« Liberté, égalité, soro­fra­ter­nité : Comment redon­ner un sens éman­ci­pa­teur au prin­cipe de laïcité ? »

  • Un texte de nos cama­rades de la GES de Mont­pel­lier, sur « resis­tons.net ».

Jour­née de la laïcité : Liberté, égalité, soro­fra­ter­nité : Comment redon­ner un sens éman­ci­pa­teur au prin­cipe de laïcité ?

Par delphine / fémi­nisme, laïcité / 28 août 2023

Suite aux annonces de Gabriel Attal d’in­ter­dire les abayas, nous remet­tons en avant cet article écrit le 9 décembre 2022.


Le 9 décembre, c’est la jour­née de la Laïcité. En effet, la loi de 1905, qui pose les prin­cipes et l’or­ga­ni­sa­tion concrète  de la laïcité en France, même si le mot n’y figure pas, a été votée un 9 décem­bre… Chaque année, cette date est l’oc­ca­sion de réex­pliquer ce qu’est la laïcité. Elle est trop souvent, hélas, le cadre de prises de paroles publiques désas­treuses, chacun essayant d’ins­tru­men­ta­li­ser cette belle idée à des fins de poli­tiques, la vidant de son sens, voire la prenant à contre­sens…

Prenons une classe de 3e lambda. La prof annonce le thème du jour : la laïcité. Immé­dia­te­ment, des visages se ferment, des bras se croisent, des corps mani­festent osten­si­ble­ment leur hosti­lité. Selon où l’on enseigne, ils sont plus ou moins nombreux. Mais ils ont des carac­té­ris­tiques communes, de couleur de peau et d’ori­gine cultu­relle ou natio­nale. D’autres soupirent : encore ? Quand la prof demande à la classe: « C’est quoi la laïcité pour vous ? », les réponses sont confuses, mais globa­le­ment c’est « l’in­ter­dic­tion des signes reli­gieux » (au mieux, au collège, au pire, dans les lieux publics). Voilà, on constate l’éten­due des dégâts. 

Comme le dit Patrick Weil, « la laïcité est perçue par trop d’élèves comme un caté­chisme répé­ti­tif, vide de sens, voire un régime d’in­ter­dits discri­mi­na­toires1 ».

Alors la prof commence à démi­ner…

Retour sur la loi de 1905

  • Un petit rappel histo­rique : la loi de 1905, qui fonde la laïcité en France,  est une loi d’apai­se­ment, votée dans un contexte d’op­po­si­tion aigüe entre des anti­clé­ri­caux radi­caux et l’église catho­lique. C’est aussi une loi de rupture avec le Concor­dat, affir­mant clai­re­ment la souve­rai­neté de l’Etat. Elle s’ap­pelle « Loi de sépa­ra­tion  concer­nant les Eglises et l’Etat ». Bien qu’elle soit immé­dia­te­ment reje­tée par le Pape, les hommes au pouvoir sont d’ac­cord sur son esprit : « offrir à la masse des catho­liques la possi­bi­lité et la liberté de pratiquer leur culte dans la paix et la concorde, dans leur église, avec leurs prêtres ; assu­rer aussi la souve­rai­neté poli­tique de l’Etat en agis­sant avec fermeté à l’égard des fauteurs de trouble et de sédi­tion 1 ». Le contexte est certes très diffé­rent, mais si on lit bien, cette phrase est tout à fait trans­po­sable aujourd’­hui, dans la volonté de garan­tir la liberté reli­gieuse tout en se proté­geant des inté­gristes de tous poils et de leur volonté d’em­prise sur une partie de nos conci­toyen.nes.

