Article de Dominique Maréchau (ancien inspecteur du travail), militant de Ensemble !, initialement publié sur le site de Ensemble31
Après un vrai-faux suspense d’un mois et demi, le gouvernement a rendu public le 31 Août le contenu des ordonnances réformant le droit du travail.
Si la lecture de la loi d’habilitation donnait déjà des indications sur les grandes lignes, l’analyse des 160 pages de ces 5 textes, tenus secrets, y compris pour les partenaires sociaux, jusqu’au dernier moment, réserve quelques (désagréables) surprises.
Outre que cela en dit long sur la sincérité de la « concertation » de cet été, on constate donc que la « libération du processus de destruction créatrice », vantée par E. Macron, est bien en marche, ne s’embarrasse pas de scrupules et n’hésite pas à détruire, par des mesures inattendues, le semblant d’équilibre dont le gouvernement et certains syndicats se prévalaient.
Concrètement, que trouve-t-on dans ces ordonnances ? C’est assez simple : une suite favorable donnée à presque toutes les vieilles revendications du MEDEF, remettant en cause les grandes conquêtes sociales qui structurent aujourd’hui le droit du travail français :
- L’affaiblissement de l’encadrement des licenciements, tant individuels qu’économiques
- Le bouleversement de la hiérarchie des normes, au profit de la déréglementation
- L’amoindrissement du rôle des syndicats et des institutions représentatives du personnel
La facilitation des licenciements
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Il existe aujourd’hui un encadrement du droit patronal de licencier ses salariés, résultat de luttes sociales, d’évolutions jurisprudentielles et d’interventions de l’inspection du travail. Ainsi, tout licenciement doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, sous peine de nullité, prononcée par le Conseil des Prud’hommes, avec indemnisation à la clé. L’ordonnance « relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » (sic) relativise grandement cette exigence, pourtant fondamentale, en interdisant au juge d’évaluer exactement le préjudice du salarié, par l’application obligatoire d’un barème d’indemnisation bien en-dessous des minima légaux actuels et de la réalité constatée. Par exemple, pour un salarié ayant 2 ans d’ancienneté à la date du licenciement, l’indemnisation minimum passe de 6 mois de salaire brut à 3 mois et l’indemnisation maximale est plafonnée à 20 mois pour une ancienneté supérieure à 29 ans (alors qu’il n’y a aujourd’hui aucun maximum obligatoire, que le barème indicatif actuel va jusqu’à 24 mois et que la moitié des salariés de + de 20 ans d’ancienneté obtient + de 24 mois). Ce barème ne s’appliquerait pas si le licenciement abusif reposait sur un motif discriminatoire ou contraire aux libertés fondamentales (si l’on arrive à le prouver…). Si l’on ajoute à cela la diminution des opportunités de saisir les Prud’hommes, par le raccourcissement du délai de forclusion pour contester un licenciement, passant de 2 ans à 1 an et le fait qu’une insuffisance de motivation du licenciement ne peut plus constituer une absence de cause réelle et sérieuse si le salarié n’a pas demandé préalablement à l’employeur de compléter la lettre, on comprend bien qu’il s’agit de décourager au maximum les recours aux Prud’hommes, pourtant déjà en chute libre, au détriment des salariés les plus âgés, les moins susceptibles de retrouver un emploi. Face à cela, l’augmentation de l’indemnité légale de licenciement d’un cinquième à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté, dont certains syndicats se sont félicités, ne fait pas le poids, surtout quand l’on sait que beaucoup de conventions collectives prévoient déjà plus que ce montant. Non, en fait, l’unique objectif est de rassurer les employeurs, de leur permettre de prévoir combien leur couterait un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire de le budgéter, voire de négocier une rupture à l’amiable. Il s’agit bien d’une « sécurisation » à sens unique.
