Un texte de notre camarade Philippe Bayer.
La question grecque nous invite à une réflexion théorique sur notre manière de l’aborder. Il y a en effet quelque chose d’assez étonnant, et révélateur sur notre impuissance à pouvoir penser la/les situations : nous avons été élogieux sur Tsipras, et de simples commentateurs lors du référendum . Et tout à coup est apparue l’évidence : il manquait un plan B. Certes, on avance avec l’expérience, et celle-ci est nouvelle. Mais là, on a l’impression qu’on commence chaque fois de rien : comment avons-nous pu ne pas voir que le référendum n’avait pas grand sens sans plan B, et dans les termes posés.
1) On fait de ce débat (comme F Sitel) une opposition entre point de vue dogmatique et analyse concrète d’une situation concrète. Pour dire quelque chose de mon point de vue, se revendiquer pour celle-ci de Lénine (comme D Bensaid), ne me semble pas d’un bon rapport. Il ne semble pas en effet que la démocratie surdéterminée par un point de vue de classe tirant sa vérité d’une philosophie de l’histoire, soit à l’image de notre idée de la démocratie. Le problème de cette opposition, c’est que soit elle parle trop, pour associer ce dogmatisme à une sorte de maladie infantile, toujours pour reprendre Lénine, soit pas assez, pour demander à être redéfini du point de vue de l’abandon d’une vision philosophique de l’histoire, ou plutôt, et la différence est d’importance, d’une philosophie de l’histoire.
La différence est importante, car abandonnant une vision philosophique de l’histoire, on garde cette même histoire, et ce dans la mesure où on a compris la théorie marxiste comme une historicisation de catégories anthropologiques (travail…). Mais l’histoire n’a eut une telle signification pour la pensée, que dans la mesure où, dans le même temps, on lui prêtait un sens (« nous ne reconnaissons qu’une seule science, celle de l’histoire »). Il n’est donc pas possible de refuser un sens à l’histoire, tout en gardant ses catégories comme déterminantes, et dès lors qu’on a rejeté le déterminisme historique, c’est cette « historicisation » qui aurait dû être rejetée. Mais non, on l’a conservée en éliminant seulement son « déterminisme », soit quelques passages problématiques de ce point de vue, mais avec ce résultat assez ruineux : la tendance à réduire la « théorie » à une expérience historico-empirique, reposant sur des catégories anthropologiques. Car si l’histoire n’a plus de sens, elle a une continuité que l’on croit pouvoir lire à travers ce qu’il y a de commun à ses différents moments. Et c’est dès lors une « grande » méthode que se donne la pensée réflexive, la pensée qui se pense elle-même, que de chercher le « quelque chose de commun ». Comme on parle toujours de cette histoire, si elle n’a plus de sens, ce dont on parle se donne dans l’empirie de la pure contingence qui demande à être en une écoute politique permanente pour en saisir l’opportunité du présent (cf D Bensaid). Car cette écoute présuppose une attente de quelque chose qui doit advenir, non pas avec certitude, mais avec ses fortes probabilités et ses possibilités.
Cette histoire conservée nous plombe. C’est comme si l’histoire n’ayant plus de sens, il n’y a plus de sens du tout à interroger. Il y a pourtant quelque chose d’assez étonnant. Si l’histoire n’a plus de sens, si donc le mode de production capitaliste n’est pas dans un sens de l’histoire, et si pourtant, contre tous nos « pronostics », le capital a pu se construire de ses débuts jusqu’à aujourd’hui, où « il nous explose en pleine gueule », comment se fait-il que ce fait ne nous fasse pas plus nous interroger sur le sens de cet extraordinaire « contresens » qu’est le sens de cette « catastrophique réussite »? Le parallèle entre nos erreurs de diagnostic, et l’avancée tonitruante du capital, aurait dû nous interroger, et d’abord nous forcer à nous interroger sur la validité de nos catégories de pensée, conservée avec le « continent » histoire comme objet de pensée. Au lieu de cela, on parle en termes d’écoutes, d’attentes (d’autres événements), de possibilités, tout ce qui nous renvoie à l’analyse concrète d’une situation concrète. Dans ce débat sur la Grèce, il y a une multitude de points de vue, qui donne l’impression d’un vide théorique, tout le monde y allant de ses analyses teintées d’impressionnisme évasif et aléatoire.
D’où le capital tient-il sa force hégémonique actuelle ? Ce rapport de forces inversé, d’où vient-il ? On répondra le mur, la chute de l’URSS.. ! Mais c’est en rester à la description extérieure d’un phénomène. De mon point de vue, les réponses renvoient à ce que nous avons pris les vessies du capital pour des lanternes de l’histoire, ou, pour le dire autrement, le mouvement ouvrier s’est trompé d’histoire. S’il n’y a pas de philosophie de l’histoire, qui suppose un sujet unidimensionnel, il y a une philosophie de l’histoire propre du capital, du fait justement de son sujet unidimensionnel, que le Dernier-Marx nous livre 1. Car ceci nous oblige à nous interroger sur le sens du capital, la logique vitale de ce sujet dialectique, et ne plus en rester à une analyse extérieure menée par un intellectuel en surplomb sur son objet : le capitalisme. Marx nous fournit dans le Livre un du Capital une théorie du capital, et non pas du capitalisme, cette réalité plus concrète où intervient divers sens et, à ce titre, objet d’une analyse politique, ce rapport de force politique dont nous n’interrogeons pas suffisamment le sens dominant qui le structure.
