Tribune libre parue dans Libération le 7 décembre 2018
Après les condamnations à des peines de prison d’étudiants réunis en assemblée générale, à Nanterre et aux mises en garde à vue de lycéens à Paris, un collectif unitaire dénonce une criminalisation de l’action militante et demande à la justice une relaxe générale.
Tribune. Alors que des droites extrêmes et autoritaires continuent d’étendre leur influence sur le globe, assombrissant l’avenir, le spectre des années 30 est hypocritement brandi par le pouvoir macroniste espérant faire ainsi oublier la vraie nature de sa politique, marquée par une criminalisation accrue des mouvements sociaux et par un inquiétant déni des droits démocratiques. L’action syndicale et les mouvements sociaux sont aujourd’hui en France la cible d’une répression politique violente, allant jusqu’à des peines de prison, qu’il s’agisse de syndicalistes ou de salarié·e·s mobilisé·e·s pour la défense de leurs emplois, et aujourd’hui de jeunes lycéen·ne·s et étudiant·e·s.
Le 9 avril 2018 à Nanterre, dans le cadre de la mobilisation contre la loi ORE, une centaine d’étudiants de l’université se sont réunis pacifiquement en assemblée générale. Alors qu’ils s’organisaient pour contester un système de sélection à l’entrée à l’université reproduisant et aggravant les inégalités sociales, ils ont été violemment expulsés de la salle qui les accueillait par des CRS, à coups de matraque et sous les regards sidérés des personnels présents. Les témoignages des personnels ont attesté du caractère pacifique des participant·e·s. Pourtant trois d’entre eux ont été arbitrairement placés en garde à vue et inculpés de « violences volontaires contre personnes dépositaires de l’autorité publique ». Le 17 octobre, le tribunal de grande instance de Nanterre a rendu un verdict d’une gravité exceptionnelle : deux de ces jeunes, Roga et Victor, ont été condamnés à six mois de prison ferme et à quatre mois de prison avec sursis, pour avoir participé à cette assemblée générale.
Le 22 mai 2018 à Paris, agissant pour les mêmes revendications, 102 personnes, dont 40 mineurs, ont été interpellées et placées en garde à vue plus de quarante-huit heures pour avoir tenu une assemblée générale dans le lycée Arago. Ces jeunes ont été interpellés et parqués pendant des heures dans des bus de la police, puis dans des cellules de commissariats, empêchés de boire, de manger ou d’aller aux toilettes, sans se voir notifier leurs droits légaux, sans avoir accès à un avocat, à un médecin, et même à leurs parents, pourtant leurs représentants légaux. Les jeunes d’Arago ont été accusés de deux nouvelles infractions : « l’intrusion sans autorisation dans un établissement scolaire en réunion en vue d’y troubler la tranquillité ou l’ordre de l’établissement » (431–22, 431–23 du code pénal, sanctionné d’un à trois ans d’emprisonnement), ainsi que « la participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences » (222–14–2, puni d’un an d’emprisonnement). Ces deux infractions reprochées illustrent le remplacement d’un système pénal fondé sur la répression d’actes accomplis par celle d’intentions et de comportements collectifs, guidé en conséquence par la logique du soupçon généralisé.
Ce basculement menace l’exercice des droits et des libertés publiques, surtout quand l’Etat semble décidé à user de toutes les stratégies d’intimidation possibles pour casser l’élan de politisation qui s’est exprimé dans la jeunesse, et pour tenter de museler l’opposition politique dans le pays. Le caractère scandaleux de la condamnation à des peines de prison de jeunes engagés dans une mobilisation lycéenne et étudiante est symptomatique d’une dérive inquiétante, et plus générale, consistant à criminaliser l’action militante, celle des organisations syndicales, associatives, comme celle de simples citoyens engagés contre l’enfouissement de déchets nucléaires, ou contre des violences policières. Ces gardes à vue et ces traductions en procès constituent un usage abusif du système judiciaire à des fins de répression politique.
Nous, enseignant·e·s et personnels des établissements scolaires et des universités, lycéen·ne·s, étudiant·e·s, parents, citoyen.ne.s, fonctionnaires et salarié·e·s en lutte, artistes et écrivain·e·s, nous apportons notre soutien à ces jeunes actuellement visés par une répression politique qui cherche à étouffer, à l’aide d’un arsenal policier et judiciaire, la revendication de cette jeunesse d’un droit à l’éducation pour toutes et tous. Nous souhaitons exprimer notre vive inquiétude quant à cette extension du champ criminel à l’action citoyenne et politique. Nous exigeons que les droits démocratiques et les libertés publiques, malmenés par ce gouvernement, soient respectés. Tout·e·s ensemble, nous exprimons notre solidarité avec nos étudiant·e·s et tou·te·s les jeunes mis en examen ou condamnés et demandons solennellement à la justice une relaxe générale.
Premiers signataires :
Comité Arago ; UNEF ; UNL ; UNL-SD ; FIDL ; Union des étudiantEs de Toulouse (UET) ;
FSU ; SNASUB-FSU ; SNESUP-FSU ;
UL CGT Nanterre ; CGT éduc’action 92 ; FERC CGT ; Info’Com CGT ;
Union syndicale Solidaires ; Solidaires étudiant·e·s Nanterre ; SUD Education ; SUD Rail ; SUD Collectivités Territoriales ; SUD Poste 92 ;
CNT ;
Attac France ; Fondation Copernic ; Droit au logement (DAL) ; Comité Justice pour Adama ; Association des sociologues enseignant·e·s du supérieur (ASES) ; Collectif Rosa Parks ;
Parti communiste français (PCF) ; Groupe parlementaire France insoumise ; Espaces des luttes de La France insoumise ; Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ; Parti de Gauche ; Gauche démocratique & sociale (GDS) ; Alternative libertaire 92.
Le lien vers la pétition :