En 1971 commence à être publiée une bande-dessinée qui devient un film en 1973 : L’an 01. Dans ce récit haut en couleurs des utopies de cette période, la population décide de tout arrêter – production, travail, école, etc. – et de se mettre à réfléchir à ce qui doit être redémarré ou pas. Les usines de voiture ? Les fabriques de pâtes ? Les grands magasins ? les grandes fermes industrielles ? Dès les premières pages de la bande-dessinée, le ton est donné : il faut arrêter ce mode de vie qui n’a plus de sens et qui mène la planète à la catastrophe.
Aujourd’hui, nous n’avons pas choisi de nous arrêter. Mais, comme au début des années 1970, le non-sens – ou plutôt le contre-sens – de ces modes de vie et de production, la catastrophe vers laquelle ils nous amènent, nous invitent à notre tour à ne plus vouloir redémarrer sans savoir ce qu’il faut redémarrer, ce qu’il faut transformer et ce qu’il faut arrêter absolument.
La tentation – en particulier d’une réponse « de gauche », mais pas seulement – est, comme dans l’après seconde guerre, d’une grande « relance ». La tentation est d’autant plus grande qu’elle apparaitrait comme une victoire face à l’orthodoxie européenne austéritaire qui impose aux Etats de ne pas dépasser les 3 % de déficit budgétaire annuel.
Si la crise du Covid-19 va être le drame de millions de morts, de blessés, de chômeurs dans le monde, la reprise économique pourrait être un nouveau drame : celui, après une baisse massive des émissions de CO2 pendant la pandémie, d’un effet rebond où la relance de l’économie ferait exploser les émissions de gaz carboniques. Pour autant, cette relance – parce qu’elle resterait dans le cadre d’une économie mondialisée dans un sens ultra-libéral et productiviste – reproduirait les mêmes impasses qu’avant la crise. Elle ne prendrait pas à bras le corps combien – comme l’a encore montré cette crise – le souci de l’autonomie individuelle va de pair avec la consolidation des liens sociaux et institutionnels. Elle pourrait s’accompagner, pour « lever les freins » à la croissance, de nouvelles remises en cause du droit du travail, des dispositifs de solidarités collectives, des contraintes environnementales, sans compter les limitations aux libertés publiques. Elle serait anti-sociale, anti-écologique et liberticide. Nous refusons d’être mis devant ce fait accompli.
Pendant l’épidémie des millions de travailleurs se sont très concrètement interrogés sur l’utilité de leur travail, des millions de personnes se sont interrogés sur l’absence de sens de leur vie d’avant, même si la vie pendant le confinement était difficile. Il nous appartient de faire que ce questionnement s’approfondisse et débouche sur des reconversions très concrètes elles aussi.
Dès à présent, à rebours de l’individualisme égoïste et concurrentiel promu par le néolibéralisme comme des modèles alternatifs soit disant « collectivistes », mais en réalité étatistes et bureaucratiques, qui ont failli hier, ce qu’il faut discuter ce n’est pas comment tout va redevenir comme avant mais comment, dans un monde nécessairement interdépendant, rien ne doit être comme avant si nous voulons vraiment tirer les leçons de la pandémie actuelle.
Pendant le confinement, il nous faut continuer ces débats, ces prises de positions, ces échanges sur ce qui ne doit pas continuer comme avant. Il faut trouver les formes pour faire converger ces réflexions.
Avec un nouvel agir, mû par le désir de vie et de solidarité nous devons mettre en débat la question de comment terminer le confinement général.
Ne pas retourner au travail mais dans nos lieux de travail pour y tenir des assemblées où décider de ce que nos productions doivent devenir : être arrêtées ? Ré-orientées dans un sens soutenable écologiquement, socialement, moralement ; relocalisées en mondialisant autrement, via le développement des coopérations et des solidarités internationales ? Ne pas retourner dans les cafés et les restaurants pour relancer la consommation mais pour y tenir aussi des assemblées et en faire les nouveaux « clubs » révolutionnaires de quartier où nous inventerons concrètement le nouveau monde ? Le confinement général doit-il se terminer par une grève générale ? Sortir de chez nous pour ne pas retourner au travail mais dans les rues pour obtenir la démission des pouvoirs en place ?
Ce dont il faut discuter avant que la folie de nos vies ne nous emprisonne à nouveau est cela : comment ne pas redémarrer pour tout recommencer ?
Parmi les signataires:
Geneviève Azam, essayiste, membre d’ATTAC ; Christophe Aguiton, altermondialiste ; Paul Ariès, directeur de l’Observatoire International de la Gratuité (OIG) ;
Clémentine Autain, députée La France Insoumise ; Ludivine Bantigny, historienne ;
Olivier Besancenot ; Leïla Chaibi, députée européenne La France Insoumise ; Patrice Cohen-Séat, président honoraire d’Espaces-Marx ; Alain Coulombel, EELV ; Philippe Corcuff, sociologue et militant libertaire ; Thomas Coutrot, économiste ; Patrick Farbiaz, co-fondateur de PEPS ;
Elsa Faucillon, députée PCF ; Pierre-François Grond, membre d’Ensemble ; Jean-Marie Harribey, économiste (Université de Bordeaux), conseil scientifique d’Attac ; Ingrid Hayes, Ensemble ;
Pierre Khalfa, économiste ; Marjorie Keters, Acides (Alliance contre les crimes industriels et pour le droit à un environnement sain) ;
Stéphane Lavignotte, théologien protestant, pasteur, militant écologiste ; Michael Löwy, chercheur émérite CNRS ; Elise Lowy, militante écologiste, cofondatrice de PEPS ;
Noël Mamère, écologiste ; Philippe Mangeot, enseignant ; Philippe Marlière, politologue ;
Willy Pelletier, sociologue, coordinateur général de la Fondation Copernic ;
Pablo Servigne, agronome, biologiste, auteur ; Yves Sintomer, sociologue ; Jacques Testart, biologiste, essayiste, Roger Winterhalter, PEPS/Alternatives et Autogestion