Le résultat du premier tour des élections départementales le montre : le Front de gauche n’est pas parvenu à incarner une alternative de gauche aux politiques néolibérales. Pourquoi ce que Syriza réussit en Grèce et ce que Podemos pourrait réussir en Espagne semble-t-il impossible en France ?
Il est clair que le Front de gauche n’a pas su prolonger l’élan né en 2012 autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Le PCF et le Parti de gauche, nos deux principales composantes, se sont enfermés dans un tête-à-tête qui a paralysé notre fonctionnement. Le refus des adhésions directes au Front de gauche a empêché l’implication de nouveaux militants. Le travail de refondation, sur le projet politique comme sur les pratiques militantes, n’a pas eu lieu. Les habitudes héritées de quatre décennies d’union de la gauche n’ont pas permis d’opérer la coupure nécessaire avec la majorité actuelle du PS.
Par ailleurs, et c’est crucial, nous n’avons pas connu de grandes mobilisations populaires comme en Espagne ou en Grèce. Pour toutes ces raisons, le Front de gauche reste trop identifié aux vieilles recettes, et c’est le FN qui est perçu comme la force inédite, capable d’apporter une rupture avec le système actuel.
Que proposez-vous ?
Le moment est venu de créer un mouvement neuf, beaucoup plus large politiquement et socialement. Ce que j’appelle de mes vœux, c’est un Syriza à la française, rassemblant tous ceux qui, dans la société française, aspirent à la transformation sociale et écologique. Au plan politique, ce mouvement devra réunir les trois composantes actuelles du Front de Gauche (le PCF, le Parti de Gauche et le mouvement auquel j’appartiens, Ensemble) avec Europe Ecologie-les Verts, Nouvelle Donne ou ceux des frondeurs qui combattent la politique de Manuel Valls et souhaitent une nouvelle gauche.
Si Syriza est devenu le premier parti de Grèce, si Podemos réussit en Espagne, c’est parce que ces forces politiques ont su se dissocier nettement du Pasok et du PSOE. Prenons-en de la graine.
Une responsabilité historique
N’est-il pas paradoxal de préconiser une rupture radicale avec le PS lorsque l’on a soi-même participé à un gouvernement socialiste, comme Jean-Luc Mélenchon, ou à une équipe municipale dirigée par le PS, ce qui fut votre cas avec Bertrand Delanoë à Paris ?
Ce n’est pas nous qui avons tourné le dos aux valeurs fondatrices de la gauche, c’est le PS. Leurs leaders n’ont plus que les mots « compétitivité » ou « gouvernance » à la bouche, leurs mots ne sont plus ceux de la gauche. Le lien est rompu avec les catégories populaires. Ecoutez ce qu’a dit Macron pour défendre sa loi de libéralisation de l’économie : « Il faut des jeunes qui aient envie d’être milliardaires. » Depuis quand, à gauche, pense-t-on que le désir d’argent peut fonder une société émancipatrice ? Macron est à l’image de cette génération montante au PS : aucun cheveu ni aucune idée ne dépassent.
Nous, nous voulons enrayer les inégalités sociales et territoriales, développer les biens communs, étendre les droits, changer de République. Loin des politiques d’austérité et de la logique du profit, nous voulons investir dans la transition énergétique, l’éducation, la culture, la santé, la vitalité associative. C’est la clé contre le chômage. Modifier les finalités de l’économie, c’est redonner du sens, du concret au vivre-ensemble.
Le PS y a renoncé. Nous assistons à une rupture historique dans son histoire, comparable à celle du Labour avec Blair ou du SPD avec Schröder, avec le résultat que l’on sait. Nous avons une responsabilité historique.
Vous proposez un « Syriza à la française », Cécile Duflot, elle, parle d’un « rassemblement des progressistes »… Mais vos formations restent marginales, et on voit mal comment leur regroupement pourrait donner naissance à une véritable dynamique.
Ce Syriza à la française ne doit pas être un simple cartel électoral, mais une force sociale, culturelle, citoyenne. La gauche devrait s’intéresser plus sérieusement à ce qui se dit dans les livres, les films, au théâtre… Houellebecq et Finkielkraut racontent un monde, Despentes et Piketty en proposent un autre.