Dans l’attente passive de l’événement, il y a comme le constat qu’en l’absence de sens de l’histoire, il n’y a plus qu’à être vigilant à la manifestation de ses contradictions internes, et cette vigilance scruta tive est assurée par l’analyse concrète de la situation concrète. Le moment théorique sur lequel repose celle-ci, est celui qui établit les contradictions internes du capitalisme. Mais pour être exprimé par ses contradictions internes, il faut que l’histoire soit commune à ces éléments contradictoires, sans quoi le conflit concerne des acteurs simplement opposés par l’indifférence de leur vies parallèles. Le rapport de force mesure alors la différence d’accès à un même objet, dont on parle le même langage. Le langage hérite certes d’une socialisation autour de valeurs communes, mais quand ces valeurs se réduisent à une seule, le langage se structure autour de celle-ci (bisness, Job…), pour exprimer le comportement socialisé. Le capital a son langage en tant qu’il est le concept d’une socialisation, et qu’il n’est pas réductible à la propriété privée des moyens de production, figure qui présuppose elle-même son langage, qui n’est qu’apparemment celui de l’histoire.
Ce qu’il y a toutefois de juste dans cette façon de voir, qui est celle de D Bensaid, c’est la primauté accordée au présent. L’histoire doit être lue au présent, comme ce qui s’en donne comme événement. Mais si l’on croit ainsi se prémunir contre les grandes constructions historiques, on se trompe lourdement. Chez le Dernier-Marx aussi, il y a une primauté du présent. Mais non pas un présent comme moment d’un temps objectif, mais comme moment où s’ origine la vie 2, et qui ne s’oppose pas en cela, bien au contraire, à un déterminisme théorique de la vie spécifique du capital. Mais ce qu’il y a de problématique, c’est que, s’étant contenté de gommer les passages déterministes de la « théorie », on ne voit pas que ce qui se donne à toute chance de se donner, non pas de l’histoire, mais de l’être spécifique du capital.
Il faut en finir avec la catégorie fétiche de la contradiction interne au capitalisme, qui n’a de sens qu’en tant que celui-ci serait le fossoyeur de lui-même. C’est dans la mesure où l’attente de l’événement procède d’une contradiction interne, qu’elle s’inscrit dans une probabilité relevant d’une sorte d’« éternel retour ». Avec cette figure, on conserve une forme de certitude du devenir, non plus inscrite dans une temporalité déterminable, mais dans une indétermination temporelle. Des jugements précipités du concept dogmatique, on passe à une sorte de « patience du concept », une attente que la situation concrète révèle la « présence du concept ». L’attitude critique envers le dogmatisme est louable, sauf que procédant d’une attitude critique de la pensée sur elle-même, on a confondu le déterminisme historique avec tout déterminisme possible. Et que dès lors, dans cette attente passive des effets de la contradiction interne, on laisse l’espace au développement du capital puisque, en matière de contradiction interne, c’est de celui-ci qu’il s’agit. Pour s’en sortir, il faut au contraire en cultiver les extériorités, bref s’en extraire.
2) Le maître mot de l’analyse concrète d’une situation concrète est le rapport de force. Quand on parle de rapports de force, c’est généralement à un texte du Livre un du Capital qu’on se réfère, où le travailleur vient exiger de son capitaliste la baisse du temps de travail, et qui se termine par le fameux : droit contre droit, qui décide ? La force. C’est ce que font D Bensaid et A Artous, par exemple, pour en tirer des conclusions à mon sens erronées, dans la mesure où le Livre un nous donne, comme nous venons de le dire, une théorie du capital et non pas du capitalisme où se jouent des rapports de force politiques.
Il y a, en effet, d’abord à remarquer quelque chose d’étrange ici : le fait que la force procède du droit, alors qu’en bon matérialiste, on sait qu’au contraire, au niveau de la formation économique et sociale où se jouent des rapports de force, c’est de la force que procède le droit (cf. le détricotage du droit du travail à partir du rapport de force favorable du capital). Mais ce qu’on ne remarque pas, et qui vient éclairer ce fait, c’est que Marx fait intervenir des protagonistes parlant le même langage, celui de la rationalité propre au travail, qui vient structurer le langage juridique. C’est à ce moment théorique de la soumission réelle du travail au capital, que Marx fait dire au travailleur s’adressant au capitaliste : Tu m’as acheté ma force de travail…elle t’ appartient donc ; En bon gestionnaire de ma marchandise-force de travail, j’exige une journée de travail normale… Qu’est-ce à dire, sinon que Marx vient nous dire ici, non pas un rapport de force politique, mais ce qui le structure autour de la logique du capital, qui est celle du travail dès lors qu’on reconnaît à celui-ci une rationalité propre, une rationalité transcendante qui fait que le droit de la personne s’arrête aux portes de l’entreprise.
