La Nouvelle République du 24 janvier titre en première page: « « Charlie » : un prof mis à pied à Poitiers ».
Voici la déclaration à la presse de Jean-François Chazerans : « J’ai été interrogé lundi par deux inspecteurs d’académie. Ils m’ont dit que leur rapport serait le soir même sur le bureau du recteur et le lendemain sur celui de la ministre. Je ne sais pas ce qu’on me reproche. Je ne sais pas quel cours, quel débat est concerné. On m’a juste dit « ce sont des propos qui ont été tenus en classe « . On évoque qu’il y avait eu des plaintes d’élèves et de parents qui sont montées directement au rectorat. Je suis sonné, je m’attendais à tout sauf à ça. Ce fameux jeudi, j’ai organisé des débats avec mes six classes de terminale. Le but était de comprendre les causes du terrorisme en sortant autant que possible de la passion et de l’émotion du moment. »
« Les djihadistes sont des fascistes »
« Jean-François Chazerans poursuit. « Ce sont les élèves qui étaient demandeurs. J’étais réticent. Je n’aime pas évoquer à chaud de tels sujets. Devant leur insistance et leur état de choc, j’ai décidé de mettre en place ces débats. »
« Eludant la fameuse minute de silence (**) – « Je n’y étais pas » –, le prof engagé condamne aujourd’hui sans ambiguïté les attentats et leurs auteurs. « Ma réaction de citoyen est de dénoncer avec force ces actes odieux, horribles. On ne peut quand même pas m’accuser d’avoir la moindre sympathie pour les djihadistes. Ce sont des groupes fascistes que je combats. Il n’y a pas eu une quelconque apologie du terrorisme lors de mes cours. Au contraire… » Le prof fait montre d’incrédulité. « Je ne comprends pas. Je décide de m’exprimer car je ressens un fort sentiment d’injustice. » .
Le recteur a suspendu JF Chazerans et saisi le procureur de la République. JF Chazerans n’a pas fait d’autre déclaration publique, ce 25 janvier. Militant très actif du DAL, ancien militant du comité anti-répression où je l’ai cotoyé de nombreux mois, Jean-François avance à visage découvert, parle sans détour. Faire un lien entre lui et un soutien du djihadisme est aussi absurde que de comparer François Hollande à Jean Jaurès. Grotesque et misérable. Nous en reparlerons. Dans l’immédiat, tentons de mettre cette attaque contre les libertés du recteur de Poitiers en perspective.
Face à la Ministre de la Justice, face au Ministre de l’Intérieur, défendons nos libertés.
Dans un article de Mediapart du 21 janvier, de Michel Deléan, « Apologie du terrorisme : la machine judiciaire s’emballe » : « A Paris, le 15 janvier, un paumé aux propos incohérents écope de 15 mois de prison ferme et d‘un mandat de dépôt. À Toulouse, trois jeunes de 20 à 25 ans ont été condamnés pour les mêmes raisons à des peines de prison ferme, et aussitôt écroués. Même chose à Toulon, Orléans ou encore Strasbourg. Les gardes à vue de mineurs, plus ou moins nécessaires au vu des faits allégués, se multiplient également. À Nantes, un lycéen de 16 ans s’est ainsi retrouvé en garde à vue uniquement pour avoir mis en ligne un dessin à l’humour discutable sur son compte Facebook ; « un personnage avec un journal Charlie Hebdo, touché par des balles, le tout accompagné d’un commentaire ironique ». Il s’agissait d’une version détournée d’une Une de… Charlie Hebdo.
Pire encore, un collégien de troisième a même passé 24 heures en garde à vue avant d’être mis en examen pour apologie du terrorisme, uniquement pour avoir eu une réaction provocatrice et déplacée en classe. »Nous pouvons lire ce témoignage sur Rue 89 :
Continuons avec l’article de Mediapart: « C’est qu’à la loi Cazeneuve de novembre dernier est venue se surajouter, aussitôt après les attentats, une circulaire adressée à tous les parquets par la ministre de la justice Christiane Taubira. Cette circulaire du 12 janvier incite les parquets à poursuivre avec fermeté les infractions telles que les attaques ou dégradations contre les lieux de culte, les atteintes aux biens ou aux personnes liées à l’origine ou à la religion, ainsi que l’apologie du terrorisme. Nouvelles lois, nouvelles circulaires, comparutions immédiates, jugements sévères : ce précipité infernal conduit à la multiplication des peines de prison, amène des jeunes en détention. »
Premières réactions à ces atteintes au liberté.
Face à cette situation, à cette mise en danger des libertés, le Syndicat de la magistrature proteste en un communiqué du 20 janvier contre cette loi réprimant de façon outrancière « l’apologie du terrorisme »: « Telle est la désastreuse justice produite par le recours à la comparution immédiate dont la loi du 13 novembre 2014 a fait une nouvelle arme de lutte contre le terrorisme. (…)S’il est légitime que la République condamne clairement le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie, la répression la plus dure de leurs manifestations les moins construites est un aveu de faiblesse inutile et dangereux. Et une société qui, par millions, descend dans la rue proclamer son attachement à la liberté d’expression ne peut, sans se contredire, emprisonner sur l’heure celui qui profère des mots hostiles à la loi qui affirme ses valeurs. »
Amnesty International, le 16 janvier, a déclaré : au moins 69 arrestations se sont succédé en France cette semaine, les prévenus comparaissant pour « apologie du terrorisme », infraction dont la définition reste vague. Le risque est grand que ces arrestations violent la liberté d’expression. ». Il y a risque de « criminaliser des propos ou diverses formes d’expression qui, tout en étant indéniablement choquants pour de nombreuses personnes, ne vont pas jusqu’à constituer une incitation à la violence ou à la discrimination. »
En hommage à Charlie-Hebdo, c’est la répression tous azimuts, l’armée dans les rues. Le comique de situation est grand et pourtant nous n’en rions pas. A suivre.
NB: l’ illustration de cet article est un dessin de Tignous, journaliste de Charlie-Hebdo, assassiné par les terroristes.
P.B.
http://www.charentelibre.fr/2015/01/26/poitiers-le-prof-suspendu-pour-apologie-du-terrorisme-s-explique,1937252.php