Moins d’une semaine après la victoire de Syriza, le ton est déjà donné. D’un côté, la composition et les premiers actes du gouvernement dirigé par Syriza, ainsi que le discours clair adressé à la Troïka et aux représentants de l’Union européenne, montrent une réelle détermination politique. De l’autre, les réactions, en Europe et ailleurs, de la finance, des institutions néolibérales, de la presse dominante, cherchent à imposer des lignes rouges au choix démocratique des grecs et à décrédibiliser son actuel gouvernement. Tout laisse, à présent, penser que la mise en œuvre du programme de Thessalonique, présenté par Alexis Tsipras, ne se fera pas sans affrontements.
Le résultat des élections de dimanche dernier, s’il est une victoire incontestable de Syriza et des forces opposées aux mémorandums et à la politique austéritaire imposée par la Troïka, n’est certes pas le raz-de-marée qui aurait permis la mise en place immédiate d’un gouvernement de la gauche anti-austéritaire pouvant s’appuyer sur une importante mobilisation populaire. Il exprime cependant le rejet catégorique des forces politiques grecques traditionnelles qui ont accepté et mis en œuvre toutes les mesures de l’austérité imposées par la Troïka, sans qu’aucun résultat ne soit obtenu, sinon l’augmentation de la dette publique, et une crise sanitaire, économique et sociale – dont les conséquences dramatiques ont déjà été longuement exposées – pour le peuple grec. Les partis Nouvelle Démocratie, et plus encore le Pasok se sont effondrés et les petits partis « centristes », créés pour entretenir la confusion politique et faire obstacle à la progression de Syriza, n’ont pas obtenu de scores significatifs.
Toutefois, pour former un gouvernement et obtenir une majorité au Parlement, Alexis Tsipras a dû rechercher une alliance avec un petit parti politique, les « Grecs indépendants » (ANEL), souverainiste, anti-austéritaire, réactionnaire sur biens des questions sociétales, mais très hétérogène en ce qui concerne ses choix politiques et sa composition, et qui a accepté l’essentiel du programme proposé par Syriza.
Dès le lundi 26 janvier, A. Tsipras posait deux actes symboliques : la prestation de serment sur la Constitution et non sur la Bible, comme c’était de tradition, jusqu’à présent, et le dépôt d’une gerbe sur le monument en hommage aux 200 héros communistes de la Résistance exécutés par les nazis le 1er mai 1940. Ce geste marque la continuité du combat pour la démocratie et l’indépendance ainsi qu’un avertissement très clair aux néonazis d’Auie Dorée, 3ème force du Parlement, avec 17 députés.
La composition même du gouvernement (http://syriza-fr.org/2015/01/28/composition-du-gouvernement-de-syriza-un-gouvernement-du-salut-public/), qui donne une place importante à des activistes politiques et des universitaires, montre la volonté d’Alexis Tsipras de donner des responsabilités à toutes les composantes qui ont permis la victoire du 25 janvier. Elle permet de se tenir sur une ligne de crête étroite entre des positions permettant la négociation avec les institutions européennes et l’Allemagne d’Angela Merkel et des mesures concrètes d’amélioration immédiate de la situation de la population grecque, de remises en cause immédiates de certains points des memorandums et d’engagements vers la transformation démocratique de l’appareil d’Etat. Les plus importants ministères économiques sont tenus par des économistes classés plutôt à l’aile droite de Syriza, tels Giorgos Stathakis et Yannis Varoufakis, qui auront pour tâche de renégocier la dette grecque, sur la base d’une déclaration très claire de Yannis Dragasakis, vice-premier ministre du gouvernement : « le mémorandum c’est terminé ». Le ministère de la relance productive est confié à Panagiotis Lafazanis, chef de file de la Plate-forme de Gauche, et le ministère de la réforme administrative – un enjeu essentiel en Grèce aujourd’hui – est confiée à Giorgos Katrougalos, député européen qui était intervenu en France lors du meeting de soutien à Syriza une semaine avant les élections.
Les décisions prises à l’issue du premier Conseil des Ministres dessinent une voie nouvelle, nettement ancrée à gauche : arrêt de la privatisation du port du Pirée, ainsi que de la compagnie nationale d’électricité, relèvement du salaire minimum à 750 euros, réintégration des femmes de ménage de l’administration des finances – en lutte depuis des mois suite à leur licenciement, symbole des mesures les plus injustes imposées par la Troïka – démocratisation de l’accès à l’Université, acquisition automatique de la nationalité grecque pour les enfants d’immigrés nés en Grèce (malgré les prises de positions opposées du parti des Grecs indépendants)… Et la rencontre, hier à Athènes, entre le président de l’Eurogroupe Joroen Dijsselbloem et le ministre des finances, Yannis Varoufakis, a confirmé le refus du gouvernement mené par Syriza de collaborer avec la Troïka ainsi que sa position ferme dans la négociation avec l’Union européenne.
Ces premières mesures et prises de position du gouvernement grec dirigé par Syriza se heurtent, soit d’une manière violente, soit d’une manière plus feutrée, à l’opposition des instances européennes, du FMI et de l’Allemagne, en particulier. Ici, plusieurs logiques sont à l’oeuvre: celle de la confrontation, clairement exprimée par Jean-Claude Juncker, qui déclare qu’« il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens » ; celle de Christine Lagarde qui, dans la droite ligne des politiques désastreuses conduites en Grèce comme ailleurs par le FMI, défend qu’il reste des « réformes structurelles » essentielles à faire ; et celle portée par certains sociaux-démocrates européens, qui seraient prêts à soutenir, tactiquement et jusqu’à un certain point, la Grèce dans ses négociations, en vue de peser sur les choix austéritaires d’Angela Merkel et de tenter d’enrayer la radicalisation dans d’autres pays européens.
Dans les premières déclarations avant la négociation, les tenants de la confrontation avec le gouvernement mené par Syriza ont mis des limites très claires : il ne peut être question de renégocier le montant de la dette, l’échelonnement ou les taux, peut-être, mais pas le montant. Ils s’appuient sur une campagne de presse menée dans la plupart des grands medias européens (Le Monde, El Païs, La Stampa…) qui vise à faire croire que les contribuables des pays européens devront « payer de leur poche » l’annulation d’une partie de la dette grecque, à entretenir la confusion autour de Syriza en le présentant comme irresponsable, inexpérimenté et incapable de gouverner. Plus subtilement, il a pu s’agir aussi, afin de le couper de ses soutiens dans l’opinion publique et dans la gauche radicale européenne, de présenter Syriza comme un gouvernement « rouge-brun », ami de Poutine, ou même, comme dans certains articles italiens, comme partisan des « larges ententes » (socio-démocrates et libéraux), comme le prouverait son accord avec un parti de droite…
C’est pourquoi la solidarité avec le peuple grec passe aujourd’hui par le soutien aux premières mesures du gouvernement de Syriza. Dans le bras de fer qui va l’opposer aux forces néo-libérales, il devra êtee capable de s’appuyer sur les mobilisations populaires et ouvrières en Grèce même, mais aussi sur les mobilisations de solidarité que nous serons capables d’impulser face aux manœuvres et à la propagande de la Troïka et des gouvernements actuels des autres pays de l’Union européenne.
Alexis Cukier, Mathieu Dargel