De ce point de vue, on doit cesser de considérer l’ultralibéralisme comme relevant d’une pure idéologie, que le rapport de force politique des années 80 aurait permis d ‘appliquer. Bien loin de n’être qu’une pure idéologie (en fait, il s’agit bien d’une idéologie, mais au sens, plus complexe, où le capital, c’est-à-dire sa logique, est idéologique…), l’ultralibéralisme est la manifestation de ce stade achevé que nous rencontrons dans le Livre un du Capital, celui de sa « réalité effective » où le sujet-capital s’autoreproduit, se rendant plus difficile à être combattu. Au contraire, le capitalisme que nous qualifiions d’achevé, celui comprenant les 30 glorieuses, n’était qu’un « capitalisme aux béquilles », nécessitant/ouvrant aux « compromis » et autres négociations. Ce stade est terminé, et c’est pourquoi il nous faut revoir nos stratégies de lutte contre le capital
Ainsi, s’agissant de la Grèce, on voit que c’est justement en gérant la question au seul niveau du rapport de force politique, que Tsipras s’est trouvé pieds et poings liés face à l’Eurogroupe. La détermination de ce dernier était prévisible, pour être habité par la logique dominante du capital avec ses évidences normatives pour lesquels toute déviance est de l’ordre de la pure irrationalité.
De ce point de vue, on peut, si l’on veut, parler d’un néocolonialisme s’agissant de la politique de l’Eurogroupe, mais à la condition de voir sa différence essentielle d’avec le colonialisme. Celui-ci appartient à un stade du capitalisme où son « œuvre civilisatrice » se revendiquait des valeurs des Lumières. À son stade actuel, le capital n’a plus à se parer de valeurs extérieures, mais auto justifie son action à partir de ses propres valeurs, ses normes de rationalité qui définissent le civilisé comme celui qui s’y plie (réformes structurelles…). Et en cela, l’Europe manifeste son rôle d’avant-garde dans l’« oeuvre civilisatrice » du capital.
Le rapport de force à une valeur explicative des plus faibles. On ne peut expliquer le niveau extrêmement bas de la « lutte des classes » par un rapport de force des classes, par les politiques néolibérales menées par les Etats. Comment ceux-ci peuvent-ils se le permettre ? Le rapport de force devient une explication passe-partout, si on ne le renvoie pas à ce dont il relève. En définitif, on ne peut l’expliquer que par l’imprégnation sociale de la logique du capital, la rationalité du travail imposant sa normalité en s’opposant radicalement à la lutte des classes, une rationalité s’imposant par une logique vitale se frayant son chemin dès lors que l’on ne s’y oppose pas effectivement, pour en avoir été aveuglé.
La structuration du rapport de force doit donc être prise en compte. Pour avoir cru en la possibilité d’un débat « rationnel », la compréhension de Tsipras est largement déterminée par la rationalité du travail. Il y a là un langage commun qui joue à fond, et qui prend le discours « keynésien » comme relevant de ce même langage. Ce qu’il est en tant que moment de la rationalité du travail, celui de son besoin de « béquilles ». Vu l’état du « rapport de force », il nous faut revenir à ce stade du capital, où les « béquilles » que constitue le système keynésien n’en sont plus, ses principes n’étant pris que comme des outils pour une autre politique, qui nous met sur une autre voie tentant de mener vers l’émancipation, bien loin de gérer un moment du capital. C’est cela la transition… On peut bien avoir un programme anti austéritaire, on ne fait que du keynésianisme-béquille, si on ne se donne pas les moyens politiques d’un programme de transition. Or, on ne peut se donner ses moyens politiques qu’en sortant de l’euro, seul moyen pour s’en prendre à la logique structurale.
On a rejeté toute idée de philosophie de l’histoire, mais on en conserve, « par réflexe », nombre de catégories. Derrière l’attachement à l’Europe, il y a cette idée que derrière sa forme capitaliste, il y a quelque chose d’un contenu qui se réalise. Or, cette histoire de la forme/contenu relève de l’héritage de l’universalisme des Lumières, cette philosophie du progrès dont hérite le marxisme. C’est cet universalisme abstrait qui reste aveugle sur l’universalité bien concrète du capital. Comment peut-on croire que derrière l’œuvre du capital, se réalise malgré tout une amorce de l’humanité, alors même qu’il est, par essence, sa destruction.
Certes, c’est universalisme se nourri des « valeurs sociétales », pour lesquels l’Europe apporte, parfois et pour certains Etats, des avancées. Mais si le schéma historique a capté les « valeurs sociétales » pour se définir comme transformation humaine les englobant . On les inclut nécessairement dans notre combat pour l’émancipation dans la mesure où celle-ci n’est rien sans ces valeurs de reconnaissance de l’autre. Mais il faut bien voir que le capital n’a que faire du genre et de la couleur de ses « serviteurs ». On peut-être de « gauche », pour être plus ou moins porteur de ces valeurs, tout en étant un fervent serviteur du capital. Maintenant qu’on a « Les Républicains », il nous manque « Les Démocrates », attachés aux mêmes fétiches, mais « plus ouverts » aux « valeurs sociétales ».
