5 décembre 2025

La lettre de Regards. L’ob­ses­sion de la dette ou l’art de faire passer la casse sociale pour une néces­sité histo­rique

L’ob­ses­sion de la dette ou l’art de faire passer la casse sociale pour une néces­sité histo­rique

par Pablo Pillaud-Vivien

Ce mardi, le premier ministre va détailler les 40 milliards d’éco­no­mie que le gouver­ne­ment veut impo­ser. Son mantra : réduire les services publics… et pas les cadeaux aux grandes entre­prises.

C’était il y a plus de vingt ans, en 2002. François Bayrou, déjà lui, déjà sur RTL, prenait un ton grave : « La dette de la France est de 1000 milliards d’eu­ros, 6000 milliards de francs. Il faudrait la bais­ser ! […] Ce n’est pas raison­nable ! » 15 000 euros par tête, calcu­lait-il, pour mieux affo­ler les audi­teurs. Depuis, la dette a triplé. Et encore les mêmes mots, les mêmes paniques, les mêmes recettes. La même rengaine : serrer la cein­ture, main­te­nant, tout de suite, avant que la catas­trophe ne nous englou­tisse.

François Bayrou, devenu premier ministre, a déclaré il y a quelques jours que la France « court un danger mortel » du fait de sa dette. Mortel, rien que ça. La France mena­cée de dispa­ri­tion ! Notre sort collec­tif serait donc suspendu à une équa­tion comp­table. À croire surtout que l’éco­no­mie publique fonc­tionne comme un budget de ménage, ou comme une carte bleue qu’on aurait trop fait chauf­fer.

Tout cela n’a rien d’in­no­cent. Ce discours n’est pas simple­ment un excès de prudence ou une malheu­reuse péda­go­gie. Il est l’ins­tru­ment d’un projet. L’ob­ses­sion de la dette est le masque poli de la poli­tique libé­rale. Elle justi­fie tout : coupes budgé­taires, suppres­sions de postes, aban­don des services publics, priva­ti­sa­tions. Elle permet, au nom de la « raison », de dépouiller l’État de ses moyens, de ses missions, de ses ambi­tions. Pour que le marché fasse mieux, pour que la « main invi­sible du marché » orga­nise la vie collec­tive à la place du poli­tique.

Pour parache­ver de nous téta­ni­ser, l’an­goisse de la guerre est aussi mobi­li­sée. La France doit réar­mer, être crainte, être puis­sante. Et donc, pour ce faire, elle doit réduire tout le reste. Moins d’hô­pi­taux, moins d’écoles, moins de trans­ports publics, moins de justice. Mais plus de canons, plus de drones, plus de budgets pour l’ar­mée. Quand il y a la guerre, on ne discute pas. On obéit.

Ce double chan­tage, de la dette et de la guerre, n’a d’autre but que de rendre inévi­table ce qui est un choix. Un choix poli­tique et idéo­lo­gique. En 2023, l’État a versé 211 milliards d’eu­ros d’aides publiques aux entre­prises. C’est un tiers de son budget total. Et ce n’est pas Regards qui le dit, c’est un rapport séna­to­rial, voté à l’una­ni­mité de la commis­sion d’enquête du Sénat. Que dit ce rapport ? Qu’il faut divi­ser par trois ce chiffre. Ça en fait des milliards à récu­pé­rer ! Plus qu’il n’en faut. 

Il suffi­rait d’avoir un peu de courage poli­tique. D’oser dire aux grandes entre­prises qu’elles n’ont pas besoin d’argent public pour augmen­ter leurs divi­dendes, de mettre des condi­tions, de la trans­pa­rence, de la justice. Bref, de gouver­ner autre­ment que comme des comp­tables du Medef. La France ne vit pas au-dessus de ses moyens. Ce sont ceux qui la dirigent qui vivent en dessous de leurs respon­sa­bi­li­tés. Et ce ne sont pas les dettes qu’il faudra bien rembour­ser mais la violence sociale qu’ils auront orga­ni­sée qu’il faudra répa­rer.

Pablo Pillaud-Vivien

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