ai jamais pensé qu’une telle recomposition se ferait en deux coups de cuillère à pot. La mise en commun, la confiance, la prise de conscience de la nécessité de se dépasser, cela prend du temps. Mais je n’oublie pas la vitesse avec laquelle ont percé Syriza et Podemos. Cela pourrait nous arriver bien plus vite que l’on ne le croit !