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S’agissant des licenciements pour motif économique, le gouvernement avait laissé planer la menace d’accepter la demande du MEDEF de relever de 50 à 300 l’effectif minimal de l’entreprise à partir duquel un licenciement collectif nécessite d’élaborer un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et de suivre une procédure associant les représentants du personnel. Ouf ! il ne l’a pas fait, d’où la satisfaction affichée de certaines confédérations syndicales. Mais, oh, surprise, il a sorti de son chapeau, sans jamais l’avoir abordé lors des réunions de concertation, une nouvelle procédure de rupture conventionnelle collective. Oui, ce n’est pas un oxymore, il s’agit de permettre à l’entreprise de se séparer de salariés « volontaires » par un PDV (les plans de départs volontaires déjà pratiqués), acté par un accord d’entreprise majoritaire et « validé » par la DIRECCTE, en s’exonérant de toutes les mesures de reclassement et d’accompagnement qui vont aujourd’hui de pair avec l’élaboration d’un PSE, sans risque de se voir rappeler à l’ordre par la DIRECCTE ou par les tribunaux. Pratique pour se débarrasser des salariés les plus âgés, moyennant l’instillation préalable d’une ambiance interne anxiogène et des incitations « généreuses » à la réalisation de projets personnels et un compte personnel de formation crédité d’une centaine d’heures. Surtout qu’aucun délai de carence pour embaucher des plus jeunes aux mêmes postes ne sera exigé ! Et comme si le licenciement économique n’était pas déjà assez facilité, l’ordonnance réintroduit la disposition envisagée dans la loi El Khomri, puis abandonnée lors des arbitrages internes à la majorité, d’apprécier les difficultés économiques des entreprises envisageant un licenciement économique et appartenant à un groupe multinational dans le seul périmètre des entreprises du secteur d’activité établies en France. Super ! il suffit d’organiser les relations intra-groupe de manière à faire supporter les coûts par la filiale française et engranger les bénéfices par une filiale ou le siège à l’étranger et on peut licencier en France quand on veut ! Le texte a beau préciser « sauf fraude », celle-ci est difficile et trop longue à prouver, pour que cette réserve soit opératoire. Le motif économique était déjà de la compétence exclusive des tribunaux depuis la loi de 2013 qui actait l’incompétence de l’administration du travail, ceux-ci se voient maintenant intimer l’ordre de regarder ailleurs que dans les montages des multinationales. Les ex-salariés de Continental, Molex et autres Whirlpool se réjouiront d’avoir été entendus ! Enfin, cerise sur le gâteau (on n’ose dire sur le Gattaz), un salarié qui s’opposerait à une modification de son contrat de travail induite par un accord collectif, se verra licencié pour ce simple motif (motif non pas économique, mais « sui generis », c’est à dire hors de toute catégorie juridique). Evidemment, il ne bénéficiera pas de mesures d’accompagnement.
L’ensemble de ces mesures fragilise donc les salariés en CDI en facilitant de diverses manières leur licenciement, qu’il soit pour motif personnel ou pour motif économique. On ne sait pas si cela suffira à « rassurer » les employeurs et les incitera à embaucher, d’autant qu’une étude de l’INSEE de Juin dernier tend à montrer le contraire, mais ce qui est sûr, c’est que c’est un pas de plus vers la précarisation des salariés en poste. Le précédent de la suppression de l’autorisation administrative de licenciement montre que le calcul est très hasardeux, pour ne pas dire contre-productif.
Le bouleversement de la hiérarchie des normes
Après des débats houleux autour de la perspective de continuer l’œuvre de la loi El Khomri en matière de prééminence de la négociation d’entreprise sur les autres sources de droit, certains, comme la confédération FO, se sont montrés rassurés devant la promesse que le rôle de la branche professionnelle serait renforcé dans les ordonnances. En fait, l’ordonnance « relative au renforcement de la négociation collective » commence bien par affirmer le rôle premier de la branche dans 11 matières, plus étendues que précédemment, notamment parce que certaines passent du domaine de la loi à celui de la convention de branche. Ce transfert peut d’ailleurs être, en soi, un problème, comme, par exemple, la faculté d’autoriser la conclusion, dans la branche, de contrats de chantier, que l’on connaissait uniquement dans le bâtiment et la branche SYNTEC, ce qui constitue une nouvelle extension de la précarité pour les CDI, car seul l’employeur connaît la date de fin du contrat mais ne verse pas pour autant de prime de précarité. L’ordonnance fixe ensuite 4 autres domaines où la branche peut interdire aux accords d’entreprise de prévoir des dispositions différentes de celles de la convention de branche. Mais, innocemment, le nouvel article L 2253–1 se termine en indiquant que, dans ces 11+4 matières, la convention de branche s’efface devant la convention d’entreprise si celle-ci assure des garanties équivalentes. Comment détermine-t-on que des garanties sont équivalentes ? Peut-on considérer