Il y a tout juste un an éclatait l’affaire Weinstein, finalement accusé de harcèlement, agressions sexuelles et viols par plus de 90 femmes. En guise d’événement-précurseur, l’affaire Strauss Kahn, en 2011, avait également eu un grand retentissement, mais rien de comparable. En effet, l’affaire révélée en 2017 est à l’origine du mouvement #Metoo, dont l’onde de choc n’a pas fini d’exercer ses effets. Les femmes qui se sont exprimées alors sont celles dont on peut considérer que, plus que d’autres, elles en avaient les moyens en raison de leur situation économique et sociale et de leur visibilité, femmes politiques, actrices etc. Le fait même qu’il ait fallu attendre si longtemps pour qu’elles s’expriment traduit la force des rapports de domination subis. Cette expression n’a pas entrainé un clivage social, une réaction de rejet renvoyant ces femmes à leur position dominante, mais un large mouvement d’identification et de solidarisation, signe d’une lame de fond sans précédent. On est loin d’un féminisme vu comme socialement marqué, individuel, valorisant la réussite de certaines, celle-ci supposant qu’elles en exploitent d’autres. Loin aussi d’un féminisme désormais « autorisé », dont une partie des dynamiques émancipatrices ont été digérées par le capitalisme, comme l’explique la philosophe Nancy Fraser.
Elle a entrainé dans son sillage des mobilisations de masse, sur la question des violences sexistes et sur d’autres sujets, notamment l’avortement. Le 8 mars 2018 a été une des principales occasions de démontrer la dynamique féministe libérée par #Metoo. La victoire des femmes irlandaises lors du referendum concernant l’avortement, les mobilisations impressionnantes au Chili ou en Argentine s’ajoutent à ce tableau.
Pourtant, en France, si les effets de #Metoo ont été immédiats (notamment avec #Balancetonporc), ils ne s’étaient pas traduits jusqu’ici par des mobilisations de masse. Il y eut même des réactions très négatives dans certains secteurs (on se souvient de la tribune notamment signée par Catherine Deneuve), et en particulier de femmes des classes dominantes semblant considérer que les acquis de la révolution sexuelle des années 1960 et 1970 étaient menacés.
Le pari de cette journée de mobilisation du 24 novembre contre les violences était de prouver qu’une mobilisation massive était possible en France comme ailleurs, et que de la logique de solidarité individuelle (« me too ») on pouvait passer à une logique collective (« nous toutes »). C’est un succès incontestable, qui redonne confiance et espoir pour l’avenir.
Si l’on n’en est pas aux centaines de milliers d’Espagnoles manifestant le 8 mars, la mobilisation a réuni au minimum 50 000 personnes, dans plus de 50 villes. Décidément, les nouveaux modes de mobilisations, via les hashtags et les réseaux sociaux, sont surprenants, et parfois déstabilisants pour des militantes issues de traditions plus anciennes. Le contexte n’était pourtant pas très favorable, puisque les manifestations semblaient condamnées à passer au second plan, derrière celles de Gilets jaunes. Et partout on retrouve les traits qui ont marqué les autres mobilisations à travers le monde : le nombre important de jeunes, souvent majoritaires, la jonction avec les anciennes générations de féministes, la dimension radicale de la remise en cause du patriarcat, les mots d’ordre communs …
Voilà qui démontre les capacités à retisser un mouvement féministe à l’échelle internationale. Et si c’est bien à une 3e vague du féminisme que l’on assiste – l’avenir le dira, et il convient d’y contribuer -, elle a enfin touché les côtes françaises. Devant l’urgence, le mouvement féministe a pris conscience qu’il était temps de faire en sorte de surmonter les débats bien réels qui traversent ses différents courants.
Ingrid Hayes