Le poten­tiel énorme de Pode­mos dans l’État Espa­gnol

Il s’agit ni plus ni moins de déci­der collec­ti­ve­ment de tout ce qui consti­tue le projet poli­tique de Pode­mos. Le week-end dernier, tous ces textes ont été présen­tés en assem­blées à Madrid à l’oc­ca­sion de l’“assem­blée citoyenne” de Pode­mos, présen­tée comme assem­blée de fonda­tion d’un nouveau parti poli­tique, avec pas moins de 8.000 personnes. Du 20 au 26 octobre, les membres votent par inter­net pour l’adop­tion de trois textes: poli­tique, orga­ni­sa­tion­nel et éthique. Ensuite, il s’agira de choi­sir les membres du Conseil citoyen, l’or­gane direc­tion de Pode­mos. Les candi­dat-e-s feront encore campagne pendant une semaine avant une élec­tion par inter­net. Nous n’écri­rons pas ici un rapport détaillé des deux jours inten­sifs de l’as­sem­blée citoyenne, mais donne­rons plutôt un aperçu du projet poli­tique, orga­ni­sa­tion­nel et éthique de Pode­mos dont il est ques­tion, ainsi que du poten­tiel de cette forma­tion à gouver­ner et à prendre le pouvoir dans l’État Espa­gnol. Nous verrons que, à ce niveau, la ques­tion orga­ni­sa­tion­nelle est déter­mi­nante.

Le projet poli­tique

Commençons par mention­ner les réso­lu­tions soumises au vote ce week-end à côté des textes poli­tique, orga­ni­sa­tion­nel et éthique. Les cinq sujets les plus soute­nus par inter­net et qui ont été adop­tés à l’as­sem­blée par les membres de Pode­mos portent sur l’édu­ca­tion, la santé, le loge­ment, la lutte contre la corrup­tion et l’au­dit de la dette. Ce sont des thèmes qui reflètent bien l’ac­cord géné­ral avec la ligne poli­tique établie par l’équipe de Pablo Igle­sias qui met l’ac­cent sur l’op­po­si­tion à l’aus­té­rité et la reconquête du « sens commun » par la popu­la­tion. Parce qu’elles corres­pondent à une réalité sociale criante, ces reven­di­ca­tions devraient permettre de mobi­li­ser une grande partie de l’élec­to­rat de l’Etat Espa­gnol, beau­coup plus large que les mili­tant-e-s et sympa­thi­sant-e-s qui s’iden­ti­fient déjà de gauche. Mais il s’agit d’une approche popu­liste qui écarte des ques­tions plus polé­miques comme l’au­to­no­mie des commu­nau­tés et qui engendre des problèmes multiples par son accent patrio­tique, la défense des « entre­prises moyennes », etc. Nous ne trai­te­rons pas de ces problèmes ici car les débats du week-end étaient plus que domi­nés par les ques­tions orga­ni­sa­tion­nelles.

La struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle

La discus­sion la plus impor­tante était program­mée dimanche avant-midi. Elle était l’abou­tis­se­ment de discus­sions intenses et large­ment média­ti­sées entre les docu­ments « Claro que Pode­mos » de l’équipe d’Igle­sias et « Sumando Pode­mos » rassem­blant les propo­si­tions de plusieurs équipes dont les figures les plus connues sont les euro­dé­puté-e-s Pablo Enche­nique, Teresa Rodri­guez et Lola Sanchez. L’im­por­tance du docu­ment orga­ni­sa­tion­nel montre l’as­pi­ra­tion profonde d’une partie impor­tante des mili­tants des cercles de base de Pode­mos: avant de pouvoir déve­lop­per et défendre un projet poli­tique, il faut des struc­tures démo­cra­tiques à l’in­té­rieur de l’or­ga­ni­sa­tion.

Le projet de l’équipe d’Igle­sias, avec un secré­taire géné­ral et la limi­ta­tion du pouvoir des cercles, fâchait et géné­rait une résis­tance très large. Son équipe, par la voix de Mone­dero, a essayé de faire passer toute contes­ta­tion récla­mant plus de démo­cra­tie comme une contes­ta­tion nocive montée de toutes pièces par Izquierda Anti­ca­pi­ta­lista, section espa­gnole de la Quatrième inter­na­tio­nale à l’ori­gine de ce projet avec plusieurs person­na­li­tés indé­pen­dantes. Dimanche avant-midi, l’équipe d’Igle­sias a dû consta­ter et recon­naître que la contes­ta­tion était beau­coup plus large que prévu en s’éten­dant grosso modo à la moitié des 8.000 parti­ci­pants dans la salle et, ce qui est plus impor­tant, à la majo­rité des cercles les plus actifs.

Par manque de temps, de nombreuses propo­si­tions alter­na­tives n’ont pas pu être regrou­pées. Ainsi, à côté du docu­ment « Sumando Pode­mos » rassem­blant déjà plusieurs propo­si­tions, il exis­tait des dizaines d’autres docu­ments contes­ta­taires. Quand Pablo Enche­nique et Teresa Rodri­guez sont montés sur le podium pour défendre leur docu­ment, ils ont assuré pouvoir être bref : « tout a déjà été dit » par les autres équipes. Effec­ti­ve­ment, la majo­rité des docu­ments alter­na­tifs et la majo­rité des cercles défendent eux aussi plus de pouvoir aux cercles, un proces­sus consti­tu­tion­nel plus démo­cra­tique et perma­nent, des struc­tures terri­to­riales et inter­mé­diaires entre les cercles et la direc­tion et une direc­tion plurielle avec une équipe de porte-paroles plutôt qu’un seul secré­taire géné­ral.