Le Titre I de la loi concerne « les prin­cipes ».  L’ar­ticle 1 découle direc­te­ment de cet esprit :

« La Répu­blique assure la liberté de conscience. Elle garan­tit le libre exer­cice des cultes sous les seules restric­tions édic­tées ci-après dans l’in­té­rêt de l’ordre public. »

La loi de 1905, c’est donc d’abord la réaf­fir­ma­tion de deux liber­tés : celle de croire ou de ne pas croire et pour les croyants, celle de pratiquer leur reli­gion. Cet article a été mis, en premier, après des jours de débat. Ce n’est pas un hasard. C’est parce que la liberté est la valeur fonda­men­tale.La laïcité n’est donc pas une arme de guerre contre les reli­gions, ni contre les croyants.

Dans la classe, les corps se détendent, les visages s’ouvrent. On liste tout ce qui fait la pratique d’une reli­gion. On redit le droit d’être athée aussi. Les ques­tions fusent. La suite peut être enten­due et comprise.

Or, la suite ne peut être lue qu’à l’aune de ce premier article. L’ar­ticle 2 dit :

« La Répu­blique ne recon­naît, ne sala­rie ni ne subven­tionne aucun culte.(…) Pour­ront toute­fois être inscrites auxdits budgets les dépenses rela­tives à des services d’au­mô­ne­rie et desti­nées à assu­rer le libre exer­cice des cultes dans les établis­se­ments publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.Les établis­se­ments publics du culte sont suppri­més (…) »

C’est clair, et ça vient en 2e posi­tion. L’Etat ne finance ni les prêtres ni les bâti­ments, et ses agents sont neutres, puisqu’au­cune reli­gion n’est « recon­nue ». A noter, comme l’Etat garan­tit à chaque croyant la liberté de pratiquer sa reli­gion, on pense à ceux qui ne peuvent pas avoir accès à un lieu de culte : les lycéens en inter­nat, les prison­niers, les malades dans les hôpi­taux. Là, l’Etat prend en charge finan­ciè­re­ment cet accès.

Enfin, le titre V met en place toute une série d’ar­ticles concer­nant la « Police des cultes », conçue pour proté­ger l’in­di­vidu de toutes les pres­sions, qu’il veuille exer­cer un culte ou pas, montrer sa foi, ou pas. Elle protège les lieux de culte contre les agres­sions exté­rieures et protège aussi les insti­tu­teurs, les fonc­tion­naires, et plus large­ment les citoyens, contre l’in­tru­sion  du reli­gieux dans les affaires publiques.

 Dans les débats d’aujourd’­hui, la droite réac­tion­naire et l’ex­trême droite font de cette loi une arme de guerre contre la reli­gion musul­mane, avec une alliance assez étrange avec les tradi­tion­nels anti­clé­ri­caux type Char­lie Hebdo, dévoyant complè­te­ment l’es­prit et la lettre de la loi, nous y revien­drons.

La loi de 2004 sur les établis­se­ments scolaires,  une excep­tion non exten­sible

La loi de 2004 qui inter­dit les signes reli­gieux « osten­sibles » dans les établis­se­ments scolaires a rendu les choses confuses. Elle fut adop­tée dans un contexte de fortes tensions et instru­men­ta­li­sée par Sarkozy au nom des « troubles à l’ordre public », même si certains l’ont défen­due pour proté­ger les jeunes filles musul­manes des pres­sions de la cité, des garçons qui les trai­taient de « putes » parce qu’elles ne voulaient pas se voiler et des auto­ri­tés reli­gieuses. Force est de consta­ter que cette loi n’a pas réglé les problèmes de prosé­ly­tisme dans les établis­se­ments scolaires. Elle a proba­ble­ment rempli son rôle de garan­tie d’un espace de liberté. En revanche, elle a foca­lisé les débats sur la ques­tion du voile, qui conti­nue d’être instru­men­ta­lisé par l’ex­trême droite, une partie de la droite et de la gauche et pollue les débats depuis lors.

Elle a surtout brouillé le message prin­ci­pal de la loi de 1905 : la neutra­lité reli­gieuse concerne les agents de l’Etat, pas les usagers des services publics.

