Par Brais Fernández et Jaime Pastor
Il existe une vieille tradition au sein de la gauche – qu’il s’agisse de la gauche dite conventionnelle mais aussi alternative – parfois très utile, plus routinière en d’autres occasions: organiser le débat public au moyen de manifestes. Les manifestes impliquent toujours une politique de notables car il en découle que ce qui compte n’est pas tant ce qui est dit que celui que le fait. Son impact peut être mesurer d’une manière quelque peu particulière: autant par qui et combien de personnes l’ont signé que par ceux qui ne l’ont pas fait. En outre, tout manifeste s’adresse à « quelqu’un », d’où sa dimension de « pétition », ce qui implique toujours une certaine reconnaissance d’un rapport de forces déterminé. Si l’ensemble des signataires était suffisamment fort pour ne pas devoir faire appel à une autre instance et pourrait le faire de lui-même, le manifeste ne ferait pas sens.
Au cours des dernières semaines de nombreux manifestes ont été publiés, notre analyse est en rapport avec les prémisses que nous venons d’exposer. Nous nous arrêterons sur deux d’entre eux: celui qui s’intitule Podemos es participación, soutenu par de nombreux cadres internes et figures publiques de Podemos et Ahora en Común impulsé par diverses personnes liées aux mouvements sociaux, aux candidatures surgies lors des récentes élections locales [24 mai], ainsi que certaines organisations politiques.
Ces deux manifestes se distinguent pour s’adresser, de l’intérieur comme de l’extérieur, à la direction de Podemos qui devient le référent principal et qui, simultanément, cumule et bouche des développements déterminés. « Cumule » parce qu’il ne fait aucun doute qu’elle soit le facteur décisif, le pouvoir effectif qui peut décider en dernière instance comment seront abordées les élections générales de fin 2015. La direction de Podemos n’a pas hésité à rendre public son projet cette semaine: une proposition de liste « plancha » [1] pour les primaires [elle comporte 65 noms, certain·e·s n’étant pas membre de Podemos – le dirigeant d’un syndicat des Gardes civils, des magistrats, etc.], avec des noms qui, en majorité et avec tout le respect dû, sont perçus comme « l’appareil »; en outre, dans le cadre d’une circonscription unique [2] (où se trouvent la reconnaissance conséquente de la réalité plurinationale et la recherche d’un ancrage territorial pour pouvoir atteindre mieux « les gens »?) et convoquées à voter à toute vitesse, avec pour excuse l’hypothétique anticipation des élections générales.
Il n’y a presque aucun nom significatif en provenance de la société civile (bien qu’en réalité la « société civile » ne soit pas un sujet mais un espace, nous nous y trouvons tous), ni du « milieu » de la culture, ni, bien sûr, du monde du travail (peut-être que déjà personne ne s’imagine la présence d’un travailleur de Coca-Cola ou de Movistar sur les listes de Podemos [3]) ou des mouvements sociaux.
Les raisons à l’origine de cette composition peuvent être multiples: pari sur la constitution d’un groupe parlementaire discipliné, qui puisse évoluer sans trop de conflits en fonction des zigzags de la direction de Podemos ou, simplement, comme ils assument que la victoire électorale s’éloigne toujours plus, ils préfèrent « ne pas gagner » avec leurs semblables.
Au-delà des interprétations possibles, ce qui est fondamental est le fait que la direction de Podemos donne l’impression de l’isolement. D’être un petit groupe disposant d’une capacité de communication reconnue et une grande base électorale, mais sans présence au-delà de leurs espaces propres en tant que parti. Peut-être que cela fait partie de « l’hypothèse populiste » [allusion aux théories d’Ernesto Laclau qui irriguent les conceptions des dirigeants de Podemos] – se passer autant d’enracinement social que de médiations quelconques – mais, bien entendu, cela contraste avec le discours portant sur « l’unité des gens » que propose la direction de Podemos. C’est-à-dire qu’il s’agit non seulement d’un échec selon les critères que certains d’entre nous l’envisagent, mais également dans les termes mêmes de la direction de Podemos, la liste reflète une profonde faiblesse.
La réaction face au modèle des listas planchas et de circonscription unique que propose la direction de Podemos s’est aggravée en raison de la présentation de cette liste « d’appareil ». Ceci explique que bien des gens qui appuyèrent le modèle de Vistalegre [lieu où, à Madrid en octobre 2014, Podemos a adopté ses principes fondateurs et organisationnels] et qui ensuite furent élus comme responsables internes et publics de Podemos aient signés le manifeste Podemos es participación. [voir sur ce site les articles de cette sensibilité]. Les raisons en sont multiples (cela va des anticapitalistes à des personnes pour qui sans doute le capitalisme semble un système à réformer), mais le dénominateur minimum commun semble clair: une plus grande démocratie et une plus grande ouverture de Podemos sont nécessaires.
