Clémen­tine Autain sur l’al­liance Des droites avec le RN.

« Hitler plutôt que le Front popu­laire » : cet adage venu de la bour­geoi­sie de la fin des années 1930 bour­donne dans ma tête. La formule de l’époque disait le choix dans l’ordre des enne­mis. Le projet qui a débou­ché sur le nazisme appa­rais­sait moins dange­reux à une partie des classes domi­nantes que le partage des richesses soutenu par Léon Blum et ses alliés. Dans notre société contem­po­raine, débous­so­lée et en tension, le grand renver­se­ment à l’œuvre porte le sceau de cette hiérar­chie des normes.

Jusqu’ici, et depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’ex­trême droite était commu­né­ment consi­dé­rée comme le danger ultime pour notre pays. Il y a plus de soixante-dix ans que le front répu­bli­cain signi­fie son bannis­se­ment. Or c’est bel et bien à un retour­ne­ment de l’ad­ver­saire prin­ci­pal auquel nous assis­tons cette année. Point d’orgue, mardi 4 juillet à l’As­sem­blée natio­nale, la Première ministre assé­nait expli­ci­te­ment que « la France Insou­mise ne se situe plus dans le champ répu­bli­cain ». Applau­dis­se­ments nour­ris sur les bancs de Renais­sance, de LR et du RN. Si ce genre d’ou­trances et mises au ban n’avaient pas cours depuis des mois, j’en serais restée clouée au siège.

Haro sur les insou­mis/Nupes

L’angle d’at­taque des macro­nistes est limpide depuis le début du quinquen­nat. D’une main, norma­li­ser la présence du RN au sein des insti­tu­tions répu­bli­caines. De l’autre, cher­cher à frac­tu­rer la Nupes, en tentant d’iso­ler LFI de ses parte­naires et de l’ex­clure du front répu­bli­cain. Dès le début du quinquen­nat, Macron et les siens ont choisi de légi­ti­mer le RN en lui permet­tant d’ac­cé­der à deux vice-prési­dences de l’As­sem­blée natio­nale, en l’ins­tal­lant comme un parti tout à fait normal. En même temps que Yaël Braun-Pivet peut décla­rer que Sébas­tion Chenu est un « très bon vice-président » de l’As­sem­blée natio­nale, les sanc­tions dispro­por­tion­nées et les décla­ra­tions mépri­santes à l’égard des dépu­tés insou­mis se multi­plient comme des petits pains. De cordon sani­taire avec le RN, il ne fut pas ques­tion, contrai­re­ment à « Renew », le groupe libé­ral au Parle­ment euro­péen dominé par les macro­nistes qui a adopté le parti pris inverse. C’est à gauche toute que les flèches sont lancées. Aujourd’­hui, Éric Dupond-Moretti ou Aurore Bergé reprennent sans sour­ciller la formule de Jordan Bardella : « la France incen­diaire »[1].

Cette atti­tude doit se comprendre à l’aune de la tripo­la­ri­sa­tion de la vie poli­tique. Pour gagner, là où droite et gauche clas­siques y parve­naient autre­fois de façon auto­ma­tique – jusqu’au crash du 21 avril 2002…-, il faut désor­mais fran­chir la barre du second tour de l’élec­tion prési­den­tielle. Macron et les siens partent du prin­cipe que le RN sera forcé­ment présent et qu’il leur reste donc à élimi­ner la gauche et les écolo­gistes. La Nupes devient alors la cible privi­lé­giée. La macro­nie n’a pas oublié que nous incar­nons la première force d’op­po­si­tion au gouver­ne­ment. Avec cette union, nous sommes arri­vés en tête au premier tour des légis­la­tives : plus de 5,95 millions de voix, soit envi­ron 100 000 de plus que la coali­tion macro­niste. À l’évi­dence, Renais­sance préfère se retrou­ver face à Marine Le Pen au second tour, espé­rant que le RN consti­tue, comme hier, l’as­su­rance-vie de sa victoire. Cette stra­té­gie est d’une dange­ro­sité abys­sale. Elle brise les repères histo­riques. Et, chemin faisant, elle dédia­bo­lise, insti­tu­tion­na­lise, bana­lise l’ex­trême droite. La macro­nie devait consti­tuer un barrage au RN mais se révèle une passoire. Or qui peut dire aujourd’­hui que le clan Le Pen ne peut pas gagner dans notre pays, comme nous le pensions tous il y a encore quelques années ?

