Pour bien comprendre la face cachée de cette réforme, il est important de commencer par démasquer les non-dits et les mensonges du gouvernement. Pour Emmanuel Macron, la réforme est « indispensable sauver notre système par répartition ». La rhétorique est toujours la même. Depuis des décennies, les gouvernements démantèlent nos acquis sociaux et les services publics en prétextant que seules leurs réformes sont en mesure de les sauver. Ils utilisent pour cela une série d’arguments sur lesquels il est utile de revenir. (…) Un cadre vivra en moyenne 6,4 ans de plus qu’un ouvrier[1]. Les projections d’allongement de la vie qu’utilise le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) sont elles aussi discutables. Comme le rappelle le démographe Hervé le Bras, l’évolution récente plaide en faveur d’une faible augmentation de l’espérance de vie, contrairement aux hypothèses retenues par le COR et qui ont été invalidées pour les années récentes[2].
(…) Par ailleurs, l’évolution démographique doit toujours être croisée avec un autre facteur, les gains de productivité. Car aujourd’hui, avec la technique et l’intensification du travail, un travailleur produit beaucoup plus de richesses qu’il y a 20 ans.
(….) Si les dépenses sont sous contrôle, pourquoi le COR prévoit-il un déficit sur une période donnée ? La raison est simple, depuis près de 30 ans, les gouvernements n’ont pas cessé d’exonérer de cotisations sociales les entreprises et l’Etat ne compense pas intégralement ces exonérations. Ces exonérations de cotisations sociales étaient estimées à 75 milliards d’euros pour l’année 2022 dans le Projet de loi de finances de la Sécurité Sociale (PLFSS). S’y ajoutent au moins 10 milliards d’euros de manque à gagner pour la Sécurité sociale du fait des exemptions d’assiette, comme les primes liées à l’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise. Sur le temps long le taux effectif de prélèvement employeur au niveau du SMIC est passé de 42,6% à 6,9% en 30 ans du fait des mesures successives de réduction des cotisations au niveau des bas salaires.
Les gouvernements construisent donc sciemment le déficit. Cette politique favorable aux entreprises leur permet d’augmenter leurs marges et donc de verser des dividendes généreux à leurs actionnaires. En vingt ans, le chiffre d’affaires global des entreprises du CAC40 a augmenté de 74 % et leur profit de 77 %[4]. Les dividendes des entreprises du CAC40 volent de sommets en sommets pour atteindre 80 milliards d’euros en 2023, contre 15 milliards en 2001 (+433%) ! L’augmentation des dividendes entre 2022 et 2023 (+23.5 milliards) est plus élevée que le déficit de 20 milliards estimé par le COR en 2032.
Ces dividendes alimentent les inégalités, le groupe de luxe LVMH a vu son chiffre d’affaires multiplié par 4,5, ses profits par 10 et ses dividendes par 9 entre 2000 et 2019 et son PDG est ainsi devenu l’homme le plus riche de la planète avec une fortune estimée à 213 milliards d’euros. Toutes les politiques des gouvernements successifs ont eu comme objectif de diminuer les cotisations et donc le salaire brut pour augmenter les profits des entreprises avec comme conséquence un transfert de la valeur ajoutée produite du travail vers le capital.
Pourquoi cette réforme ?
Cette réforme vise juste à accentuer cette dynamique et à infliger une défaite sociale à notre camp. Reculer l’âge de départ de la retraite à 64 ans et allonger la durée de cotisation à 43 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein aura pour conséquence une baisse du niveau des pensions. (…)
L’objectif est bien de réduire le montant des pensions. Partout où des réformes identiques ont été conduites, les pensions ont diminué, avec comme conséquence la paupérisation des retraités. La France est le pays d’Europe où il y a le moins de retraités pauvres, 10% en France contre 19% en Allemagne, 16% aux Pays Bas et même 13% en Suède.
La diminution des pensions vise à augmenter la part des retraites par capitalisation. En effet, si le montant de la capitalisation a déjà doublé entre 2004 et 2020 pour atteindre 16 Mds €, il demeure faible au regard du volume global des fonds dédiés à la retraite, qui atteint 332 Md€. En France, seulement 10% de la population active française est couverte par un produit d’épargne retraite quand ce taux est de 100 % en Suède, 60 % aux États-Unis, 50 % au Royaume-Uni et 40 % en Allemagne.
Le capitalisme financier veut donc mettre la main sur cette manne financière qui pourra ainsi alimenter la suraccumulation du capital et la spéculation. Les pressions des fonds de pensions comme BlackRock, Amundi ou Axa sont fortes. Ouvrir le marché français est un enjeu important, c’est la raison pour laquelle les dirigeants et actionnaires de ces entreprises ont soutenu Macron.
Plus largement, les représentants du capital industriel et commercial cherchent à réduire les cotisations. (…)
Mais ils veulent surtout une défaite politique pour notre camp. Ils sont toujours à la recherche de la bataille finale comme celle qui a permis à Thatcher de vaincre les mineurs anglais. Le capitalisme français n’a jamais digéré que la sécurité sociale verse avec ces 5 branches près de 475 Md€ de prestation, soit plus que le budget de l’État, qui atteint 400 Md€.
L’auto-organisation pour élargir et durcir le mouvement social
80% des français sont opposés à la réforme, 68% sont même favorables à un retour à la retraite à 60 ans. Rarement un gouvernement n’a entamé une réforme dans un climat idéologique aussi défavorable. De plus, cette réforme fait l’unanimité contre elle. Tous les syndicats de salariés et d’étudiants mobilisent dans les grèves et manifestations. Les mobilisations du 19 janvier (près de 2 millions) et du 31 janvier (2.8 millions) ont été historiques.
Maintenant, comment faire reculer le gouvernement ? Il faut d’abord exercer une pression maximale sur tous les députés de la majorité et des Républicains, pour que la loi ne soit pas votée au Parlement. Ensuite, il faut durcir le mouvement, pour que celui-ci coûte plus au capital industriel et commercial français que ne lui rapporte la réforme. Nous devons donc aller vers des grèves massives et des occupations d’entreprises et de places. Mais ce durcissement ne pourra jamais être décrété d’en haut. (…)
Hendrik Davi, député LFI-NUPES.