L’Assurance Maladie annonçait fièrement le 20 mai, généraliser son dispositif de contrôle des comptes bancaires des bénéficiaires de la CMU-c.
Elle s’appuie sur l’article L114–19 du code de la Sécurité Sociale mentionnant depuis 2011 le droit de communication, opposable à tout organisme disposant d’informations utiles, et ce par-delà le secret professionnel, à des fins de contrôle.
Le Syndicat de la Médecine générale publie une lettre ouverte ce 2 juin adressée au directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), N. Revel.
Une belle lettre contre un de ces hauts fonctionnaires qui détruisent de l’intérieur ce qui reste encore de nos institutions solidaires.
Monsieur le Directeur,
Pourquoi tant de haine et d’humiliation envers les pauvres ? Vous annoncez avec fierté la mise en œuvre, après expérimentation dans trois caisses primaires, d’un « super » contrôle des bénéficiaires de la CMU-C.
En mettant le projecteur sur la population pauvre de ce pays, vous omettez de dire que la véritable et importante fraude aux prestations sociales est le travail dissimulé de la part des employeurs. Il est toujours plus facile de taper sur ceux qui sont vulnérables, cela exige moins de courage que la lutte contre la fraude des employeurs. Votre expérimentation dit que la fraude des bénéficiaires de la CMU-C est anecdotique. Le rapport coût bénéfice est négatif, mais vous cherchez une posture politique de gestionnaire responsable, selon le credo de bonne gestion des finances publiques.
De plus qu’appelez-vous fraude ? Chez ces personnes la fraude est de dissimuler des ressources. Mais vous ne faites pas la différence entre l’organisation collective d’une escroquerie avec faux documents et la non déclaration par une personne d’une aide solidaire de la famille. Faut-il vous rappeler deux choses fondamentales : ces personnes sont précaires (la valeur d’un euro n’est pas la même pour eux et pour vous et la CMU-C est l’accès au droit fondamental des soins). Dans une de ces caisses, 30 % de la population renonce aux soins. Est-il cohérent, au regard des valeurs et des missions de l’institution que vous dirigez, d’investir des sommes considérables pour débusquer un tout petit nombre de fraudeurs, alors que vous savez que votre mission est d’aider à l’accès aux soins. Surtout, Monsieur le Directeur, ne répondez pas que votre mission est de bien utiliser l’argent public, car alors il faut commencer à balayer devant votre porte. Combien de millions d’euros jetés par la fenêtre à l’Assurance maladie : l’affaire Lucentis/Avastin, le remboursement des soins inutiles, le surcoût des dispositifs d’organisation que vous mettez en place qui, non seulement déstabilisent le système de l’offre de soins du premier recours, mais coûtent cher pour un service rendu quasi inexistant. Et nous pourrions parler de la politique du médicament et du coût de celui-ci, plus cher en France que dans le reste de l’Europe.
Non, Monsieur le Directeur nous n’avons pas besoin de morale sur la gestion du système de soins, nous avons besoin que vous défendiez les valeurs de la Sécurité sociale, celle de la solidarité, et d’abord pour permettre aux populations victimes innocentes de la crise économique de se soigner. Mesurez-vous le mal que vous faites avec votre chasse aux fraudeurs ? Vous faites de cette population le bouc émissaire de notre société en crise : c’est tellement plus facile de faire l’amalgame entre bénéficiaire d’un droit et un abuseur du système. C’est indigne mais non surprenant. Savez-vous que dans votre institution les contrôleurs zélés que vous employez promeuvent la délation en donnant crédit aux lettres anonymes, savez-vous que le dossier à remplir pour la CMU-C est une épreuve pour ceux qui en ont le plus besoin, savez-vous que vous ne respectez pas la loi en n’accordant pas l’automaticité de délivrance de la CMU-C aux bénéficiaires du RSA, savez-vous que l’accès en urgence à la CMU-C est bafoué régulièrement dans les centres de la CPAM ?
Alors Monsieur le Directeur, nous qui soignons tous les jours ces familles exclues de la société, nous avons de leur part un message à vous transmettre. La lutte quotidienne pour la survie demande du courage et de l’énergie, des valeurs de solidarité, les pauvres se prêtent entre eux comme probablement aucun autre de nos concitoyens, les pauvres avalent des insultes à longueur de temps, les parents pauvres soignent d’abord les enfants et prennent sans cesse des risques pour leurs vies… Alors Monsieur le Directeur, arrêtez d’humilier nos patients, mettez vos moyens et vos énergies à lutter contre les véritables fraudeurs et faites vivre les valeurs de l’Assurance maladie qui sont, d’abord, de protéger les plus faibles et non pas de s’en servir pour bomber le torse et faire croire que les déficits de l’Assurance maladie proviennent de la fraude de quelques dizaines de personnes qui ont osé dissimuler quelques centaines d’euros dans leurs dossiers. Vous allez regarder les comptes bancaires de ces personnes, alors dite-nous combien sont dans le rouge, combien de gens vivent avec presque rien. J’espère que la vue de la misère dans notre pays vous donnera la nausée.
Monsieur le Directeur, nous sommes des soignants, qui faisons vivre le magnifique projet de nos aînés ayant combattu le nazisme et imaginé la Sécurité sociale, alors, au lieu de défendre des vertus politiques qui n’en sont pas, soyez solidaire de notre combat !
Malakoff, le 2 juin 2015
Patrick Dubreil Président du SMG
Didier Ménard Président d’honneur du SMG