Le choix se porte entre une struc­ture prési­den­tielle et plébis­ci­taire ou un modèle d’« empo­de­ra­miento » des gens. Le modèle orga­ni­sa­tion­nel et le discours poli­tique d’Igle­sias pour­rait peut-être gagner les élec­tions en mobi­li­sant des votes et des suppor­ters pour coller des affiches. Mais, tandis que l’« effi­ca­cité » que bran­dit Igle­sias comme argu­ment pour défendre ses propos s’ar­rête à la forma­tion d’un gouver­ne­ment, les docu­ments alter­na­tifs « Sumando Pode­mos » (orga­ni­sa­tif) et « Cons­truyendo Pueblo » (poli­tique) soulèvent le fait que la prise le pouvoir ne se limite pas à gouver­ner.

Pour Rodri­guez, l’auto-orga­ni­sa­tion et le « pouvoir popu­laire » sont fonda­men­taux pour prendre le pouvoir: « Pour nous, gagner les élec­tions et avan­cer dans le proces­sus d’auto-orga­ni­sa­tion citoyenne font partie du même proces­sus. Nous aurons besoin de la mobi­li­sa­tion citoyenne pour gagner les élec­tions et nous en aurons besoin quand nous gagne­rons les élec­tions pour gouver­ner. Peut-on douter que les marchés nous mettront sous pres­sion quand nous gagne­rons les élec­tions, que la caste s’op­po­sera à la perte de ses privi­lèges ? ». Le docu­ment qui est poussé par Igle­sias dans le coin des « rêveurs » prétend donc non seule­ment être plus démo­cra­tique mais aussi plus effi­cace si l’objec­tif est de prendre le pouvoir et chan­ger la société.

Le vote atomisé par inter­net dans lequel parti­ci­pe­ront cette semaine beau­coup plus de personnes que les mili­tant-e-s actifs/ves dans les cercles, se portera sans doute massi­ve­ment en faveur de l’équipe d’Igle­sias grâce à la popu­la­rité de ce dernier. D’au­tant plus que ce dernier avait fait savoir que, si sa propo­si­tion n’était pas accep­tée, il n’as­su­me­rait plus de respon­sa­bi­li­tés. Mais cela n’em­pêche pas que l’as­sem­blée citoyenne a démon­tré de manière puis­sante que la majo­rité des mili­tant-e-s ne se contente pas d’une struc­ture centra­li­sa­trice et plébis­ci­taire. L’énoncé de « Claro que Pode­mos » qu’il s’agit du « propos orga­ni­sa­tion­nel le plus démo­cra­tique dans l’his­toire espa­gnole » ne convainc guère. Un courant large pour plus de démo­cra­tie est né à travers ce proces­sus de consti­tu­tion d’une nouvelle force poli­tique.

Le docu­ment éthique

Le « docu­ment éthique » était le moins impor­tant des trois docu­ments. Le temps avait encore permis une certaine unifi­ca­tion des propo­si­tions orga­ni­sa­tion­nelles et poli­tiques, mais cela ne s’était pas avéré possible pour le docu­ment éthique. Le texte éthique de « Claro que Pode­mos » n’est pour­tant pas inno­cent. La présen­ta­tion – très déma­go­gique sur le mode meeting – par Mone­dero samedi matin n’ou­bliait pas de mention­ner l’as­pect le plus impor­tant : l’in­ter­dic­tion de la « double mili­tance ». « Hors de Pode­mos, hors de nos rangs ! ». Ce slogan n’était pas unique­ment dirigé vers les poten­tiels arri­vistes débarquant des partis tradi­tion­nels pour rejoindre une forma­tion poli­tique avec le vent en poupe. Il visait aussi les mili­tant-e-s d’Izquierda Anti­ca­pi­ta­lista. Avec l’adop­tion de ce docu­ment éthique, les mili­tant-e-s de la forma­tion qui se sont investi-e-s depuis le début pour construire Pode­mos seraient exclu-e-s d’of­fice des mandats orga­niques du nouveau parti. L’équipe « Claro que Pode­mos » n’ac­cepte qu’une tendance orga­ni­sée: la sienne.

Pour conclure, le poten­tiel de Pode­mos est énorme. Les mobi­li­sa­tions des indi­gnés (15M), les mouve­ments pour le main­tien d’un ensei­gne­ment (marea verde) et d’une santé (marea blanca) publiques et contre les expul­sions de loge­ment, les « marches de la dignité » de tous les coins de l’État espa­gnol et les luttes pour le droit à l’avor­te­ment ont trouvé une expres­sion poli­tique dans le nouveau parti Pode­mos. Il s’agit d’un projet poli­tique qui est capable de mobi­li­ser une majo­rité de la popu­la­tion. Mais la forme orga­ni­sa­tion­nelle que le projet risque de prendre après le vote de cette semaine est une contra­dic­tion énorme, contraire même à l’es­prit du 15M. Cepen­dant, pour un courant large partant des cercles, l’as­sem­blée consti­tu­tion­nelle n’est pas termi­née et la lutte pour un projet démo­cra­tique et de « pouvoir popu­laire » conti­nue. C’est la condi­tion pour pouvoir discu­ter de poli­tique et de rupture avec le capi­ta­lisme. « Sí, se puede ! »

Neal Michiels, à Madrid. Publié sur le site de la LCR de Belgique.

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