qu’un accord d’entreprise peut, à bon droit, prévoir des salaires minima hiérarchiques inférieurs à ceux prévus par la branche, parce que, par ailleurs, il prévoit des durées de période d’essai plus courtes ? Peut-on considérer qu’un accord d’entreprise peut prévoir un nombre de renouvellements de CDD supérieur à celui prévu par la branche (eh oui, parce que ce domaine de compétence aussi lui est maintenant reconnu) au motif que, par ailleurs, il prévoit un régime complémentaire santé plus favorable que celui de la branche ? Cette disposition, que n’avaient pas vue, jusqu’ici, les syndicats, vient, en fait, détruire le soi-disant confortement du rôle de la branche et est susceptible d’induire une pagaille monstre au sein des entreprises et des branches : qu’est-ce qui est équivalent ? Qui en juge ? Cela n’est pas précisé dans l’ordonnance. Et pour complexifier encore les choses, le nouvel article L 2253–3 dit, benoîtement, qu’en dehors des 15 matières évoquées plus haut, les conventions d’entreprises prévalent sur les conventions de branche, c’est-à-dire un champ de compétence extrêmement vaste, comme, par exemple, les primes d’ancienneté, le 13° mois, l’indemnité de départ en retraite,… c’est, en fait, le parachèvement de l’inversion de la hiérarchie des normes et la porte ouverte au dumping social intra-branche : si un sous-traitant, sous la pression de son principal (ou unique) donneur d’ordre, arrive à faire signer un accord diminuant le coût du travail (en jouant sur les salaires, ou les primes, ou la durée du travail, ou la flexibilité…) en faisant miroiter à ses salariés l’assurance d’obtenir un marché, qui peut croire que seuls ces derniers seront touchés ? de proche en proche, c’est tous les sous-traitants qui se verront invités à faire baisser ainsi leur coût du travail, déstabilisant la concurrence et tirant tout le monde vers le bas, sans garantie que les donneurs d’ordre n’en demandent pas encore plus.
Fallait-il vraiment se réjouir de la place laissée à la branche dans l’ordonnance ? En l’occurrence, la réponse, nous semble-t-il, est dans la question.
Inutile de dire que, dans ces conditions, où chaque entreprise aura sa propre réglementation, l’information des salariés et le contrôle du respect des dispositions légales, conventionnelles et contractuelles seront particulièrement malaisés à réaliser pour l’Inspection du Travail et ses services de renseignement.
L’amoindrissement du rôle des syndicats et des institutions représentatives du personnel
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Dans les TPE, on négocie sans syndicats
Le gouvernement disait vouloir développer le dialogue social, comme source de droit, et certains syndicats lui ont emboité le pas. Mais ce qu’il ne leur disait pas, c’est que pour lui, il n’est pas forcément besoin de passer par les syndicats pour conclure des accords, y compris dérogatoires. Témoin, ces nouvelles dispositions, qui permettront aux entreprises de moins de 50 salariés de négocier des accords avec des représentants du personnel non délégués syndicaux et non mandatés par un syndicat. Ce qui signifie des « négociateurs » le plus souvent non formés, et non appuyés par la réflexion collective d’une organisation syndicale, capable de prendre un peu de distance et de comparer les situations de plusieurs entreprises avant de signer ce que l’employeur lui présente. Pire encore, sous prétexte de prendre en compte la situation des TPE/PME, les « oubliées » du Code du travail, l’ordonnance donne la possibilité aux entreprises de moins de 11 de discuter directement avec les salariés pour conclure des accords, y compris dérogatoires, sur les rémunérations, le temps de travail, etc… et cette faculté pourra aussi être utilisée dans les moins de 20 dépourvues de représentants du personnel ( dans les 11 à 50 dépourvues de délégué syndical, des accords pourront être conclus par des salariés mandatés ou par des membres de la délégation du personnel). On craint les accords qui pourront être signés dans de telles conditions.
En fait, avec cette « négociation directe » on voit réapparaître quelque chose qui ressemble au référendum d’initiative patronale, qui était, jusqu’ici, et à juste raison, une « ligne rouge » pour tous les syndicats, y compris réformistes comme la CFDT, qui craignaient que cette faculté soit l’occasion pour l’employeur de faire du chantage à l’emploi, sans avoir, face à lui, une force de réflexion collective. Il s’agit là d’une rupture majeure avec la construction du système de relations sociales français, souhaitée depuis longtemps par les secteurs les plus rétrogrades du patronat et de la droite. Certes, depuis la légalisation de la section syndicale d’entreprise en 1968, le nombre de syndiqués et de sections syndicales dans les TPE-PME n’a pas atteint des sommets, mais il aurait pu être fait appel à d’autres formules pour garder la place centrale dévolue aux syndicats dans le système français : favoriser le mandatement, stimuler la syndicalisation, abaisser le seuil pour l’élection de représentants du personnel (cf. l’Allemagne), utiliser les commissions paritaires régionales interprofessionnelles, etc..