Les inter­dic­tions aux mères voilées de parti­ci­per à des sorties scolaires (annu­lées par le Conseil d’Etat) le débat affli­geant sur le « burkini » dans les piscines de Grenoble cet été sont de bons exemples de cette lecture volon­tai­re­ment erro­née de la loi : à aucun moment, redi­sons-le, les usagers du service public ne sont tenus à la neutra­lité. Les femmes en burkini à la piscine ne portent donc pas atteinte à la laïcité. Elles ne « troublent pas l’ordre public », sauf à consi­dé­rer qu’une femme qui se fait agres­ser publique­ment à cause de sa tenue est respon­sable de la violence créée… terrain glis­sant s’il en est. En revanche, porter un burkini peut être contraire aux règles d’hy­giènes en vigueur dans les piscines et le Conseil d’Etat a jugé qu’on ne pouvait pas déro­ger à la règle géné­rale pour raison reli­gieuse.

Ce n’est pas un hasard si JM Blanquer, ex-ministre de l’édu­ca­tion natio­nale, pour­fen­deur du « wokisme » et parti­san acharné d’une laïcité inté­griste et fermée, est aussi celui qui s’est illus­tré par sa chasse aux nombrils visibles de lycéennes. Ses décla­ra­tions sur la « tenue répu­bli­caine » qu’elles devaient porter a beau­coup fait rire et suscité un torrent de commen­taires sur les réseaux sociaux, à juste titre. Mais elles sont symp­to­ma­tiques d’une confu­sion assez répan­due : à force de bran­dir la laïcité et la répu­blique au nom de tout et n’im­porte quoi, on les vide de leur sens. Et c’est toujours aux femmes qu’on demande des comptes : trop vêtues, pas assez, le contrôle du corps des femmes a toujours été un enjeu pour les socié­tés patriar­cales. La foca­li­sa­tion actuelle sur les jeunes filles qui portent des abbayas (longues jupes) dans les lycées en est le énième avatar. 

Et si on nous lâchait un peu ?

Liberté reli­gieuse et défense de l’athéisme, même combat !

Il faut tenir les deux bouts : défendre le droit au blas­phème de façon incon­di­tion­nelle, mais combattre les propos racistes, isla­mo­phobes et discri­mi­na­toires. Est-il juste que les tribu­naux aient condamné Dieu­donné, mais pas Char­lie Hebdo ? Oui car la loi protège les croyants, pas les croyan­ces… Défendre le droit d’être athée, promou­voir notre vision de la société où des indi­vi­dus libres se déter­minent sans le poids de la reli­gion, mais proté­ger les droits de celles et ceux qui cherchent une spiri­tua­lité.  La liberté reli­gieuse fait partie des droits humains fonda­men­taux, que cela nous plaise ou non.

La loi de 1905, rien que la loi de 1905, toute la loi de 1905

Pour qu’il n’y ait pas d’am­bi­guïté : les inté­gristes reli­gieux de tous bords sont nos enne­mis poli­tiques. Qu’ils soient catho­liques, juifs, musul­mans ou évan­gé­listes, leur projet de société est fasciste et liber­ti­cide pour tous, en parti­cu­lier pour les femmes. Il faut lutter poli­tique­ment contre eux, partout et avec tous les moyens effi­caces. Mais sans confondre inté­gristes et croyants. Attaquer la liberté reli­gieuse est une arme qui se retourne contre nous, faisant des victimes colla­té­rales nombreuses, et toujours des femmes. Dès lors, dans ce contexte tendu, la seule ligne que l’on doit adop­ter est la défense incon­di­tion­nelle de la loi de 1905. Certes, nous sommes confron­tés à une contes­ta­tion à la fois poli­tique et sociale du prin­cipe de laïcité, par les sectes  et les inté­gristes. Mais la loi offre les moyens de s’at­taquer aux auteurs de pres­sions ou de violence : les articles liés à la police des cultes et leur juris­pru­dence le permettent.

