Clémen­tine Autain: « Notre culture favo­rise les passages à l’acte violents contre les femmes »

L’af­faire Nico­las Hulot.

« la remise en cause de la culture poli­tique de la préda­tion peut deve­nir un authen­tique bien commun »

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/08/clemen­tine-autain-notre-culture-poli­tique-favo­rise-les-passages-a-l-acte-violents-envers-les-femmes_6105107_3232.html


Texte daté du 8 décembre:

Tribune.

Je m’étonne de tant d’éton­ne­ments. Le #metoo poli­tique, appe­lant à « écar­ter les auteurs de violences sexuelles et sexistes » de la vie poli­tique[tribune parue dans Le Monde du 16 novembre] a enclen­ché une vague de stupé­fac­tion qui traduit une drama­tique incom­pré­hen­sion.

Comment igno­rer que notre culture poli­tique favo­rise les passages à l’acte violents envers les femmes ? Déjà en 2011, les commen­ta­teurs se succé­daient pour expri­mer leur incré­du­lité devant l’af­faire Domi­nique Strauss-Kahn. On s’en souvient, il n’y avait « pas mort d’homme » [selon l’an­cien ministre Jack Lang], et si le patron du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal avait « sauté une femme de chambre, ça ne nous regard[ait] pas »[d’après le jour­na­liste Olivier Maze­rolle].Comme je l’avais vigou­reu­se­ment dénoncé, l’in­vi­sible victime, Nafis­sa­tou Diallo, n’avait droit à aucun mot de compas­sion, à de très rares expres­sions près. Dix ans plus tard, la défer­lante #metoo étant passée par là, les femmes qui ont témoi­gné contre Nico­las Hulot reçoivent davan­tage de consi­dé­ra­tion et d’em­pa­thie. Mais les expres­sions d’ef­fa­re­ment sont toujours là, comme s’il était si diffi­cile d’ima­gi­ner qu’un homme de pouvoir puisse ainsi violen­ter des femmes.

Nous devrions pour­tant le savoir : héri­tage histo­rique et pratiques cultu­relles nour­rissent les violences sexuelles dans le monde poli­tique. Contrai­re­ment aux idées reçues, le haut niveau d’édu­ca­tion et d’in­té­gra­tion des codes bour­geois ne prému­nit aucu­ne­ment de la préda­tion sexiste. Le monde poli­tique est même façonné par une symbo­lique et des codes sociaux qui tissent une toile de fond propice à l’op­pres­sion des femmes.

Rapport de dépen­dance

Autre­fois parce qu’elles en étaient formel­le­ment exclues, aujourd’­hui, puisque ce sont les hommes qui tiennent encore pour l’es­sen­tiel les rênes des appa­reils, des postes et des déci­sions, l’ac­cès des femmes à la poli­tique passe par leurs rela­tions aux hommes. Ce rapport de dépen­dance est à la fois très concret et profon­dé­ment ancré dans nos imagi­naires. L’entre-soi mascu­lin relève de la simple repro­duc­tion sociale et le costume du leader poli­tique reste cali­bré pour la viri­lité. Possé­der des femmes fait partie de la pano­plie d’un homme de pouvoir digne de ce nom.

Bien placé pour nous rappe­ler les pesan­teurs réac­tion­naires, Eric Zemmour écrit dans son dernier livre que « dans une société tradi­tion­nelle, l’ap­pé­tit sexuel des hommes va de pair avec le pouvoir ; les femmes sont le but et le butin de tout homme doué qui aspire à grim­per dans la société ». Et souvent, la domi­na­tion d’un sexe sur l’autre se double de celle de l’âge de la matu­rité sur la jeunesse. La litté­ra­ture regorge de récits en ce sens, et la réalité d’exemples concrets.

Même si elles se trouvent ébran­lées par les vagues fémi­nistes, nos repré­sen­ta­tions sont façon­nées par cet ordre des choses. Que les hommes de pouvoir attirent les femmes, c’est l’évi­dence. Faut-il rappe­ler combien les normes en matière de séduc­tion et de sexua­lité sont construites autour du binôme homme actif-femme passive ? Non seule­ment le statut des leaders poli­tiques, loca­le­ment ou natio­na­le­ment, dans les médias ou dans la hiérar­chie du parti, est éroti­sant pour les femmes, mais une rela­tion avec eux consti­tue aussi un moyen d’ac­cé­der à ce pouvoir qui leur est par ailleurs refusé. Comment dès lors se dire stupé­fait que des hommes en profitent en prenant les femmes pour un dû, presque un droit, comme s’ils se prou­vaient en les soumet­tant qu’ils sont irré­sis­tibles, invin­cibles ?