Au lieu de cela, le gouvernement a préféré se passer des syndicats, montrant que sa préoccupation n’est pas, contrairement au discours complaisamment répandu, de revaloriser le rôle des syndicats comme acteurs majeurs du dialogue social, mais de pouvoir partout faire adopter des dérogations aux règles du droit du travail, à la main des employeurs. Cela pourra-t-il ouvrir les yeux de certains syndicalistes trop confiants ?
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Diminuer la place de la représentation du personnel
L’ordonnance n° 2 vient parachever et systématiser la fusion des institutions représentatives du personnel initiée par la loi El Khomri. Les DP, le CE et le CHSCT seront fusionnés dans un Comité social et économique et ce, dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Ce CSE est censé conserver toutes les fonctions actuelles des 3 instances, mais, à ce stade, on ignore tout des moyens qui lui seront dévolus, si ce n’est, comme le dit le premier ministre, qu’il s’agira de faire mieux avec moins…
Cela pose au moins 2 problèmes : la dilution du CHSCT dans le CSE, ce qui va à rebours de l’évolution de cette institution (de 1945 à 1982, le CHS n’était qu’une commission du CE, et c’est une loi Auroux qui lui a permis de prendre son autonomie et de développer une véritable technicité dans la prévention des risques professionnels, largement reconnue). Cette technicité et cette indépendance de l’économique vont-elles pouvoir perdurer dans une institution unique où ne risquent de siéger que des super-permanents, plus éloignés des réalités quotidiennes de l’entreprise ? On peut en douter. Le deuxième problème est la diminution globale des moyens d’intervention, qui se dessine avec l’annonce que l’institution devra prendre à sa charge, sur son budget propre, 20 % du coût des expertises qu’elle décidera, y compris celles concernant la santé et la sécurité. Moins d’expertises, c’est moins d’éléments permettant d’éclairer les avis donnés par l’institution, c’est, en particulier, complètement contradictoire avec la volonté affichée par les syndicats de voir améliorer la participation des salariés et de leurs représentants à la gestion de l’entreprise.
Enfin, pour clore ce chapitre, signalons que, par accord majoritaire, il sera possible de fondre ce CSE avec les délégués syndicaux, pour former un Conseil d’entreprise, seul habilité, alors, à négocier et signer des accords d’entreprise…mais sans siège supplémentaire !
Au total, ces ordonnances, avec leurs confirmations et leurs surprises, forment un ensemble extrêmement déséquilibré, qui, à travers la remise en cause de plusieurs fondements du droit du travail, ne vient pas « renforcer le dialogue social » comme le proclame son intitulé, mais, au contraire, sécuriser les seuls employeurs et assigner les salariés à la peur de la perte d’emploi. Techniquement, il ne s’agit pas tant de supprimer directement les règles et garanties que de permettre aux entreprises de s’en affranchir en les contournant ou en limitant le coût de la sanction encourue, et ce, en utilisant les syndicats quand c’est nécessaire, en se passant d’eux quand on le peut. Bien sûr, on sait ce qu’il advient des règles que l’on peut contourner : elles deviennent obsolètes, puis disparaissent. Même si nombre de ces dispositions ne sont pas de totales nouveautés et prolongent des textes antérieurs, dus au quinquennat Hollande, leur degré de violence et leur ordonnancement d’ensemble marquent une étape décisive dans la transformation du droit du travail d’un droit protecteur des travailleurs en un droit de la gestion plus sûre des ressources humaines, alors que, comme le reconnait le premier ministre, le droit du travail n’est pas la première cause du chômage en France.
Logiquement, tous les syndicats et les salariés, toutes les composantes du mouvement social et écologiste, tous les mouvements et forces de gauche devraient se retrouver dans la rue dès le 12 septembre et au-delà, pour combattre ces textes qu’en une autre époque, on eut qualifié de scélérats.
Il y va de l’avenir de la condition des travailleurs de ce pays, il y va aussi de l’honneur des représentants des travailleurs, qui ont la responsabilité historique de défendre plus de 170 ans de droit social, avec les luttes et les souffrances qui en sont à l’origine.
Toulouse, le 10 septembre 2017
Dominique Maréchau
(ancien inspecteur du travail)