Bien sûr, pour autant que la direction de Podemos fasse appel à son « infaillibilité », ressortissant à des raisonnements du type « ils nous ont toujours critiqués, mais nous avons toujours bien fait », cette foi placée dans les infaillibles s’érode toujours plus vite. En outre, au niveau interne, les membres de Podemos ne peuvent que donner des opinions et attendre que la direction réagisse. Nous craignons que cela ne se produise pas. La direction de Podemos tient le couteau par le manche et cela implique également devoir rendre des comptes. Si elle ne modifie pas sa feuille de route écoutant la base et qu’elle ne gagne pas les élections, sa raison et son modèle auront souffert une défaite retentissante. Ils ont préféré avoir raison ou se tromper seuls et, bien sûr, c’est une chose qui est insoutenable à moyen terme.
Parce que la politique « postmoderne » est agressive et futile: ou tu t’entoures de beaucoup de gens, en croissance permanente (en partant toujours d’un noyau solide), ou tu n’avances pas.
C’est ce que vient rappeler l’autre manifeste, celui d’ Ahora en Común. Ce document rappelle de manière implicite que ce qui a permis à Podemos d’arriver jusque-là n’est pas une théorie du discours, mais une série de revendications populaires et d’articulations matérielles qui vont au-delà des mots et des partis et qui continue d’avoir comme point de référence l’Evénement du 15M [15 mai 2011, début du mouvement des indigné·e·s] et le pari émis depuis lors d’une autre politique, mais aussi d’une autre manière de la faire.
Il est vrai qu’Ahora en Común pourrait être instrumentalisé par IU (Gauche Unie) ou Equo, mais si cela devait se produire, cela serait en premier lieu responsabilité de la direction de Podemos. Quel est le problème d’un modèle de primaires ouvertes et pluralistes, comme celui d’Ahora Madrid, où les listes pourraient concourir selon leurs affinités idéologiques mais vers un même objectif: celui de gagner les élections, expulser le PP-PSOE et en finir avec l’austérité? Ahora Madrid n’a-t-il pas fait la démonstration que lorsqu’une liste est hégémonique, cette liste fait des ravages, comme cela s’est passé avec Manuel Carmena [actuelle maire de Madrid]? Y a-t-il un doute quelconque qu’avec des primaires ouvertes et qui auraient comme signification la préparation de l’assaut électoral unitaire que Pablo Iglesias ne ferait pas de ravages?
Le moment existe. Mais il dépend de la direction de Podemos, laquelle gère un capital accumulé par toutes et tous bien que cela l’enchante de l’attribuer à elle seule, en solitaire. Cette gestion conservatrice du monopole du possible est peut-être le plus grand fardeau que transporte le mouvement en ce moment. Il semble quelquefois que la direction de Podemos tend à ressembler à celle de IU il y a deux ans: convaincue de sa vérité, sans écouter les autres voix, qu’elle caractérise systématiquement de déloyales ou qu’elle invite à s’en aller. Peut-être qu’il n’y a pas d’autre option que laisser que cette expérience arrive à son terme, mais l’argument que personne ne pourra prétendre ne pas avoir existé est: « qu’il n’y avait pas d’autres options ». Elles sont sur la table et maintenant la direction de Podemos doit choisir si elle souhaite un Pablo Iglesias comme secrétaire général de son parti ou un dirigeant qui aspire à être président du gouvernement (tribune parue le 11 juillet 2015 sur le journal en ligne Publico.es; traduction A L’Encontre).
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[1] Soir la présentation d’une liste comportant plusieurs candidats, l’électeur peut intervertir l’ordre et y compris la modifier; dans les faits elle est souvent choisie comme une liste fermée, introduisant un système majoritaire de fait (Réd. A l’Encontre)
[2] Les deux manifestes sont traduits et publiés ci-dessous. Le premier est un appel qui émane de critiques internes au mode de nomination des futurs candidats de Podemos pour les élections générales de novembre. En date du dimanche 12 juillet, ce manifeste a rassemblé près de 7800 signatures, dont 513 responsables et élus de Podemos (dont une cinquantaine des 133 élu·e·s que compte aujourd’hui Podemos).