3) Il me semble qu’il y a, dans le débat sur l’euro, une incompréhension quant à sa nature essentielle. Peut-on dire que « l’euro est bien un attribut décisif du pouvoir de ce quasi Etat qu’est l’Union européenne dans la zone euro » (F Sitel). C’est une idée quasi unanime qui fait de la monnaie un attribut du pouvoir étatique. C’est, je crois, ne pas avoir saisi le message du Dernier-Marx. Il me faut , pour le montrer, faire un rapide tour d’horizon du Chapitre un du Capital (édition française).
Dans ces Notes marginales sur Adolphe Wagner, postérieures au Capital, Marx fait la distinction explicite (mais non vu) entre la « marchandise » et la marchandise. Si cette distinction n’a pas de sens dans les éditions antérieures à l’édition française, c’est en celle-ci qu’elle apparaît implicitement.
C’est de cette marchandise que part Marx. Mais sitôt nommée elle disparaît de l’horizon : « La marchandise est d’abord un objet, une chose qui satisfait… ». Et c’est de la « marchandise » qu’il va s’agir, c’est-à-dire d’une forme d’apparition de la marchandise. Celle-ci réapparaît à la fin de la §1 en tant qu’objet vital de la dépense de force de travail (ça, c’est le Dernier-Marx qui le dit, pas la lecture traditionnelle qui en reste à la « marchandise »). Puis elle redisparaît au profit de la « marchandise » tout au long des§2 et §3. Mais elle réapparaît à la fin, selon le principe du développement dialectique où le début est également à la fin.
Dans la §3, Marx développe la forme de la valeur jusqu’à la monnaie. Arrivé à celle-ci, une marchandise se trouve exclue du monde des marchandises, et c’est la monnaie. La tradition en a déduit que la monnaie n’était pas marchandise et n’avait pas de valeur (problème de l’expression de la valeur que nous n’aborderons pas ici), et l’attribut du pouvoir de l’État. Mais à y regarder de plus près, on se rend compte que, logiquement, ce n’est pas la « marchandise » qui est exclue définitivement, mais la marchandise qui est exclue du monde des « marchandises ». Et cette exclusion n’est pas constitutive du pouvoir de l’État, mais a le sens d’un refoulement absolu. D’où ce fétichisme de la marchandise-monnaie en tant que lui est attribué transcendantalement la totalité de la puissance qu’il a fallu refouler, soit la négation de l’être de l’homme dans l’unique sens vital de la force de travail, ce par quoi règne sur nos sociétés capitalistes le dieu-travail.
En tant qu’objet vital de la dépense de force de travail, ainsi exclue-refoulée, la monnaie instituée porte en elle toute la confiance inquestionnée et inquestionnable dans la « rationalité du travail », c’est-à-dire dans la logique du capital, et est « par nature » imperméable à toute démocratie pour s’affranchir du pouvoir étatique. Dans ces développements, l’État gestionnaire de la monnaie apparaît comme un moment, juste avant l’exclusion de la marchandise, où une « marchandise » « joue le rôle » (Marx ) de la monnaie, mais n’est pas monnaie, pour être une exclusion-refoulement inachevée, et où, en tant que « marchandise » exclue, elle a le monopole d’un pouvoir sur les autres « marchandises », monopole qui de ne peut être exercé que par l’État. Comment parler de l’euro en termes de « pouvoir de ce quasi État », quand on voit les Etats se déliter eux-mêmes au profit de la BCE chargée de veiller au déploiement de la rationalité de la valeur et/ou du capital, à l’abri de toute interférence extérieure ?
La monnaie n’est pas un simple moyen facilitateur de l’échange (théorie de la valeur-utilité). Marx montre d’où vient cette confiance de la pensée raisonnable, qui accouche de la valeur d’utilité et de ce troisième objet. D’un être extérieur à ce qui se présente à lui comme un procès objectif dans lequel l’héritier des Lumières doit s’inscrire pour croire le maîtriser en pensée, évitant ainsi d’avoir à le reconnaître comme un don de Dieu, ou comme provenant de sa propre négation. Mais elle n’est pas non plus immédiatement un moyen de pouvoir d’une classe, point de vue qui se construit à partir d’un même procès objectif, pour en donner un autre point de vue, la valeur-travail et l’argent, toujours conçu comme un troisième objet. Un moyen, on peut toujours s’en rendre maître pour en faire le moyen d’une autre politique, mais dès lors qu’on interroge non plus de l’extérieur, mais de l’intérieur, le sens vital ou la logique du capital, on voit que sa monnaie n’est pas un simple moyen de pouvoir, mais son pouvoir lui-même, de par ses attributs propres. Elle n’est pas « un instrument redoutable au service des classes dirigeantes et de leur intérêts fondamentaux, obsédées qu’elles sont d’ultralibéralisme et d’autoritarisme, prêtes à tout pour soumettre ceux qu’elles jugent être déviants au regard de son orthodoxie économique, politique et idéologique. Une approche purement économique ne permet pas de comprendre la leçon de cette histoire : pour mettre au pas un gouvernement qui leur déplaît politiquement, ces classes dirigeantes sont prêtes à détruire économiquement un pays membre de l’Union… » (F Sitel).