Pour Patrick Weil: « Les rédac­teurs de la loi de 1905 n’igno­raient pas les dérives possibles de la reli­gion. Ils avaient tout à fait prévu l’exis­tence de pouvoirs reli­gieux qui contes­te­raient les lois de la Répu­blique. Ils ont immé­dia­te­ment eu à affron­ter une épreuve déci­sive face à une Eglise catho­lique et un pape extrê­me­ment vindi­ca­tifs. Mais ils avaient décidé de combattre avec des prin­cipes : tout accor­der aux indi­vi­dus et aux citoyens croyants, y compris le droit de montrer leur foi dans l’es­pace public, à condi­tion de n’exer­cer aucune pres­sion; proté­ger aussi le culte contre tout désordre. Mais punir sévè­re­ment au moyen de la loi pénale les abus commis au nom de la reli­gion. Et leur stra­té­gie a effec­ti­ve­ment été couron­née de succès 1 »

La loi de 1905 se suffit donc à elle-même et contient toutes les dispo­si­tions qui permettent de lutter contre les inté­gristes – lesquels s’im­plantent d’au­tant plus faci­le­ment que l’Etat a aban­donné depuis des décen­nies certains quar­tiers, vidés de leurs services publics. Il suffit juste d’ap­pliquer ces dispo­si­tions, comme elles l’ont été dans les années qui ont suivi l’adop­tion de la loi, contre des curés, des évêques et même un cardi­nal…

La loi « sépa­ra­tisme » : une rupture dans le contrat laïc, des présup­po­sés discri­mi­na­toires

Or, la loi du 24 août 2021, dite loi « sépa­ra­tisme », prend à contre-pied l’es­prit de la loi de 1905 : au lieu d’in­té­grer à la répu­blique  la masse des croyants en ciblant les indi­vi­dus fauteurs de troubles, elle crée une sorte de respon­sa­bi­lité collec­tive de l’en­semble des cultes, qu’elle met sous tutelle. Ce qui, en plus, menace l’idéal de sépa­ra­tion entre l’Etat et les orga­ni­sa­tions reli­gieuses.  Après la déca­pi­ta­tion de Samuel Paty, événe­ment tragique qui a boule­versé toute la société, on a décou­vert que le recteur de la mosquée de Pantin avait relayé une vidéo le dénonçant. Or, il n’a pas été pour­suivi, alors qu’il était respon­sable d’un délit ! En revanche, on a fermé la mosquée, ce qui est puni­tion collec­tive injuste.

Mani­fes­ta­tion à Mont­pel­lier contre les lois sécu­rité globale et sépa­ra­tisme en 2021

Cette loi de 2021,  crée un « délit de sépa­ra­tisme  ». Il prévoir de punir de cinq ans d’em­pri­son­ne­ment et 75 000 euros d’amende toute personne menaçant, violen­tant ou inti­mi­dant un élu ou un agent du service public dans le but de se sous­traire tota­le­ment ou partiel­le­ment aux règles des services publics.  Mais cette protec­tion des agents publics est déjà prévue dans la loi de 1905, et/ou dans la loi géné­rale. Et pourquoi « sépa­ra­tisme » lorsqu’il s’agit d’un délit de droit commun ? Suinte derrière l’idée nauséa­bonde que tout acte déviant est lié au « commu­nau­ta­risme », qu’une partie des musul­mans de France (puisque c’est eux qu’on vise) ne pour­raient pas s’in­té­grer dans la Répu­blique etc… Bref une loi d’af­fi­chage poli­tique délé­tère.

Il y a donc urgence à redon­ner au prin­cipe de laïcité toute sa dimen­sion éman­ci­pa­trice, une laïcité qui protège, une laïcité de liberté, d’éga­lité et de soro­fra­ter­nité.

Delphine Petit et Char­lotte Matyja

1 : Patrick Weil, De la laïcité en France, Folio Histoire, 2022

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