Le second émane de différentes associations, membres de partis (dont IU, Equo et Podemos) et de « figures ». Il est trop tôt pour connaître les contours que cette initiative prendra. L’objectif est de réunir 25’000 signatures (plus de 21’000 ce dimanche 13 juillet). (Réd. A l’Encontre)
[3] Le modèle de primaires – soit la détermination des candidats qui seront présentés par Podemos lors des élections générales prévues en novembre – préparé par la direction Iglesias de Podemos repose sur trois éléments: une primaire pour le secrétariat général; une primaire pour les élections au Sénat avec comme « circonscription » la Communauté autonome et, enfin, pour la Chambre des députés les « membres » de Podemos pourront élire 350 personnes (correspondant à l’ensemble des sièges) sur la base d’une circonscription s’étendant à tout l’Etat espagnol.
Il suffit d’être enregistré par internet pour pouvoir voter. La direction affirme avoir ainsi plus de 370’000 « membres ». Lesquels, en majorité, sont au propre comme au figuré « virtuels ». C’est l’une des conceptions originelles de Podemos: une formation « d’un nouveau type » dans laquelle chacun pourrait s’engager en fonction de ses rythmes et obligations, les gens « normaux », etc. Outre de constituer un parti « coquille vide », très dépendant des décisions du centre et dont la vie des cercles de base s’éteint souvent, sa dimension antidémocratique est aussi claire. Ainsi, pour pouvoir contester ce modèle de primaires, il faut statutairement recueillir 10% du « corps électoral » de Podemos, soit 37’000… alors que, par exemple, seul 34% des près de 250’000 membres « virtuels » ont participé aux primaires municipales fin 2014.
Voir l’article publié sur ce site: L’immolation de Podemos ou ses primaires. (Réd. A l’Encontre)
[4] Contre la fermeture d’une usine de Coca-Cola de la région de Madrid une lutte importante et longue s’est déroulée, recueillant beaucoup de sympathie. Movistar est l’un des sous-traitants du géant de la télécommunication Telefonica. Sur cette grève exemplaire, voir l’article qui sera publié sous peu sur ce site. (Réd. A l’Encontre)
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« Podemos es participacíon »
Pour une consultation populaire sur le règlement des primaires de Podemos
Podemos est né de l’audace et de la confiance en la majorité sociale qui pourrait construire un outil pour le changement alors que régnait la crainte des gens de participer dans les partis politiques. 50’000 signatures en 24 heures pour s’engager sur une route, suivies par la création de plus de 1000 cercles, 1’200’000 votes lors des élections européennes [mai 2014], une assemblée [Vistalegre, octobre 2014] où plus de 120’000 personnes purent [par internet] choisir les principes du parti et le processus le plus vertigineux que l’on connaisse de construction d’une alternative politique gagnante dans des milliers de villages, villes et communautés autonomes.
Nous sommes toutes et tous conscient·e·s aujourd’hui de nous trouver en un moment crucial pour le changement politique dans notre pays. Les élections dans les communautés autonomes et, surtout, les élections municipales [le 24 mai 2015] ont modifié la carte politique de l’Etat avec l’entrée en scène de dizaines de « municipalités du changement » et de centaines d’activistes au sein de conseils et de parlements régionaux. Initiatives débordantes, à partir d’en bas, qui permettent à ce que les vieux partis du régime ou leurs pièces de rechange [i.e. Ciudadanos] ne puissent récupérer de l’espace. Dans ce contexte, et grâce aux positions gagnées de manière épique en des lieux comme Barcelone, Madrid, Saragosse, Cadix, La Corogne ou Saint-Jacques de Compostelle, Podemos a l’opportunité de faire l’histoire, de prendre d’assaut le ciel. Et pour prendre d’assaut le ciel nous devons faire un effort supplémentaire, de générosité, d’unité et de participation. Il reste encore de nombreux territoires où le changement doit s’implanter, il y a encore de nombreux activistes que l’on doit encourager à participer au changement de pays.
A cette fin, nous qui signons ce manifeste sommes convaincus que nous pouvons encore profiter de cette opportunité et nous sommes convaincus que le Règlement qui a été choisi pour les primaires de Podemos ne le permet pas. Nous voulons qu’une consultation sur ce règlement soit lancée parce que cette conviction parcourt toute l’organisation, ses cercles [cercles territoriaux et thématiques] et ses conseils [instances locales et régionales de direction]. Nous avons besoin de primaires qui permettent un délai raisonnable [le règlement présenté le 27 juin oblige à ce que les candidatures soient présentées le 13 juillet et que le vote s’effectue le 24 du même mois] pour discuter avec d’autres forces sociales et politiques sans pour autant tomber dans l’addition de sigles ou d’appareils. Nous avons besoin de primaires qui facilitent la pluralité afin de refléter la diversité de ceux et celles qui se rassemblent en vue d’un changement. Nous avons besoin de primaires qui adaptent les listes en fonction de critères de proximité, à l’échelle provinciale ou autonome, renforçant la relation des inscrits avec leurs candidates ou candidats, améliorant l’implantation territoriale et indispensable pour gagner les élections. Nous avons besoin de délais et d’un modèle de circonscription qui stimulent la participation, notre meilleure arme pour susciter l’enthousiasme, pour croître et pour gagner.
