Nous publions un point d’analyse écrit par Francis Viguié, militant d’Ensemble sur la situation en Espagne après les récentes élections et les tentatives du PSOE de constituer un gouvernement majoritaire.
Demain sera élu le gouvernement PSOE – UP (Unidas Podemos), de Pedro Sanchez. Nous en sommes au deuxième tour et, pour être élu, l’exigence est d’avoir plus de votes « pour » que de votes « contre » . Dans le cas de figure actuel, les abstentions sont déterminantes. La majorité est de 176 député-es, le PSOE en a 120 et UP en a 35. Soit un total, non suffisant, de 155.
Pour le premier tour ils ont réussi à cumuler 166 député-es en particulier avec l’ajout des 6 du PNV et des 3 de Mas Pais ( Errejon). Pour demain ils peuvent compter sur 167 députés, la Droite de son côté en a 165 ! L’élection se joue grâce à l’abstention des 13 de ERC et des 5 de Bildu.
L’accord de gouvernement avec UP va se concrétiser par l’entrée de Iglesias comme vice président et de 3 ministres dont Irene Montero, Alberto Garzon et Yolanda Diaz. Que ce soit Podemos ou Izquierda Unida, ils vont faire rentrer au gouvernement leurs principaux dirigeants, chez nous le PCF était plus prudent… Dans le cas présent, ce sont les dirigeants au quotidien et les plus connus qui seront responsables du bilan, les partis n’auront pas de marges de manoeuvre.
La fragilité du futur gouvernement est évidente.
Le PP, Vox et Ciudadanos sont dans une radicalité extrême et d’une grande violence.
Iglesias, et autres représentants de la gauche, utilisent, pour parler d’eux, la dénomination de « ultra derecha » pour le PP et de « ultra ultra derecha » pour Vox. Leur discours se résume à dénoncer la « haute trahison » de Pedro Sanchez qui pacte avec les indépendantistes pour « rompre l’Espagne » et s’associe au gouvernement avec les communistes et les pro Chavez. Pour eux, le gouvernement qui sera élu est « illégitime » vu son accord avec les indépendantistes et les « assassins » de Bildu
Leur politique va être le blocage systématique des textes en faisant appel à toutes les instances judiciaires ou constitutionnelles possibles.
Ils font donc le choix d’une judiciarisation de la politique et vont organiser des mobilisations de rue. Tous les sujets vont être bons, bien sûr la défense de l’Espagne mais aussi contre les droits des femmes et l’avortement, l’immigration, pour la religion obligatoire comme matière à l’école… Il n’y a pas de cordon sanitaire avec l’extrême droite franquiste de Vox et la hiérarchie de l’Eglise catholique est profondément réactionnaire et nostalgique du franquisme.
Trois exemples pour compléter le panorama ultra réactionnaire : le PP demande l’application immédiate du 155 en Catalogne, Vox a voulu organiser une messe à Séville pour les « bébés avortés » , l’Eglise appelle « à prier pour l’Espagne en raison du futur incertain de la nation » Le débat au Parlement renvoyait à la période ouvertement franquiste.
Les forces nationalistes se retrouvent dans le pour, le contre et l’abstention :
Côté « pour » il y a le PNV et le BNG ( Galice, qui aux européennes était avec ERC et Bildu)
Côté « contre » les partis catalans de JxCat ( Puigdemont) et la CUP.
La CUP a demandé la libération des prisonniers, le referendum…mais a aussi insisté sur les questions sociales et en particulier sur l’impossibilité de faire une véritable politique de gauche dans l’Europe actuelle.
Pour l’abstention, ERC et Bildu.
ERC a laissé de côté la voie unilatérale et cherche une négociation pour avancer vers un referendum négocié. Il me semble que les seuls points positifs concrets de l’accord avec le PSOE sont la reconnaissance « d’un conflit politique » et non d’un problème de coexistence ( convivencia) comme c’est écrit dans l’accord de gouvernement PSOE-UP. Le deuxième point est que le résultat final sera soumis au vote des catalan-es. Mais nous sommes très loin de l’amnistie et du referendum négocié. De plus se rajoute en Catalogne les décisions de justice européenne contradictoires avec celles de la justice espagnole comme nous venons de le voir avec la question des députés européens. De même, l’inhabilitation de Torra, président du gouvernement catalan, pour avoir refusé d’enlever les « lacets jaunes » d’un batiment public, ne fait que jeter de l’huile sur le feu.
Bildu a bien modéré son orientation. Depuis la fin de ETA et de leur soutien à la lutte armée, ils ont un problème d’orientation ( ils ne sont pas les seuls !). Ils ont surtout un problème majeur avec plus de 200 prisonniers politiques toujours dispersés sur le territoire espagnol. Les faire sortir de prison ou au minimum les rapprocher au Pays Basque ou encore qu’ils puisent bénéficier des réductions de peines est une urgence. Si les catalans ont réussi dans l’accord PSOE – ERC à ouvrir une négociation reconnaissant un conflit politique, ce n’est pas le cas en Euskadi où pour les partis comme le PSOE il s’agit d’un problème de terrorisme.
Mais 200 prisonniers c’est 200 familles militantes qui avaient l’habitude de manifester toutes les semaines, l’exigence de ces familles et de la jeunesse est une pression légitime et une responsabilité morale pour Bildu. ERC et Bildu vont donc, en s’abstenant, permettre la constitution du gouvernement.
Pour conclure, nous allons avoir un gouvernement minoritaire très fragile face à une droite aux accents franquistes décomplexés.
Le gouvernement a promis une hausse des salaires et une dérogation partielle ( 3 mesures seulement) à la loi Travail votée par le PP.
Nous verrons bien si l’arrivée au gouvernement du PSOE et de UP suscite des mobilisations mais le risque de crise économique est bien réel et l’avancée des négociations sur la Catalogne vont déterminer beaucoup de choses.
Francis