La condamnation pour déviance ne procède pas immédiatement d’un jugement à partir d’une orthodoxie décrivant un système de pensée relevant de sphères de l’histoire (économie, politique et idéologie), mais d’une normalité vitale spécifique. Aussi ne parle-t-on pas ici de la même économie. On confond l’économie, cette sphère de la vie spécifique du capital qui prend les allures d’une norme de la vie sociale en dominant tout autre sens vital, avec l’activité productive des hommes donnant sens à leur vie multidimensionnelle. À celle-ci, on ne demande pas seulement que les hommes l’effectuent en conscience, comme si la non conscience consistait à se laisser conduire, de l’extérieur, par des rapports objectifs autonomisés, cette reprise du schéma feuerbachien de l’aliénation religieuse par un point de vue objectiviste qui, après tant d’expériences négatives devrait lui-même se remettre en question. Car on oublie que Marx ne cesse depuis l’Idéologie allemande de vouloir construire le tout à partir de l ‘un, pour ne pas céder aux constructions idéalistes à partir de concepts. Or, ce sont bien à ces identités abstraites, d’où l’on construit des concepts, que l’on s’en tient, avec notamment le travail abstrait comme substance de la valeur, que l’on prend immédiatement en la §2, alors que Marx montre son origine matérialiste (un matérialisme non anthropologisé) en la §1. C’est dès lors que l’on n’a pas compris que le matérialisme historique s’est trompé d’histoire, pour avoir cédé aux sirènes du progrès des Lumières, que l’on croit pouvoir, non sans raison, remettre en cause le schéma de superposition déterminante infrastructure/ superstructure, pour en diluer les composantes dans une tout non hiérarchisé, d’où en sort une économie politique critique d’une « analyse purement économique ». Je pense qu’au contraire, une « analyse » économique, en tant que sphère propre du capital, permet de comprendre beaucoup de choses de l’histoire d’une « économisation » de la vie, même si, évidemment, elle ne permet pas, en tant que telle, de construire une action, nécessairement politique, contre elle. La compréhension de la logique du capital en son lieu n’a rien à voir avec l’« économisme » que l’on peut reprocher à la philosophie de l’histoire de Marx. Mais c’est tout autre chose que de lui opposer une sorte de « politisme », où l’on ne sait plus trop de quoi on parle.
4) L’Europe est une machine du capital. Mais ce serait une erreur que de croire qu’il suffit d’en sortir. Car ce sont les logiques à l’œuvre dans les Etats qui ont construit spontanément l’Europe à leur image, comme la forme de leurs croyances expressives : un « État » supranational, non soumis aux aléas de la lutte des classes, qui n’a aucune réalité au niveau de l’Europe, en opérant sur une sorte de « terre vierge », comme les États-Unis se sont construits comme l’avant-garde du capital dans un Etat « sans histoire ». C’est par cela que l’Europe peut apparaître comme la nouvelle avant-garde du capital. Entre l’Europe et l’euro, il n’y a pas de différence essentielle. Tous deux participent d’un stade du capital où celui-ci s’est « autonomisé » du politique, ou plus exactement, où le politique disparaît dans un « politique » soumis à sa logique.
Car la crise de la démocratie est concomitante au développement de la logique du capital, qui étend sa domination en étendant la logique du travail. Avec la professionnalisation de la vie, ce sont toutes les logiques autres qui sont soumises à la rationalité du travail, et n’ont plus droit de citer face à elle. Pendant longtemps, la « démocratie » a semblé ne s’arrêter qu’aux portes de l’entreprise, là où primait la rationalité du travail. On voit qu’au dernier stade du capital, l’espace-entreprise s’étend. Quand la « politique » devient l’activité de professionnels, ceux-ci soumettent la logique du politique à celle du capital en tant que logique du travail. Et face à eux, le peuple n’a plus de consistance pour ne pas être porteur de la vérité des experts, ces professionnels qui détiennent la vérité par définition.
Ce n’est pas seulement l’euro qui pose problème à la démocratie. Il n’est que le dernier avatar de la logique des Etats soumis à celle du capital. Ainsi, quand Hollande demande plus de gouvernance politique de l’euro, il ne fait que signifier que le rôle de la BCE peut être tenu par des « politiques », tout autant soumis à l’évidence de la rationalité économique. Dans la confusion des histoires et des objets théoriques, on a trop longtemps et trop rapidement parlé de l’État du capital, tenu comme une sorte de postulat, alors que jusqu’à son dernier stade, l’État n’était encore qu’une « béquille ». Entre l’État gaullien et l’État libéral d’aujourd’hui, il n’y a pas seulement une différence de politique relative à un rapport de force entre les classes, mais une différence qui renvoie au développement de la logique propre du capital. L’État du capital est une réalité récente, en train de se réduire à ses fonctions régaliennes. Parmi celles-ci, la gestion de la « politique » monétaire, c’est-à-dire d’une monnaie qui n’est pas qu’un outil politique, mais l’expression immanente du pouvoir du capital sur la société.
