« La nuit des tentes : le pire s’est produit. L’hor­reur et l’in­digne, la statue de la Répu­blique était pétri­fiée »

Commu­niqué commun

« Le pire n’est pas les images, c’est la nuit qui a de nouveau avalé les exilés dehors

Le pire est que les 400 exilé.e.s présents, à 19h, place de la Répu­blique, dormi­ront de nouveau dehors cette nuit, loin à Clichy, loin à Saint-Denis, cachés sous les ponts des canaux ou ailleurs, invi­sibles. Le pire est que de nouveau, nous ne les verrons pas s’en­dor­mir bles­sés dans le froid. 

Non, l’épou­van­table n’est pas arrivé lorsque la police a sorti les exilés, à 20h, des tentes que l’as­so­cia­tion Utopia avait dressé sur la place de la Répu­blique[1]. Les forces de l’ordre ont commencé à jeter plusieurs centaines de tentes ache­tées ce week-end pour les mettre à l’abri. Les corps délais­sés des exilés, sortis de force, les tissus légers volant entre les airs de mains en mains poli­cières, les toiles bien­tôt déchi­rées, les visages de toutes et tous fati­gués… Nous n’étions là qu’au début.

Non plus, ce n’était pas le pire lorsque avocates et avocats de Droits d’ur­gence, du Bus de la soli­da­rité, du Conseil natio­nal du barreau, ont plaidé sans succès avec les forces de l’ordre pour éviter les charges de la police. Ils se sont faits char­ger comme toutes les personnes exilées, les asso­cia­tions Wilson, Utopia, la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Il était 21h, place de la Répu­blique, et les trois charges succes­sives de la police n’étaient toujours pas le pire contre ce campe­ment de fortune et ces défen­seur-e-s comme les asso­cia­tions et collec­tifs Utopia, LDH, Soli­da­rité Migrants Wilson.

Encore, des élu.e.s de la Répu­blique, l’écharpe trico­lore devant les tentes, proté­geant les exilés et les soutiens, ont été bous­cu­lés sans raisons. Ce n’était pas non plus l’im­puis­sance des élu.e.s face à la force publique qui était le plus trau­ma­ti­sant ce soir. Non, la plus grande colère n’a pas été ces déman­tè­le­ments orga­ni­sés et violents des chaînes paci­fistes d’hommes et de femmes, des asso­cia­tions et collec­tifs de la LDH, d’Uto­pia, de Méde­cin du monde, des élu.e.s et des avocat.e.s. Les vagues poli­cières ont brisé ces chaînes de soli­da­rité ; nous n’étions encore qu’au début.

Plus tard, élu.e.s, exilé.e.s, asso­cia­tions, pour­chas­sés dans les rues de Paris, ce n’était pas le pire pour ce soir, malgré les coups de matraque pour ceux et celles qui ne couraient pas assez vite, malgré la rési­gna­tion qui gagnait tous les cœurs devant l’ab­sence de solu­tions d’hé­ber­ge­ment que pour­tant certains élu.e.s propo­saient à la préfec­ture de Paris. De 21h à 1h du matin, cette longue course parse­mée de charges poli­cières, de tirs de LBD, de grenades de désen­cer­cle­ment, de milliers de forces de l’ordre quadrillant l’es­pace pour deux cents personnes, cette longue marche absurde, sans cohé­rence ni respect des droits, n’a pas été le plus triste cette nuit. 

Le pire n’est pas les images choquantes, horribles et indignes, ces vidéos de personnes exilées pour­chas­sées, de jour­na­listes piéti­nés par les forces de l’ordre ou d’élu.e.s maltraité.e.s. Ces images qui circu­le­ront les prochains jours dans tous les médias et réseaux asso­cia­tifs, ne montrent pas la véri­table horreur. 

Le pire s’est produit : ils et elles reste­ront dehors cette nuit. Là est la folie.

Et les nuits à venir, ils et elles seront là ou revien­dront, d’autres s’y ajou­te­ront, là est l’in­di­cible. Tant que ce cycle sans cohé­rence d’éva­cua­tions bâclées conti­nue, tant que les dispo­si­tions légis­la­tives ne permettent pas à tout deman­deur d’asile, réfu­gié ou sans-papier, sans distinc­tion, l’ac­cès à un héber­ge­ment digne, tant que les fonds étatiques seront insuf­fi­sants pour créer des places d’ac­cueil véri­table, le système perdura malgré les éclats violents d’une nuit. De Calais à Paris, à la Roya, les mêmes méthodes s’ins­tallent petit à petit sur tout le terri­toire.

La plus lourde faute de l’Etat est enfin plus loin, plus profonde. Au-delà du droit inter­na­tio­nal et français bafoués, c’est la destruc­tion de l’es­poir qui s’in­si­nue dans nos cœurs. Espoir d’une vie meilleure après des vies persé­cu­tées, espoir d’avoir ici un droit inal­té­rable, simple et néces­saire, d’ob­te­nir protec­tion : un accueil, un toit et une procé­dure d’asile respec­tant les droits. 

Nous étions sous la statue de la Répu­blique, récla­mant l’ap­pli­ca­tion des prin­cipes du droit répu­bli­cain. Nous n’avons vu qu’un déchaî­ne­ment de violences inutiles, sans solu­tions d’hé­ber­ge­ment pour ces 400 personnes exilées.

La statue n’a pas réagi cette nuit, elle est restée seule sur la place vidée, pleu­rant ses droits, une fois de plus, piéti­nés.

Premiers signa­taires :

Utopia 56, Droits d’Ur­gence, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Soli­da­rité migrants Wilson, Syndi­cat des avocats de France (SAF), Elena, Réseau d’édu­ca­tion sans fron­tières (RESF), Avocats pour la défense des droits des étran­gers (AADE), Cimade Ile-de-France, Dom’A­sile, Syndi­cat de la magis­tra­ture, Emmaüs France

Paris, le 24 novembre 2020

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