Le posi­tion­ne­ment de Renais­sance n’est pas seule­ment tacti­cien. Il corres­pond aussi à un glis­se­ment idéo­lo­gique. En six ans de gouver­ne­ment, la pente déva­lée est sévère. Partie avec le « ni droite, ni gauche » en bandou­lière, la macro­nie est deve­nue tota­le­ment hémi­plé­gique. En 2018, Macron a rendu hommage à l’ac­tion mili­taire de Pétain. En 2019, il s’est confié à Valeurs Actuelles. En 2023, aucun poids lourd macro­niste n’est venu défendre la rédac­tion du JDD contre la nomi­na­tion de Geof­froy Lejeune. Et pour la rentrée parle­men­taire, deux grands textes à droite toute attendent les député.es : l’im­mi­gra­tion et le condi­tion­ne­ment du RSA, soit les deux thèmes les plus chers à Marine Le Pen.

Désor­mais, chaque moment de tension poli­tique devient l’oc­ca­sion de montrer du doigt… la Nupes et plus encore LFI, accu­sée d’être violente, agitée, outran­cière. Le renver­se­ment est à chaque fois édifiant. La macro­nie bruta­lise la démo­cra­tie avec ses 49.3 mais ce sont les insou­mis qui auraient délé­gi­timé les insti­tu­tions répu­bli­caines. Elle inter­dit la mani­fes­ta­tion à Sainte-Soline dénonçant une aber­ra­tion envi­ron­ne­men­tale et l’ac­cueille avec un dispo­si­tif poli­cier hors de propor­tion, prépa­rant ainsi l’es­ca­lade de la violence, mais ce sont les mani­fes­tants qui sont d’épou­van­tables « écoter­ro­ristes ». Elle est respon­sable de l’im­pu­nité à l’égard des poli­ciers et de la doctrine du main­tien de l’ordre ayant débou­ché sur la mort de Nahel, après d’autres, mais ce sont les insou­mis qui, défen­dant la justice et une police répu­bli­caine, sont tenus pour respon­sables des émeutes. On peut discu­ter de la stra­té­gie des insou­mis et de son profil poli­tique mais l’in­ver­sion des respon­sa­bi­li­tés et de ceux qui défendent les prin­cipes répu­bli­cains est propre­ment insen­sée.

Leur arc réac­tion­naire

Au même moment, des leaders de la droite ayant long­temps appar­tenu à des familles très modé­rées ont basculé dans la suren­chère avec les idées d’ex­trême droite. Pour tenter d’exis­ter, il faut aller encore plus loin que Le Pen. Là non plus, de barrage et de fron­tière étanche, il n’est plus ques­tion. Il n’y a qu’à suivre les décla­ra­tions d’Éric Ciotti ou Bruno Retailleau pour s’en convaincre. Comme à chaque moment histo­rique de conflic­tua­lité impor­tante entre les domi­nants et les domi­nés, la droite fait passer les prin­cipes répu­bli­cains au second plan. Et évidem­ment, la Nupes en géné­ral, et les insou­mis en parti­cu­lier, deviennent l’objet de tous les déchaî­ne­ments. On commence avec Renaud Muse­lier qui stig­ma­tise « une gauche sale et débraillée » et on finit avec Othman Nasrou qui affirme que « ce sont les insou­mis qui tuent, aujourd’­hui, par leur idéo­lo­gie ».

La synthèse de ce grand renver­se­ment est donnée par Jean-Pierre Raffa­rin. L’an­cien premier ministre décla­rait en 2015 être prêt à travailler avec les socia­listes contre « l’en­nemi commun », le RN. En 2023, il se féli­cite car « un front répu­bli­cain anti-Nupes est en cours de consti­tu­tion ». Une nouvelle « sainte alliance » serait-elle née contre la gauche, dont toute l’his­toire est pour­tant marquée par la défense perma­nente et parfois bien seule des prin­cipes répu­bli­cains ? Ce n’est pas un « arc répu­bli­cain » mais un arc réac­tion­naire qui se consti­tue, se conso­lide. Comme l’a bien résumé Thomas Legrand dans un édito pour Libé­ra­tion, « confondre l’arc répu­bli­cain avec le cercle de la raison ou avec la culture gouver­ne­men­tale est une erreur »[2]. C’est même une faute morale et poli­tique aux réper­cus­sions poten­tiel­le­ment désas­treuses pour notre pays.