Nous devons aussi accompagner les formes de mobilisation populaire. Car elles existent, même si elles sont atomisées. Quand les Fralib créent une Scop, quand les femmes de chambre des grands hôtels arrachent une augmentation de salaire, quand les « zadistes » occupent le terrain du barrage de Sivens, quand Attac réclame l’argent de l’évasion fiscale, nous devons être à leurs côtés.
Ce que nous avons à faire, c’est bâtir un nouveau projet politique capable d’énoncer dans les termes du 21e siècle les idéaux d’égalité et de liberté issus du 19e. Des « chantiers d’espoir » vont s’ouvrir dans toute la France, avec un premier temps fort le 11 avril prochain. C’est une étape.
Tout cela va prendre du temps, beaucoup de temps.
Syriza était à 6% en 2009, il est au pouvoir aujourd’hui. Mais, dans le moment de crise que nous traversons, tout peut aller très vite. Notre responsabilité est immense : soit nous parvenons à impulser quelque chose de nouveau, soit le FN deviendra le grand catalyseur des colères populaires. Nous sommes dans une course de vitesse avec le FN : la seule façon de dissuader ceux qui souffrent de se tourner vers Marine Le Pen est de proposer une véritable alternative et d’affirmer nos positions avec tranchant.
Vous parlez de « tranchant ». Jean-Luc Mélenchon n’en manque pas. Cela l’amène parfois à des positions très contestables. Vous-même, qui avez été sa porte-parole, vous venez de marquer votre désaccord à propos de la Russie. Où en êtes-vous avec lui ?
Nous appartenons à la même famille politique, cette gauche qui ne renonce pas à changer l’ordre des choses. Je ne veux pas hurler avec les loups parce que je sais que le « Mélenchon bashing » des grands médias vise à nous affaiblir collectivement. Pour autant, oui, j’ai des désaccords avec Jean-Luc, sur la politique internationale, la conception de la Nation ou la façon de faire de la politique. Sur la Russie, par exemple, la crise ukrainienne ne peut se réduire à une manipulation américaine, et je crois qu’il faut être clair et ferme vis-à-vis du régime autoritaire de Poutine. Concernant l’Allemagne, s’il faut combattre la politique néolibérale d’Angela Merkel, soyons attentifs à ne pas essentialiser les peuples, à ne pas les dresser les uns contre les autres.
Quant au « tranchant », Mélenchon a revendiqué et théorisé la nécessité de parler « dru et cru » pour marquer son opposition au système. A Sevran, où je suis élue, on me dit régulièrement : « Au moins, lui, il y va. » Mais, du tranchant à l’agressivité, il y a un pas qu’il faut éviter de franchir. De même, je me méfie des solutions toutes prêtes. s’il y a des problèmes dont les remèdes sont bien connus, d’autres exigent de notre part un effort d’imagination. Jean-Luc insiste sur nos certitudes, je préfère souligner ce qu’il nous reste à inventer.
Longtemps, j’ai réservé l’expression de mes désaccords à nos discussions internes. Le fait nouveau est qu’aujourd’hui ces discussions internes n’existent plus et que, lorsque Jean-Luc Mélenchon s’exprime, ce n’est plus au terme d’un processus de délibération collective. Voilà le dysfonctionnement que j’ai voulu pointer.
Mélenchon se réfère volontiers aux grandes figures de la République. Au contraire, les nouvelles formes de militantisme, issues de l’altermondialisme ou du mouvement des « indignés », récusent la logique des grands hommes. Ces deux cultures sont-elles compatibles ?
Même si je pense que la politique s’incarne et que de grandes figures de la République ont fait progresser l’histoire, je ne crois ni à la logique de l’homme providentiel ni à celle de l’avant-garde éclairée, mais aux mouvements populaires. Je préfère l’organisation horizontale au fonctionnement pyramidal, la méthode du consensus aux bras de fer internes permanents. Une grande force politique ne peut exister qu’à la condition de savoir valoriser le commun et réguler les divergences.
Mais ne nous voilons pas la face, la logique des grands hommes est encore très forte aujourd’hui en France. Le système présidentiel et médiatique renforce la personnalisation de la politique. Il y a là un piège et il nous revient à tous de faire attention à ne pas tomber dedans.
Propos recueillis par Éric Aeschimann. Publié sur le site du Nouvel Observateur.