Podemos a été depuis le début une plateforme d’empowerment populaire et citoyen, et c’est sur cette voie que nous devons continuer d’aller et indiquer que nous nous trouvons afin de gagner les élections générales. Quelque chose de plus qu’un parti politique. L’outil que toutes et tous pouvons utiliser pour changer les choses. C’est maintenant le moment de recommencer à valoriser une chose que nous avons dite à Vistalegre: « c’est en notre flexibilité et en notre capacité à l’innovation que réside en grande partie notre force. »
Nombre d’entre nous avons appris avec Podemos à ressaisir un rôle politique que, comme citoyen, nous n’étions pas habitués à exercer. Un investissement que nous ne voulons désormais plus perdre. Nous voulons continuer à bâtir ensemble parce que la route du changement doit s’édifier en commun.
Nous sommes convaincus que tout cela n’est pas possible avec le règlement approuvé et, pour cela, nous lançons cette récolte de signatures faisant appel au Consejo Ciudadano Estatal [l’exécutif au niveau de l’Etat] et au secrétaire général [Pablo Iglesias] pour que soit convoquée une consultation pour que l’Assemblée citoyenne puisse décider entre le modèle de primaires approuvés par le Consejo Ciudadano Estatal ou un autre qui se prononce en faveur d’une élection sur une base territoriale des candidates et candidats ainsi que pour un système électoral proportionnel.
Au sein de Podemos nous ne nous sommes jamais trompés lorsque nous avons donné la parole aux gens. (Traduction A l’Encontre)
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Ahora en común – invitation à la convergence
Ahora en común [ce nom fait référence aux deux coalitions qui ont remporté les mairies de Barcelone – Barcelona en común – et de Madrid – Ahora Madrid – le 24 mai dernier], une marée convergente pour gagner les élections générales.
La nécessité d’une candidature des gens et pour les gens avec pour ambition de transformer ensemble notre pays est une clameur qui monte des rues. Ahora en común est le nom d’un rêve qui bat dans le cœur d’une population qui aspire au changement.
Les nouvelles municipalités ont fait la démonstration que les processus participatifs, réalisés à partir d’en bas, provoquent la confiance et l’enthousiasme, débordant les campagnes électorales pour reprendre les institutions au service des gens. Ahora Madrid, Barcelona en Comú, Zaragoza en Común, Por Cádiz Sí Se Puede, las mareas [en Galicie] et d’autres candidatures de convergence nous indiquent le chemin pour changer non seulement les communes mais également l’ensemble de l’Etat.
Nous sommes convaincus qu’il est possible et inévitable de faire passer ce qui nous rassemble devant ce qui nous différencie afin d’aboutir à un accord autour d’une série de points programmatiques de sens commun qui reflètent le consensus social de notre époque: la nécessité de récupérer la souveraineté, régénérer et approfondir la démocratie, réstituer la désence et la transparence à l’exerice de la fonction publique, défendre l’universalité des droits humains (éducation, soins, alimentation, logement et travail) ainsi que d’établir la dignité, l’égalité, la soutenabilité, la participation et la justice comme principes directes de la nouvelle politique que reclament les défis et possibilités du XXIe siècle.
Ahora en común est une initiative citoyenne inspirée par la conviction que le succès réside dans l’union de la diversité et que, par conséquent, souhaite créer des espaces amples au sein desquels toutes les personnes et forces politiques qui misent en faveur du changement se sentent à l’aise dans le travail en commun, au moyen d’une méthode qui intègre, démocratique, qui garanti la pluralité et l’équité du processus de détermination des candidats et des candidates.
C’est maintenant qu’il faut construire une marée citoyenne en faveur de la convergence, capable de continuer sur la voie du changement ouverte par les nouvelles municipalités, gagner les élections générales et inaugurer une ère de Gouvernement des personnes pour les personnes. Ahora en común. ¡Sí se puede! (Traduction A l’Encontre)