Le Monde, 5 août. « Coup d’Etat au Niger : « Au Sahel, tout miser sur les emprises mili­taires ne consti­tue pas une poli­tique viable »

Jean-Luc Mélen­chon et des dépu­tés LFI-Nupes pointent l’im­passe dans laquelle a abouti la stra­té­gie mili­taire française dans la région, « aveugle aux dimen­sions poli­tique, écono­mique, sociale et écolo­gique de la crise sahé­lienne ». Ils appellent, dans une tribune au « Monde », à un débat au Parle­ment pour redé­fi­nir l’ac­tion de la France.

Publié le 05 août 2023

Au Niger, comme aupa­ra­vant au Mali et au Burkina Faso, les auteurs du coup d’Etat mili­taire font de la colère anti­française leur prin­ci­pal argu­ment de légi­ti­mité. Les coups de menton du président Macron et l’or­nière d’une « stra­té­gie » enga­gée il y a dix ans sans aucun projet partagé avec les peuples concer­nés ont été les prin­ci­paux atouts des adver­saires décla­rés de notre pays.

La France va d’échec en échec au Sahel. Quelle que soit la suite immé­diate de ce coup d’Etat nigé­rien, dont la dura­bi­lité n’est pas acquise à cette heure, nous réaf­fir­mons l’ur­gence de repen­ser son action, pour renouer avec les peuples de la région. Dès 2013, nous aver­tis­sions qu’une inter­ven­tion mili­taire de longue durée sans plan de retrait ni projet partagé abou­ti­rait à une impasse poli­tique. Le doute était encore permis, il ne l’est plus. Les faits sont là. On comprend peut-être enfin pourquoi il aurait été préfé­rable de ne pas se conten­ter sur le sujet d’un seul vote en neuf ans au Parle­ment français.

Cinquante-huit morts et des centaines de bles­sés mili­taires français, des milliers de victimes civiles plus tard, et malgré plus de cinq mille mili­taires enga­gés sur des années, la faillite du rensei­gne­ment n’a pu nous prému­nir des coups d’Etat, ni de l’ex­pul­sion ordon­née sans ména­ge­ment. Après une entrée en guerre sans débat, nous avons dû vivre encore une retraite sans discus­sion ni bilan. Depuis la mise en place de l’opé­ra­tion « Barkhane », dans la conti­nuité de « Serval », tout va de mal en pis. Initia­le­ment accueilli en sauveur, notre pays est depuis plusieurs années consi­déré comme respon­sable de tous les maux de la région. C’est là le triste résul­tat de dix années où les déci­deurs poli­tiques se sont faci­le­ment conten­tés d’une vision stric­te­ment mili­taire des enjeux, quand bien même les mili­taires eux-mêmes les mettaient en garde contre cette illu­sion.

Affai­blis­se­ment des prin­cipes démo­cra­tiques

D’échec en échec, cette grille de lecture, aveugle aux dimen­sions poli­tique, écono­mique, sociale et écolo­gique de la crise sahé­lienne, a produit les condi­tions de l’im­passe. La prio­rité abso­lue donnée à l’ac­tion mili­taire a entraîné un affai­blis­se­ment des prin­cipes démo­cra­tiques, les coups d’Etat étant tantôt dénon­cés par la France, comme au Mali, tantôt adou­bés, comme au Tchad. L’in­ca­pa­cité à enrayer la proli­fé­ra­tion des groupes armés, djiha­distes ou non, a donné crédit à une rhéto­rique complo­tiste anti­française, qui sert aujourd’­hui de base à la commu­ni­ca­tion des juntes mili­taires. Comment s’en éton­ner ? Pour les popu­la­tions sahé­liennes, les erre­ments de la « lutte anti­ter­ro­riste » sont patents. La décep­tion est deve­nue colère.