Comme troisième objet, moyen, la monnaie est construite par une pensée puisant sa vérité dans l’idéal des sciences mathématiques. Mais la monnaie-marchandise n’est pas un troisième objet issu d’une logique de pens ée, de cette pensée qui s’en fait un « moyen », mais la chose même de la socialisation économique d’une société économisée. Cette dimension spatiale de l’économique se mesure à l’étendue-présence de la marchandise dans la vie de l’individu. Avec l’extension de la rationalité du travail, non seulement « on » doit se plier à ses exigences, mais l’homme accède à la marchandise par le travail, et tout autre accession à la « marchandise » par tout autre moyen (l’Etat redistributeur …) constituent une anormalité qui doit être soumise à la norme décrétée par le sens vital spécifique du capital. Arc-bouté sur le schéma historique, la recherche du « commun » nous fait lire la remise en cause de l’« État-providence » comme s’aidant d’outils aptes à défendre l’intérêt de la classe dominante à « faire du fric ». Sauf que l’intérêt contre intérêts en reste au schéma idéologiquement déterminé du droit contre droit, ce « fric » en tant que monnaie-marchandise disant plus sûrement que, derrière cet intérêt, c’est la logique du capital (et du travail) qui agit.
L’Europe a été un formidable vecteur de l’extension de la logique du capital. Quel autre terrain plus efficace que celui où, à l’abri des espaces de la « lutte des classes », elle pouvait s’exprimer librement. Mais ce n’est pas une construction « volontaire » et « consciente », réalisé e par une pure idéologie. La même logique s’est déployée, mais plus lentement pour faire face à des obstacles, au niveau des Etats. C’est dire si le simple retour nationaliste, la « sortie fétiche » de l’euro, ne réglerait rien, pour s’inscrire dans une logique du capital appelant son propre dépassement. La sortie n’a de sens que pour pouvoir mener une politique de sortie de la logique du capital, dans les seuls lieux où elle peut être menée, là où il y a encore de la « lutte des classes ».
5) Jusqu’ici, je n’ai fait que poser la question du principe théorique de la nécessité de la sortie de l’euro et de l’Europe, et ce contre les tenants d’un « principe théorique » de la nécessité d’y rester pour mener la lutte de l’intérieur. Cependant, entre le principe théorique et la réalité concrète du politique, il y a un pas où s’active effectivement l’analyse concrète des rapports de force, éclairés, comme j’ai tenté de le montrer, par ce qui les structures. Ici, les deux points de vue,dogmatique/ analyse concrète, se distinguent l’un comme confiance dans la pensée principielle , posant quasiment que l’expérience doit confirmer les principes ; l’autre comme méfiance envers les principes pour la prudence dans l’analyse concrète, où l’expérience n’en finit pas de s’imposer pour s’en remettre à ce qui se donne. Mais dans les deux cas, l’expérience des faits ne sont que des objets de pensée, pour des intellectuels habiles à manier les concepts.
Pour ma part, là où il y a un risque de « dogmatisme » c’est dans le fait de relativiser la démocratie, non pas comme principe abstrait (comme le fait trop, à mon sens, le projet de texte sur l’émancipation), mais comme nécessité incontournable à la réussite d’un projet qui demande la vérification d’une nouvelle socialisation en cours. À travers elle, c’est l’expérience du peuple qui s’impose à notre projet d’émancipation et qui, à ce titre, importent plus que notre propre expérience, si prompte à être sollicitée en tant que telle, dans un oubli ruineux de la logique du capital.
Ici, la question n’est pas de se positionner pour ou contre la perspective « de réformes par petits pas successifs ». Le réformisme social-démocrate ne se caractérise pas par des « petits pas » auquel s’opposerait la révolution en une sorte de grand soir. Peut-on déjà parler d’un réformisme social-démocrate, quand on voit que son actualité est celle d’un réformisme à l’envers, ce « réformisme » appelé par la logique du capital, au point que médiatiquement, c’est celle-ci qui fait ses « révolutions » coloriées, pour bien montrer que la couleur du temps n’est plus le rouge. Que tous les partis socialistes soient systématiquement appelés à la même « politique », n’est-ce pas l’expression d’un devenir qui se réalise, et que nous n’avons pas su qualifier ? C’est dire s’il nous faut revoir l’histoire du mouvement ouvrier, ce prisme qui nous a fait qualifier des« choses » un peu à l’emporte-pièce.
Les « petits pas » n’ont, en tant que tels, rien d’expressifs politiquement. Tout dépend dans quelle logique ils s’inscrivent. La révolution est permanente pour s’originer dans une rupture traçant la voie d’une autre logique vitale. Pour cela, dans l’état où l’on est, un rapport de force structuré par le stade néolibéral du capitalisme, il s’agit de revenir en quelque sorte à un État-béquille, afin d’y prendre l’initiative politique capable de lui faire prendre une autre voie. Pour être effectives et mener vers leur propre devenir, ces politiques doivent être faites par et pour le peuple. Bon nombre de juste questions/problèmes posés dans le texte sur l’émancipation ne peuvent trouver de solutions qu’à cette condition. Par exemple, pour que l’autogestion ne déraille pas vers une société marchande « sophistiquée », il faut qu’elle ait ses sujets. Or, ceux-ci ne seront pas là, majoritairement, dès les premières mesures politiques. Il faudra oeuvrer par « petites touches » en quelque sorte, en mettant en place des institutions structurantes mais évolutives, et vérifier démocratiquement leurs effets sur les comportements relevant de l’expérience des individus dans ces nouvelles conditions. C’est de ce point de vue que le souci démocratique est essentiel au projet.