Un coup de pied dans la four­mi­lière

C’est ainsi que des femmes se sentent et se trouvent piégées, à l’ins­tar de celle accu­sant Nico­las Hulot de l’avoir violée sous l’ef­fet de la sidé­ra­tion lorsqu’elle était adoles­cente, alors qu’elle était impres­sion­née de prendre un verre avec son idole. Confronté à ces accu­sa­tions, l’in­té­ressé ose depuis ironi­ser : « Je sais que j’ai un physique très ingrat et que seule la contrainte me permet de vivre des histoires d’amour. »

Dans ce contexte, la parole des victimes de violences sexuelles, que je salue du fond du cœur pour leur courage, est aussi essen­tielle qu’ir­rem­plaçable. « Pour un #metoo poli­tique » a égale­ment mis un coup de pied salu­taire dans la four­mi­lière. La balle est renvoyée aux partis char­gés de faire le ménage, si l’on peut dire. Même s’ils ne peuvent pas se substi­tuer à la justice et que les formes de cette inter­ven­tion posent des ques­tions, oui il le faut, ils le doivent !

« Le pouvoir poli­tique doit cesser d’être confondu avec la posses­sion et la sujé­tion »

Nous ne nous en sorti­rons pas seule­ment en ciblant des cas indi­vi­duels rele­vant de crimes et délits, même si c’est une étape fonda­men­tale. Nous devons aller à la racine du mal. Une mise à jour anti­sexiste est indis­pen­sable pour en finir avec les violences sexuelles en poli­tique. Ici comme ailleurs, il existe un conti­nuum entre les rappels quoti­diens à l’ordre des sexes et les actes de violences sexuelles. Mais ici plus qu’ailleurs, le pouvoir tel qu’il a été façonné, par les hommes et pour les hommes, est de nature à favo­ri­ser les violences sexuelles.

C’est pourquoi nous devons aussi revi­si­ter la concep­tion de l’exer­cice du pouvoir dont le viri­lisme est une carac­té­ris­tique majeure. Et ce d’au­tant que la fameuse « zone grise » [entre le consen­te­ment et le viol] fait partie du problème et n’a pas de solu­tion devant les tribu­naux. De plus, les femmes en poli­tique peinent à dénon­cer ce qu’elles vivent, ce qu’elles savent, tant parler peut être vécu comme une contri­bu­tion à affai­blir sa propre famille poli­tique ou la promesse d’une mise à l’écart du parti voire de la vie poli­tique.

Récur­rence d’hu­mi­lia­tions

Ce qu’il nous faut atteindre, c’est toute la chaîne des compor­te­ments qui favo­risent le passage à l’acte violent. Ce travail relève de l’in­tros­pec­tion d’un ensemble de normes, de propos, de gestes qui confortent jour après jour la puis­sance des hommes et l’in­fé­rio­rité des femmes en poli­tique. C’est cette récur­rence d’hu­mi­lia­tions, de mises à l’écart, de renvois à notre statut de mère ou d’objet sexuel qui rend possible voire facile le harcè­le­ment, l’agres­sion, le viol.

Le pouvoir poli­tique doit cesser d’être confondu avec la posses­sion et la sujé­tion. Pour y parve­nir, la soro­rité est un atout essen­tiel mais les hommes poli­tiques devraient, à mon sens, prendre à bras-le-corps le sujet et être plei­ne­ment acteurs de cette révo­lu­tion fémi­niste. Or, force est de consta­ter le trop de silences, de déni, de compli­ci­tés mascu­lines. Je veux croire qu’au moins dans notre gauche qui défend les huma­ni­tés, l’éman­ci­pa­tion et le partage des pouvoirs, la remise en cause de la culture poli­tique de la préda­tion peut deve­nir un authen­tique bien commun.

Clémen­tine Autain est dépu­tée La France insou­mise (LFI) de Seine-Saint-Denis.

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