Les prio­ri­tés en matière de rensei­gne­ment n’ont fait qu’ag­gra­ver la cécité des déci­deurs français. Foca­li­sés sur les Russes de Wagner et les groupes armés, perçus comme l’ori­gine de toute la contes­ta­tion anti­françai­selà où ils ne font que tirer acti­ve­ment parti des failles de la stra­té­gie de la France, les services ont négligé la connais­sance des socié­tés, pouvoirs et armées locaux. Cet égare­ment a été favo­risé par la baisse constante de nos effec­tifs diplo­ma­tiques depuis les années 2000. Cela explique pourquoi, malgré la présence sur place de milliers de nos soldats en contact avec les armées locales, le gouver­ne­ment français ne voit jamais venir les coups d’Etat mili­taires, sonnant pour lui comme autant de défaites poli­tiques.  A chaque revers, l’exé­cu­tif a choisi de conti­nuer dans la même direc­tion sans que jamais le Parle­ment ne soit saisi. Lorsque la présence française a commencé à être forte­ment contes­tée au Mali, en 2020, tout a été fait au nom d’une concep­tion de la lutte anti­ter­ro­riste inadap­tée pour prolon­ger une opéra­tion à laquelle il était pour­tant urgent de mettre un terme. Quand notre armée a achevé de quit­ter le Mali, le redé­ploie­ment au Niger de l’es­sen­tiel du dispo­si­tif mili­taire restant au Sahel a été décidé et présenté comme une évidence, sans qu’au­cun chan­ge­ment réel de stra­té­gie ne soit ni discuté ni même pensé.

« Causes communes parta­gées »

Avec le coup d’Etat à Niamey, c’est désor­mais la clé de voûte de l’en­ga­ge­ment mili­taire français et même euro­péen au Sahel qui menace de s’ef­fon­drer. Il est déplo­rable qu’une stra­té­gie déter­mi­nant toute la rela­tion avec les pays de cette région capi­tale ait été écha­fau­dée avec une telle désin­vol­ture.

En 2021, dans une tribune au Monde, une cinquan­taine de cher­cheurs, repré­sen­tants d’ONG et acteurs des socié­tés civiles française et sahé­lienne, écri­vaient : « Nous n’at­ten­dons pas de la France qu’elle trouve seule des solu­tions aux défis du Sahel, mais elle peut, elle doit soute­nir un autre proces­sus de recons­truc­tion qui prenne en compte les aspi­ra­tions des Sahé­liens et des Sahé­liennes, pas seule­ment celles de ceux qui les dirigent. La fin program­mée de “Barkhane” doit être l’oc­ca­sion de faire émer­ger un débat sur l’ave­nir du rôle de la France dans la région et de deman­der des comptes sur les choix poli­tiques pris ces dernières années. »

Nous réité­rons cet appel, auquel le gouver­ne­ment est jusqu’ici resté sourd. Ce n’est pas la France qui est reje­tée au Sahel, mais sa poli­tique indif­fé­rente aux réali­tés de la région. Disons-le clai­re­ment : tout miser sur les emprises mili­taires dans des pays qui, comme le Niger, sont minés par la misère, en pleine crois­sance démo­gra­phique et frap­pés de plein fouet par le chan­ge­ment clima­tique ne consti­tue pas une poli­tique viable. Il est urgent de redé­fi­nir notre présence et notre action au Sahel. Nous devons déci­der sous quelle forme et pour quels objec­tifs parta­gés nous devons rester présents et si cela est néces­saire. Il est plus que temps de penser la rela­tion franco-afri­caine sur la base d’une poli­tique de « causes communes parta­gées » respec­tueuse de nos peuples respec­tifs, libé­rée de la volonté de puis­sance, aussi alter­mon­dia­liste que possible.

C’est pourquoi nous appe­lons à nouveau le gouver­ne­ment à enga­ger sans délai un bilan global appro­fondi, après un travail conclu­sif des commis­sions parle­men­taires. Puis un débat suivi d’un vote sur ce sujet. La repré­sen­ta­tion natio­nale et les socié­tés civiles respec­tives doivent enfin avoir leur mot à dire sur l’ac­tion de notre pays en Afrique. Il le faut d’ur­gence, quand couvent de nouveaux désastres. La France se désho­nore quand elle oublie que les peuples et eux seuls sont souve­rains. Elle est appré­ciée et bien accueillie quand elle se montre égali­taire et respec­tueuse de ceux à qui elle s’adresse.

Manuel Bompard, député LFI-Nupes, coor­di­na­teur de La France insou­mise (LFI) ; Arnaud Le Gall, député LFI-Nupes, membre de la commis­sion des affaires étran­gères, président du groupe d’ami­tié France-Burkina Faso à l’As­sem­blée natio­nale ; Jean-Luc Mélen­chon, copré­sident de l’Ins­ti­tut La Boétie ; Mathilde Panot, dépu­tée LFI-Nupes, prési­dente du groupe LFI à l’As­sem­blée natio­nale.

La liste complète des signa­taires est dispo­nible ici

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.