De ce point de vue, si l’opposition de la plate-forme de gauche a pu faire preuve d’un certain dogmatisme, c’est pour avoir affiché avant même les élections de janvier la nécessaire sortie, alors même qu’en l’absence d’expérience du peuple, Seriza n’aurait pu alors gagner ces élections. En revanche, l’expérience des mesures du mémorandum et des conditions dictatoriales des négociations, auraient dû, avec un travail politique, rendre possible la prise de risque d’ouvrir le référendum à la question décisive.
Dans leur texte, les camarades Sitel, Mamet et Mérieux, nous disent que « toute politique de rupture durable avec l’ultralibéralisme, ou avec le productivisme (…) sera appelée à s’inscrire dans une dimension européenne, en libérant celle-ci du carcan de ses institutions actuelles ». Si la sortie de l’euro est, selon moi, une absolue nécessité pour pouvoir mener la politique d’une autre voie, tout en étant soumis à l’expérience du peuple, celle de l’Europe semble pouvoir être posée différemment, dans la mesure où, sorti de l’euro, on peut y mener notre politique faisant absolument fi des admonestations de l’Europe. Mais combien de temps… Que la dimension européenne soit l’objectif d’une politique de transition, évidemment personne n’en disconviendra. Mais la question est celle-ci. Doit-on attendre que les conditions européennes s’y prêtent, et se défendre d’en sortir sous prétexte que c’est de l’intérieur qu’il faut mener le combat jouant sur ses contradictions internes ? Autant dire alors qu’on attendra encore Godot en jouant à la soeur Anne scrutant l’horizon d’où doivent se donner ces contradictions internes. Lesquelles ? Celles que Tsipras aurait eu le mérite de mettre à jour entre Hollande et Merkel ? Mais n’est-ce pas là, précisément, des contradictions internes au seul capital, dont je ne vois pas ce qu’on peut en attendre, sinon s’endormir au son des petites musiques ? Ou bien doit-on reconstruire de fond en comble cette Europe, en en sortant si nécessaire pour appliquer notre seule politique de sortie du système du capital ? Car où trouver à l’échelle européenne, une lutte des classes qui en ouvrirait les possibles, alors même que de par sa nature, elle en verrouille toute émergence (il n’y a pas plus intégrées aux structures du capital que les institutions syndicales européennes).
Il est vrai que si l’on fait de l’Europe un contenu soumis à la forme des « politiques » ultralibérales construisant le « carcan de ses institutions actuelles », les choses semblent plus simples à penser. Mais on l’a vu, me semble-t-il, l’Europe de l’euro ne se réduisent pas à cela. Et de ce point de vue, afficher le principe d’y rester, n’est-ce pas du dogmatisme…
Philippe Bayer
Merci Philippe pour ce texte. Quelques premières remarques.
Ce que tu dis sur la monnaie et sa fonction dans le capitalisme actuel est important, une question à réétudier pour des personnes comme moi.
Je ne sais pas bien à quels textes de Bensaïd et Artous tu fais référence; l’ « attente passive de l’évènement » est portée par Alain Badiou, pas par Bensaïd qui fut militant jusqu’au bout, il rappelait que les révolutions sont imprévisibles mais à préparer avec une « longue impatience ». Surtout, je ne comprends pas en quoi les textes sur l’émancipation publiés, de façon inachevée par Ensemble ne prennent pas en compte suffisamment la question démocratique et ce que tu dis me semble rejoindre ce qui y est dit. La nécessité d’un programme de transition de notre époque y est dite, comme tu en l’appelles de tes vœux, même si c’est de façon juste initiée.
Concernant la Grèce, la sortie de l’euro comme nécessité actuelle et compréhensible par le peuple, s’impose logiquement. Nous en sommes d’accord. Le groupe grec « Unité populaire » porte cette question démocratique en Grèce. Certes un référendum sans plan B était source de confusion, tu as raison. Mais c’est après le référendum que Varoufakis a dit qu’il avait fait une ébauche de plan B secrètement e que Tsipras s’est opposé à cette orientation au lendemain de référendum; nous ne savions pas avant le référendum ce que préparait ou pas Tsipras. Ce qui est un problème démocratique.
D’accord je crois sur l’explication de la non réformabilité du capitalisme, ce capitalisme sans dehors.
Bonjour Pascal
Quelques commentaires sur tes remarques
1) Sur la monnaie : ce n’est pas seulement une question réétudier par toi. À ma connaissance personne n’a vu ce qui est, il est vrai, implicite, c’est-à-dire découle logiquement du Dernier-Marx.
2) Bensaid et Artous n’ont rien écrit ensemble. Leurs commentaires respectifs sur ce texte à propos du droit et de la force est, si je me souviens bien, chez Bensaïd, Marx l’intempestif, chez Artous dans son petit bouquin sur le fétichisme chez Marx. Pour info, Kouvelakis c’est aussi un commentaire, déjà à mon sens plus intéressant, sur ce passage dans sa contribution à Marx après le marxisme T2.