Ligne de crête et point de passage

La macro­nie joue avec le feu et, avec ses alliés, nous tend un piège. Le tout est de ne pas sauter dedans à pieds joints. Sans cesse, nous devons cher­cher à éviter les termes du débat média­tique et poli­tique voulus par nos adver­saires pour tenter d’im­po­ser les nôtres. Par exemple, qu’a­vions-nous à gagner à l’ins­tal­la­tion d’un clivage sur le « calme » au moment des révoltes après la mort de Nahel ? Sur le fond, toute la Nupes défend la paix civile et sait combien les citoyen.nes des quar­tiers touchés par cette rage destruc­trice aspirent à une situa­tion apai­sée. Le sujet central n’est pas de savoir s’il faut ou non le calme mais comment y arri­ver. Gageons de porter le fer au bon endroit. Et d’évi­ter, comme le fait systé­ma­tique­ment désor­mais Fabien Rous­sel, de souf­fler sur les braises en se repais­sant des angles d’at­taque des droites contre Jean-Mélen­chon et les insou­mis, ou en enter­rant la Nupes. C’est sur les solu­tions qu’il fallait centrer la confron­ta­tion avec nos adver­saires en mettant en avant le fond commun à la Nupes, bien réel et substan­tiel[3]. Je ne dis pas que c’est facile devant le tsunami de mises en cause, je pointe la ligne de crête que nous devons inlas­sa­ble­ment recher­cher : tenir bon sur nos convic­tions en évitant le piège de la margi­na­li­sa­tion. Je sais que nos adver­saires, nombreux, se jettent sur le moindre mot pour nous discré­di­ter et tenter de fracas­ser la Nupes. À nous de cher­cher à chaque fois le bon angle et les mots justes pour éviter les polé­miques qui contournent les enjeux essen­tiels et nous divisent.

Oui, une tenta­tive de désta­bi­li­sa­tion à grande échelle est lancée contre nous. Oui, elle est injuste et gros­sière. Oui, elle vise à empê­cher une issue progres­siste aux crises que nous traver­sons, une alter­na­tive au néoli­bé­ra­lisme, une avan­cée pour la dyna­mique répu­bli­caine. La ques­tion est celle de notre atti­tude dans ce moment de grave bascu­le­ment idéo­lo­gique et poli­tique. Où est le point de passage ? Ma convic­tion est qu’il ne faut donner aucun bâton pour se faire battre et chérir l’union que repré­sente aujourd’­hui la Nupes, condi­tion pour gagner.

Le pays s’en­fonce chaque jour un peu plus dans l’ins­ta­bi­lité : depuis les gilets-jaunes, la poli­tique de Macron conduit à un embra­se­ment perma­nent. Cette année a été celle d’un niveau de mobi­li­sa­tion excep­tion­nel, sur le terrain social et écolo­gique. Parce que la voie de la média­tion et de la raison a été systé­ma­tique­ment dévoyée, c’est le chemin de la violence qui gagne de plus en plus les esprits, face à l’injus­tice et à l’aveu­gle­ment. La droite se radi­ca­lise, des grou­pus­cules néo-nazis se livrent à des raton­nades à Lyon, Lorient ou Nevers, des syndi­cats de police sont désor­mais contrô­lés par l’ex­trême-droite[4]. En refu­sant de voir ce phéno­mène, en contri­buant à l’ali­men­ter, Macron et les siens passent à côté de l’his­toire et contri­buent, par leur suren­chère, à la dispa­ri­tion program­mée de sa famille poli­tique, gangré­née par le racisme et l’étroi­tesse de vue.

Nous ne sommes déci­dé­ment pas dans des temps calmes. Au regard de la gravité de la situa­tion poli­tique, notre respon­sa­bi­lité est immense. En dépit d’une Nupes aujourd’­hui fragi­li­sée, la pers­pec­tive d’une victoire de la gauche et des écolo­gistes reste un espoir crédible, un espoir puis­sant, un espoir que nous devons confir­mer.

Clémen­tine Autain


[1] Tweet du compte « Caisses de grève » à voir ici.

[2] « Les insou­mis ont autant leur place dans l’arc répu­bli­cain que les sans-culottes« , à lire dans Libé­ra­tion le 7 juillet 2023.

[3] J’in­vite à lire cet entre­tien croisé dans Média­part qui, désossé, donne à voir les conver­gences sur la réforme néces­saire dans la police. L’in­sou­mis Manuel Bompard et le socia­liste Philippe Brun sont d’ac­cord pour reve­nir sur la loi de 2017, en finir avec l’IGPN pour mettre en place une instance indé­pen­dante de contrôle de la police, intro­duire enfin le récé­pissé pour les contrôles d’iden­tité ou encore inves­tir dans la police de proxi­mité. Ces points d’ac­cords ne sont pas margi­naux : ils dessinent bel et bien les contours d’une alter­na­tive.

[4] Le chef de la DGSI pointe de façon très claire les menaces que font peser sur notre pays l’ex­trême droite et l’ul­tra-droite : lire l’ar­ticle dans Le Monde.

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