Le quatrième congrès du Parti de gauche se tiendra au mois de juillet, mais, d’ores et déjà, les militants ont voté au sein de leur comité pour l’un des deux textes en présence. Sans présager des travaux du congrès national, l’expression des adhérents est déjà riche d’enseignement sur la situation du parti et les débats qui le traversent.
Des rangs clairsemés
Le chiffre est inquiétant et traduit une évidente crise militante : pour ce quatrième congrès, moins de 1 700 militants se sont exprimés. Une telle participation interroge sur les effectifs du Parti de gauche au printemps 2015. Officiellement, le nombre d’adhérents s’élevait à 12.118 au congrès de Bordeaux de mars 2013 et à « plus de 10.000 » selon le secrétaire national Éric Coquerel au mois de décembre 2014. Un peu gêné aux entournures, un cadre régional évoque un taux de participation de 20%, manière de maintenir la fiction des 10.000 cartes. Un taux de participation de 40%, comparable à celui de l’ensemble des Français à des élections européennes, serait déjà presque étonnant s’agissant de militants politiques [1].La situation est difficile pour les organisations de gauche. La violence de la crise n’a pas produit à cette étape de mobilisations populaires et c’est, au contraire, l’atonie qui demeure. Qu’un jeune parti comme le PG, avec peu de positions institutionnelles, en subisse le contrecoup est inscrit dans la logique de la situation politique et sociale. Pourtant, cette seule explication externe ne peut suffire à définir l’état de cette organisation. La sous-estimation récurrente des difficultés de la situation politique a grandement désarmé le parti. S’il faut éviter de jouer les Cassandre qui, à force de chanter « Noir, c’est noir », finissent par rester les deux pieds dans le même sabot, annoncer tous les matins l’Eden socialiste finit par se fracasser sur la réalité des rapports de force politiques.La confusion entre de légitimes espoirs et l’analyse lucide a fini par nourrir de cruelles désillusions. En avril 2013, Jean-Luc Mélenchon déclarait encore : « Les élections européennes de 2014 devraient nous permettre de faire la démonstration que le Front de gauche peut être devant le Parti socialiste ». Et que dire des analyses du PG minimisant les progrès du FN aux municipales de mars 2014 ? Tout cela a conduit à des démissions ou au retrait progressif de militants qui, sans nécessairement rompre avec fracas, prennent du recul et réorganisent leurs priorités.
Un très mauvais score de la direction
Si, incontestablement, le Parti de gauche est affaibli, ce n’est pas le seul enseignement du vote des comités. Lors du Conseil national des 4 et 5 avril, plusieurs textes préparatoires au congrès étaient en discussion. Outre une majorité du Bureau national regroupée derrière un document intitulé « La vie est à nous », existait aussi « Plus belle la vie » signé notamment par Martine Billard ou un texte « Pour le peuple ! » emmené par Guillaume Etiévant, secrétaire national à l’économie.Au terme d’une nuit blanche de la commission des plates-formes, une synthèse réunissait derrière un même document intitulé « Tout est possible » la quasi totalité de l’actuelle direction du PG, d’Alexis Corbière à Martine Billard en passant par Éric Coquerel. De son côté, l’autre plate-forme pour le congrès issue notamment de « Ecosocialisme, Souveraineté et République » se regroupait derrière l’appellation « Courage et clarté politique ». Ce dernier texte s’affirme sur des positions qui sont peu ou prou celles de Jacques Sapir ou Frédéric Lordon sur les questions européennes, c’est-à-dire autour d’une sortie de la zone euro voire de l’Union européenne. À cela s’ajoute une approche de la Nation très proche d’un courant comme le M’Pep par exemple et une vision du combat politique qui s’affranchit de toute forme de médiation politique : on s’adresse au peuple urbi et orbi, en ligne directe.Au terme des votes au sein des comités, l’instance de base du PG, les résultats donnent 55% pour l’ensemble de la direction et 45% pour l’autre document soumis au vote. C’est, de fait, un net désaveu qui ouvre pour le moins une période de tension au sein de la direction.
Interrogation au sein de la direction
Une direction politique est rarement un tout homogène (c’est en général assez mauvais signe), mais plutôt un bloc de direction uni sur un projet, mais qui garde en son sein des divergences non tranchées. Le Parti de gauche n’échappe pas à cette situation, et la dernière période a montré des hésitations sur la ligne politique à suivre.À la fin de l’été, avec le lancement du M6R (Mouvement pour la sixième République), l’époque était clairement à la mise entre parenthèse du Front de gauche, voire du PG lui-même. Par un mouvement populaire s’affranchissant de la sclérose des organisations politiques existantes, par des alliances par le bas, des initiatives citoyennes, il s’agissait de créer la mobilisation de masse dont ce pays a besoin. Les mauvaises langues ont alors susurré qu’initier un mouvement de base par le haut relevait peut-être de l’oxymore politique. Surtout, la réalité politique française est venue rappeler qu’il n’était pas si simple de « pousser les murs » et qu’il n’y avait pas de raccourci possible.Sans présager d’un éventuel rebond, force est de constater que la réalité et l’activité du M6R est bien modeste. Cette situation a redonné plus d’espace au sein de la direction à celles et ceux qui n’entendent pas injurier l’avenir : ni sur le Front de gauche, ni sur les Chantiers d’espoir.
Au milieu du gué
À cette étape, bien des questions méritent d’être éclaircies. Quelle est par exemple la cohérence de la plate-forme minoritaire ? Au-delà du fond des thèses politiques avancées, n’a-t-elle pas bénéficié d’une certaine réaction de la base du PG souhaitant sanctionner une direction sortante dont elle estime le bilan plus que mitigé ? C’est en tout cas une des explications avancées par des membres du Bureau national. Si tel est le cas, alors il est difficile de prévoir le comportement des délégués lors du congrès national, et l’actuelle direction peut parvenir à élargir sa majorité.Mais une autre hypothèse est possible : celle de l’implosion du bloc de direction. Forte de ses 45%, la plate-forme « Courage et clarté politique » est en mesure d’obtenir des évolutions substantielles des positions du Parti de Gauche et de modifier le centre de gravité de cette organisation. Au point de faire exploser les équilibres au sein de l’actuelle direction ? C’est toute la question.Dans ces conditions, plus que jamais, le positionnement de Jean-Luc Mélenchon sera déterminant. Si le Parti de gauche n’est pas que son parti, rien ne peut se faire sans lui. La légitimité de son autorité au sein du PG ne fait aucun doute. Reste à savoir au service de quelle orientation…
Notes
[1] À titre de comparaison, lors de son congrès de janvier 2014, le NPA a annoncé 1.500 votants pour un effectif global autour de 2.000 militants. Le taux de participation élevé – 75% – s’expliquant il est vrai par la multiplicité des positions en présence (pas moins de cinq).
Article publié dans la revue Regards http://www.regards.fr/web/article/le-parti-de-gauche-en-quete-de