3) Je connaissais très bien Bensaïd et je suis étonné que tu puisses opposer son militantisme achevé à « l’attitude passive de l’événement ». Je parle d’une passivité active, militante, au sens où Bloch parlait d’une passivité liée au déterminisme historique, et où le messianisme de Benjamin, auquel se réfère Bensaïd, garde de cette croyance, par définition passive. Ce n’est pas le fait d’attendre quelque chose qui pose problème. Que fait-on d’autre aujourd’hui, et l’espérance (catégories de Bloch) est elle-même une attente. C’est le faite que ce quelque chose soit toujours inscrit dans une histoire avec ses contradictions internes. Ce dernier terme me hérisse toujours car il relève d’une philosophie de l’histoire qui prête toujours un sens à l’histoire, même si c’est avec une temporalité indéterminée. Alexandre R a dit « on aura notre heure », ce qui me semble relever de « les révolutions sont imprévisibles, mais à préparer avec une longue impatience » (ta synthèse sur Bensaïd). À cela, Pascal C oppose, et je suis d’accord sous bénéfice d’inventaire, une visée qu’on a au présent, soit, pour moi, une espérance sans aucune certitude, ce qui nous oblige à travailler au présent, aidé de la de logique systémique du Dernier- Marx, sans nous référer à une histoire qui nous a amené là où nous en sommes. Que le PC soit institutionnalisé, c’est le problème. De son histoire imprégnée du bureaucratisme stalinien,il ne reste pas grand-chose : il n’est pas plus bureaucratisé que bien d’autres … En définitif, ce que je critique, c’est la passivité d’une croyance (messianique) en l’histoire.
4) La démocratie est au centre du texte sur l’émancipation. Je ne peux donc dire qu’elle y est insuffisamment prise en compte. Je dis qu’elle y est trop, mais pas seulement, prise, parfois, en tant que principe abstrait duquel on ne peut rien tirer d’un point de vue stratégique. Par exemple, le vote pour les 39 heures à Smart…est « démocratique »…, et alors…
5) Sur le plan B, on savait que c’était un désaccord entre Tsipras et l’opposition au sein de Siryza. Et ayant lu tous les textes (ceux que j’ai reçu dans cette période) sur la Grèce, je maintiens qu’au moment du référendum, on ne sait jamais poser la question de savoir si Tsipras le préparait ou pas. On se disait plutôt que ce référendum accroissait le fameux rapport de force (abstrait lui aussi) par rapport à l’Eurogroupe.
Amitiés
Philippe B
Merci de tes réponses, Philippe.
Concernant Bensaïd, il faisait référence à Benjamin mais sa praxis était pas une application d’un messianisme; il insistait sur le fait que la politique n’était pas une application d’une philosophie politique, à l’occasion il faisait alors référence à Lénine (il avait dit qu’il écrirait à propos de Lénine et la politique, puis il est mort). Il parla d’une absence de but des évènements historiques, des bifurcations imprévues dans l’enchainement des séquences historiques, des possibles en référence à Blanqui. Il porta une critique d’Ernest Mandel et de son déterminisme optimiste (Mandel ne fut pas seulement un déterministe bien sûr). Il fut un de ceux qui posèrent les matériaux d’un refus du déterminisme en histoire. Car je l’ai lu aussi.
Aujourd’hui, nous attendons? Je crois que cela est moins vrai que jamais. L’analyse de l’UE, de son évolution nous fait apercevoir le danger post-fasciste comme d’autant plus présent que la crise du capitalisme va connaitre des rebondissements destructeurs, que les capitalistes font des choix autoritaires de plus en plus marqués. Nous n’attendons point le messie, mais tentons de convaincre quelques milliers de salarié.e.s et de jeunes de nous rejoindre. Avec un succès encore bien piètre.
Concernant la démocratie dans les textes actuels sur l’émancipation de Ensemble, je ne les trouve pas si abstraits. C’est une approche incomplète mais que je trouve riche. La question est de savoir si ce sera l’occasion de discussions ou pas dans Ensemble!, ou pas.
Concernant la Grèce, je ne saisis pas bien ce en quoi l’analyse que nous fîmes fut fausse selon toi, et ce qui est à en déduire concernant nos tâches politiques actuelles. La question du plan B était sous jacente à beaucoup d’analyses; trop implicite sûrement; mais que Tsipras fasse un référendum, le gagne, pour en déduire qu’il n’en retiendrait qu’un appui à sa personne mettant en place un nouveau memorandum, ça nous ne l’avions pas prévu (dans Ensemble!).
Bonjour Pascal
Sur ce qui concerne Bensaïd, de toute évidence tes remarques s’adressent à un texte qui en ferait un défenseur du déterminisme historique. Ce qui n’est pas du tout le cas… Personne n’attend le messie… La question n’est pas là !
Je suis d’accord, la démocratie n’est pas si abstraite que cela dans le texte sur l’émancipation, puisqu’elle ne l’est que parfois… Et je suis d’accord aussi que le texte est « forcément » incomplet, mais riche.
Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire que du référendum, Tsipras n’a retenu qu’un appui personnel pour mettre en place un nouveau mémorandum : il a cru à son impact sur un rapport de force structuré autour d’un débat « rationnel », et il n’est pas le seul. C’est tout le problème.
Amitiés