5 décembre 2025

Le Monde. « Un Etat ne rembourse jamais sa dette, il ne paie que la charge de la dette »

« Un Etat ne rembourse jamais sa dette, il
ne paie que la charge de la dette »
Cinq écono­mistes membres d’At­tac et de la Fonda­tion Coper­nic dénoncent, dans une tribune au « Monde », le bêti­sier de François Bayrou sur la dette publique, mais
recon­naissent néan­moins la menace que les marchés finan­ciers font peser sur celle-ci.

Le premier ministre, François Bayrou, lors de sa confé­rence de presse du lundi 25 août, a
consa­cré un long déve­lop­pe­ment à la dette publique. Au-delà de la manœuvre poli­tique consis­tant à essayer d’éva­cuer les mesures propo­sées pour le budget 2026, il convient de rappe­ler quelques éléments qui vont à l’op­posé de sa tenta­tive de drama­ti­sa­tion.

Il serait trop long ici de faire une liste exhaus­tive des discours apoca­lyp­tiques sur la dette publique. Citons simple­ment l’af­fir­ma­tion en 2007 de François Fillon, alors premier ministre, affir­mant qu’il gérait « un Etat en faillite ». Du François Bayrou dans le texte. Et d’ailleurs,
François Bayrou lui-même recon­naît qu’il alerte depuis des décen­nies sur le danger d’un haut niveau de dette publique… sans que ce prétendu danger se concré­tise en aucune manière.

Venons-en au fond. Rappe­lons que le niveau actuel de la dette n’est pas le symp­tôme d’un Etat qui vivrait au-dessus de ses moyens, dépen­sant de façon irres­pon­sable et inef­fi­cace.
Lorsqu’on analyse rétros­pec­ti­ve­ment la montée du ratio entre la dette et le PIB depuis 1980 (lorsque ce ratio était à 20 %), on s’aperçoit que la dette est d’abord la consé­quence de quatre facteurs.
Pas de quoi drama­ti­ser
Primo, les taux d’in­té­rêt supé­rieurs au taux de crois­sance durant les années 1980 et 1990
(l’ef­fet « boule de neige ») ; deuzio, la contre-révo­lu­tion fiscale des trente dernières années, qui a vu l’Etat se priver de ressources au profit des ménages aisés et des entre­prises ; tertio, le coût direct et indi­rect de la crise finan­cière de 2007–2008, qui a vu l’Etat sauver le système finan­cier privé ; quarto, plus récem­ment, les mesures de soutien pour lutter contre le Covid 19.
Pour autant, indé­pen­dam­ment de ses origines, le niveau actuel de la dette publique repré­sente-t-il une menace ? Il faut comprendre qu’un Etat ne rembourse jamais sa dette. Il ne paie que la charge de la dette. Lorsqu’un titre de la dette publique arrive à échéance, l’Etat emprunte de nouveau pour le rembour­ser : il fait « rouler » la dette.
Or, en regar­dant le rapport entre la charge des inté­rêts de la dette et le produit inté­rieur brut (PIB), on obtient un chiffre qui est peu propice à créer l’af­fo­le­ment. En 2024, la charge de la dette française rappor­tée au PIB du pays pour la même année s’est élevée à 2 % du PIB,
nette­ment moins que dans les années 1990, et équi­vaut à la moyenne de la zone euro. De même, si on rapporte cette charge des inté­rêts aux dépenses publiques, on s’aperçoit qu’elle s’al­lège sur la longue durée. Elle repré­sen­tait plus de 20 % jusqu’aux années 1930, contre
moins de 5 % aujourd’­hui. Bref, pas de quoi drama­ti­ser.

