Dès le 8 mars nous avons mis en ligne des articles concernant le Covid-19. Nous allons mettre en ligne une série d’articles pour vous permettre de lire des articles de qualité. Pour des discussions si besoin. Pour un autre monde.
Voici des extraits des deux premiers articles de qualité que nous avons mis en ligne.
PB, 21–03–2020
Daniel Tanuro, 8 mars 2020.
- 3 « Juguler l’épidémie aurait nécessité de prendre rapidement des mesures strictes de contrôle sanitaire des voyageurs venant de régions contaminées, d’identification et d’isolement des personnes contaminées, de limitation des transports et de renforcement des services sanitaires. Englués dans les politiques néolibérales avec lesquelles ils tentaient de contrer le ralentissement économique, les gouvernements capitalistes ont tardé à les prendre, puis les ont prises insuffisamment, ce qui les a contraints à en prendre ensuite de plus sévères, sans arrêter pour autant de courir derrière la propagation du virus. Le zéro stocks, l’austérité budgétaire dans les domaines de la santé et de la recherche et la flexiprécarité du travail doivent être mis en accusation à l’occasion de la crise . »
- 5. La gauche ne peut absolument pas se contenter de rabattre le facteur exogène de la crise sanitaire sur la crise économique capitaliste endogène. Elle doit prendre en compte la crise sanitaire en tant que telle et développer des propositions pour la combattre de façon sociale, démocratique, antiraciste, féministe et internationaliste. A contre-courant de l’individualisme, elle doit aussi adopter pour elle-même et propager dans les mouvements sociaux des comportements collectifs responsables du point de vue de la non-propagation du virus. (…) nul ne peut se soustraire ici à sa responsabilité par rapport à la santé : la sienne, celle de ses proches et la santé publique, sans oublier la responsabilité par rapport aux Sud global. Ou bien les mouvements sociaux prennent cette question en mains eux-mêmes, démocratiquement et à partir des réalités sociales des dominé·e·s, ou bien les dominant·e·s imposeront leurs solutions liberticides.
- Le danger majeur de l’épidémie est le possible dépassement du seuil de saturation des systèmes hospitaliers. Il entraînerait inévitablement une aggravation du tribut payé par les plus pauvres et les plus faibles, en particulier parmi les personnes âgées, ainsi qu’un report des tâches de soins dans la sphère domestique, c’est-à-dire en général sur le dos des femmes. Le seuil dépend évidemment des pays, des systèmes de santé et des politiques d’austérité-précarité qui y ont été imposées. Il sera atteint d’autant plus vite que les gouvernent courent derrière l’épidémie au lieu de la prévenir. L’épidémie requiert donc clairement une rupture avec les politiques d’austérité, une redistribution des richesses, un refinancement et une dé-libéralisation du secteur de la santé, la suppression des brevets dans le domaine médical, la justice Nord-Sud et la priorité aux besoins sociaux. Celle-ci implique notamment : l’interdiction des licenciements de personnes infectées, le maintien du salaire en cas de chômage partiel, l’arrêt du contrôle, de « l’activation » et des sanctions contre les allocataires sociaux, etc. C’est principalement sur ces questions qu’il faut intervenir pour contrer les réponses irrationnelles et leur potentiel de dérapage raciste-autoritaire.
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Puis, Christophe Aguiton (ATTAC); le 11 mars
(…) l’épidémie de Covid-19 est un bon indicateur des fragilités de la situation internationale et des tendances potentielles qu’elle révèle.
(…)Par son ampleur, et parce qu’elle a d’abord touché la Chine, cette épidémie permet de mettre le doigt sur les points faibles de la mondialisation néolibérale. Des secteurs stratégiques, comme l’industrie pharmaceutique, délocalisent depuis des années des pans entiers de leur appareil productif. Aujourd’hui, en pleine crise sanitaire l’Union européenne (UE) réalise que des médicaments de base sont en passe de manquer à cause de la paralysie de l’industrie chinoise. L’industrie du numérique est également touchée de plein fouet. Mais les dégâts ne se limitent pas à ces secteurs. Les grandes entreprises du secteur de l’automobile, de l’aéronautique ou de la robotique ont développé des chaînes de production qui s’étendent sur toute la planète et qui peuvent se gripper au moindre problème.
(…)Si l’épidémie montre les points faibles de la mondialisation néolibérale, elle permet aussi de mettre en avant ce que pourraient en être les alternatives. L’histoire regorge de moments où des événements imprévus, des guerres, des chocs politiques ou des mouvements sociaux ont accéléré des processus en cours ou permis des bifurcations imprévisibles.
(…)Sans commune mesure, la Seconde Guerre mondiale et les années qui l’ont suivie a jeté les bases de ce l’on a appelé l’État providence. Aux Etats-Unis l’impôt progressif mis en place pendant le New Deal par l’administration Roosevelt s’est durci avec un taux maximal de 80 à 90% en place jusque dans les années 1980. En France, le système de retraite, précédemment basé sur des fonds de capitalisation, s’est effondré pendant la guerre. C’est ainsi que le système de retraite par répartition a été mis en place à la libération. Plus généralement, dans tous les pays développés, un taux élevé de prélèvement obligatoire nécessaire à la reconstruction a été pérennisé pour mettre en place des systèmes de redistribution et de couverture sociale. Un choc planétaire comme l’épidémie de Covid-19 pourrait initier ou accélérer des transformations nécessaires. La pénurie de médicaments a amené les institutions européennes, ces dernières semaines, a réfléchir à une relocalisation de certaines chaînes de production pour assurer une sécurité sanitaire sur le continent. Cette initiative pourrait être élargie à d’autres secteurs, la production agroalimentaire, par exemple, pour répondre à la revendication historique de « souveraineté alimentaire » défendue par les paysans de la Confédération paysanne et de la Via Campesina.
Au niveau industriel, la baisse des prix de machines à commandes numériques a permis un timide mouvement de relocalisation de certaines productions. Les chaînes mondiales mises en place par les multinationales pour leurs productions industrielles viennent de révéler leur fragilité, il serait temps de donner la priorité à une relocalisation qui bénéficierait à l’emploi comme à l’environnement.
La crise du coronavirus a également montré en cas de nécessité des mesures « radicales » pouvaient être mises en place. C’est le cas de la fixation des prix ou la réquisition pour des produits qui connaissaient des phénomènes spéculatifs, comme le gel hydroalcoolique ou les masques de protection. Il est déjà évident que l’UE – devant la crise économique qui s’annonce – va exonérer les pays membres des obligations budgétaires fixées par le traité de Maastricht.
Ce qui est possible, et juste, face aux conséquences de l’épidémie devrait être mis en place de la même manière pour d’autres questions toutes aussi importantes, comme la croissance des inégalités, le traitement inhumain des migrants, la crise climatique ou l’effondrement de la bio-diversité. (…)