Restent deux ques­tions. La dette pèse-t-elle sur nos enfants comme l’a inévi­ta­ble­ment évoqué
le premier ministre ? Ceci est à tous égards une fable. La dette a une durée moyenne d’un peu
plus de huit ans, et ce n’est assu­ré­ment pas celle qui sépare deux géné­ra­tions. Ce ne sont pas
nos enfants qui paie­ront la dette, mais nous-mêmes. Et surtout, l’em­prunt, donc la dette,
permet l’in­ves­tis­se­ment et la consti­tu­tion d’un patri­moine collec­tif – des hôpi­taux, des
écoles etc. –, dont la valeur est bien supé­rieure à celle de la dette. Ce ne sont pas « nos
enfants » qui auront à payer, mais ce sont bien eux qui béné­fi­cie­ront des services que permet de procu­rer ce patri­moine.

Portée auto­réa­li­sa­trice
Cepen­dant, un problème fonda­men­tal mais mal posé par François Bayrou subsiste, celui du rôle des marchés finan­ciers, le premier ministre nous menaçant d’une explo­sion des taux d’in­té­rêt en cas de refus de son plan d’aus­té­rité. Cette menace peut être tout à fait réelle,
préci­sé­ment parce que la valo­ri­sa­tion de la dette a peu à voir avec une logique stric­te­ment écono­mique. D’un point de vue écono­mique, la France n’a aucune diffi­culté à emprun­ter sur les marchés. Mais le discours alar­miste de François Bayrou peut avoir une portée
auto­réa­li­sa­trice, et ce d’au­tant plus que la dette publique est le moyen pour les inves­tis­seurs
finan­ciers de peser sur la poli­tique écono­mique des Etats.
Car l’exis­tence d’un marché de la dette publique est le résul­tat d’un choix poli­tique qui vise à
faire de l’Etat un emprun­teur comme un autre, avec l’objec­tif de le mettre sous la pres­sion des
marchés finan­ciers et ainsi de le disci­pli­ner. C’est ce que maté­ria­lise l’in­ter­dic­tion faite par les
trai­tés euro­péens aux banques centrales, la Banque centrale euro­péenne en tête, de prêter
direc­te­ment aux Etats. Il est donc fort possible que le refus du plan Bayrou se traduise par une
remon­tée des taux auxquels la France emprunte actuel­le­ment et qui vienne gros­sir chaque
année la charge des inté­rêts (40 milliards d’eu­ros en 2023, 59 milliards en 2024, 66 milliards
en 2025) qu’af­fec­tionnent ceux-là mêmes qui veulent réduire les dépenses sociales.
Il n’y a que deux façons d’évi­ter cette évolu­tion : soit la capi­tu­la­tion devant les marchés finan­ciers, c’est la posi­tion du premier ministre, soit la sortie de la dette publique de l’em­prise des marchés, ce qui suppose reprendre le contrôle de la finance. Il faut pour cela créer un dispo­si­tif qui, comme jusqu’aux années 1980, garan­tira la stabi­lité du finan­ce­ment ; son cœur sera formé par un pôle bancaire public, édifié au premier rang des insti­tu­tions finan­cières déjà
exis­tantes ; il permet­tra aux inves­tis­se­ments sociaux et écolo­giques stra­té­giques déci­dés démo­cra­tique­ment de trou­ver dans l’épargne popu­laire une contre­par­tie utile.
N’étant pas soumis à la logique de la renta­bi­lité finan­cière, ce pôle bancaire public pourra
ainsi être un ache­teur impor­tant et stable de titres de la dette. Par ailleurs, il pourra avoir accès
aux liqui­di­tés four­nies par la Banque centrale euro­péenne dans le cadre de ses opéra­tions de
refi­nan­ce­ment, comme le permet l’ar­ticle 123.2 du traité sur le fonc­tion­ne­ment de l’Union euro­péenne, les titres de dette publique consti­tuant un colla­té­ral de très bonne qualité. Les insti­tu­tions finan­cières privées doivent, quant à elles, être soumises à un contrôle strict et avoir l’obli­ga­tion de placer une partie de leurs actifs en titres de la dette au taux fixé par la puis­sance publique.
Jean-Marie Harri­bey, Pierre Khalfa, Chris­tiane Marty, Domi­nique Plihon, Jacques
Rigau­diat sont écono­mistes, membres d’At­tac et de la Fonda­tion Coper­nic.

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