Manou­chian. Des héros au Panthéon.

 

Un chant de lutte

https://youtu.be/z1DaJo­gllx8?si=p0zQBLjLewc­chUnv

Les resca­pés face au RN.

https://blogs.media­part.fr/familles-des-descen­dants-de-ftp-moi/blog/200224/hommage-missak-et-meli­nee-manou­chian-non-la-presence-du-rn-au-pantheon

Gauche écoso­cia­liste

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Mercredi 21 février 2024, les cendres de Missak Manou­chian et de sa femme, Méli­née, sont trans­fé­rées au Panthéon. Cette déci­sion d’Em­ma­nuel Macron, annon­cée en 2023 lors des céré­mo­nies de commé­mo­ra­tion de l’ap­pel du 18 juin fait suite à une longue campagne menée notam­ment par les descen­dants de ce qu’on a coutume d’ap­pe­ler « le groupe Manou­chian », ou encore « ceux de l’Af­fiche Rouge » et par de nombreux histo­riens et intel­lec­tuels, Stéphane Cour­tois, Denis Peschanski, Jean-Pierre Sakoun, Annette Wieworka et bien d’autres.

Il s’agit là d’ho­no­rer, à travers celle d’un homme, d’un couple illustre, la mémoire de toute une part de la Résis­tance contre le nazisme, celle des combat­tant-e-s étran­ger-es, de la MOI (main d’œuvre immi­grée).

L’his­toire de ces mili­tants est complexe, elle a donné lieu à de nombreux récits, voire à des légendes qui ont parfois occulté la vérité histo­rique. La MOI fait suite à la MOE (main d’œuvre étran­gère) créée en 1925 par le Parti Commu­niste, Section Française de la IIIème Inter­na­tio­nale. Elle doit regrou­per et orga­ni­ser les travailleurs immi­grés qui affluent en France au lende­main de la crise de 1929. La MOI est orga­ni­sée en une dizaine de sections de « langue » : italiens, polo­nais, hongrois, espa­gnole, armé­nienne, roumaine, etc. Ceux dont le yiddish est la langue mater­nelle, quelle que soit leur natio­na­lité d’ori­gine, sont regrou­pés dans une section à part, qui publie sa propre presse, quoti­dienne à comp­ter de 1934, Naie Presse (la Presse Nouvelle). La section « juive » qui compte près de 200 membres en région pari­sienne crée autour d’elle de nombreuses struc­tures sociales, spor­tives et cultu­relles, dans lesquelles se regrou­pe­ront de très nombreux jeunes, parfois de « deuxième géné­ra­tion », fran­co­phones voire de natio­na­lité française.

La rupture du pacte germano-sovié­tique et l’in­va­sion de l’URSS par la Wehr­macht est un immense soula­ge­ment pour tous ces commu­nistes qui ont, pour certains, fui le nazisme, le fascisme italien, les régimes pogro­mistes d’Eu­rope centrale ou combattu dans les rangs anti­franquistes de la Répu­blique espa­gnole ou des Brigades Inter­na­tio­nales. Quand l’In­ter­na­tio­nale Commu­niste donne le signal de la lutte armée contre les nazis, en France, le Parti Commu­niste crée d’abord deux orga­ni­sa­tions, les Bataillons de la Jeunesse et l’Or­ga­ni­sa­tion Spéciale qui fusionnent en 1942, sous le nom des FTP (Francs-Tireurs et Parti­sans). Les FTP-MOI sont créés en avril 1942 et chaque section de langue doit y verser 10% de ses effec­tifs.

Les combat­tants des FTP-MOI sont orga­ni­sés en quatre déta­che­ments (roumains, italiens et juifs, plus un déta­che­ment « spécial ». Placés sous l’au­to­rité du respon­sable pari­sien des FTPF, Joseph Epstein (« colo­nel Gilles ») ils sont diri­gés jusqu’en février 1943 par Boris Holban, qui sera remplacé par Missak Manou­chian. Le nom même de « Groupe Manou­chian » est donc une simpli­fi­ca­tion histo­rique qui occulte la réalité de cette struc­ture résis­tante : les FTP-MOI sont des jeunes commu­nistes, anti­fas­cistes, inter­na­tio­na­listes, et pour certains d’entre eux, les cadres les plus âgés, des mili­tants ayant fait leurs preuves dans l’ap­pa­reil de l’In­ter­na­tio­nale et dans les Brigades Inter­na­tio­nales, appliquant les consignes de l’Union Sovié­tique.

L’ac­tion des FTP-MOI est multi­forme et repose sur les struc­tures satel­lites exis­tant avant-guerre. Soutien et soli­da­rité finan­cière, propa­gande et distri­bu­tion de presse clan­des­tine, actions contre les entre­prises four­nis­sant des biens ou services à l’oc­cu­pant. Mais aussi des actions mili­taires, envi­ron une tous les trois ou quatre jours en Région Pari­sienne pendant l’an­née 1943. Ces actions sont parfois symbo­liques, grenades contre la porte d’un garage alle­mand, parfois plus effi­caces, déraille­ments, attaques de déta­che­ments alle­mands dans les rues de Paris. La plus reten­tis­sante est l’exé­cu­tion du colo­nel Ritter, ami person­nel d’Adolf Hitler, respon­sable de l’or­ga­ni­sa­tion du STO en France. Cette opéra­tion, plani­fiée par Boris Holban, est fina­le­ment exécu­tée le 28 septembre 1943­par Marcel Rajman, Léo Knel­ler, Spar­taco Fonta­not et Celes­tino Alfonso, un Juif polo­nais, un Alle­mand en exil, un Italien anti­fas­ciste et un répu­bli­cain Espa­gnol, tous quatre membres du déta­che­ment sous la respon­sa­bi­lité de Missak Manou­chian.

La lutte armée expose à tous les dangers et, dès 1942, de nombreux combat­tants tombent lors d’ac­tions héroïques et parfois hasar­deuses, ou victimes d’er­reurs de mani­pu­la­tions d’ex­plo­sifs. Les géné­ra­tions mili­tantes se succèdent à une vitesse effrayante. Jeanne List, survi­vante de cette période racon­tait en 1980 à l’his­to­rienne Annette Wieworka qu’en 1942 « la première géné­ra­tion de mili­tants était déjà au cime­tière ». Son compa­gnon, Léon Pakin, avait été fusillé au Mont Valé­rien le 27 juillet 1942. Ce sont donc des mili­tants de plus en plus jeunes, moins formés poli­tique­ment et moins rompus aux tech­niques de la clan­des­ti­nité, qui rentrent les uns après les autres dans les struc­tures de lutte armée. Paral­lè­le­ment, la police française, tout parti­cu­liè­re­ment la Brigade Spéciale n° 2 du commis­saire David, est char­gée, pour le compte de la Gestapo, de traquer les FTP-MOI. A partir de premiers rensei­gne­ments recueillis dès la fin de 1942, d’ar­res­ta­tions lors d’opé­ra­tions, elle monte une série de fila­tures patientes qui abou­tissent à trois grandes séries d’ar­res­ta­tions, dans les rangs de la MOI d’abord, en mars 1943 où cinquante sept jeunes mili­tants (dont Henri Krasu­cki) sont arrê­tés. Puis, en exploi­tant les infor­ma­tions recou­pées une deuxième opéra­tion lui permet d’ef­fec­tuer une centaine d’ar­res­ta­tions en juillet. Les combat­tants restants sont de plus en plus isolés, un certain nombre de leurs liai­sons sont coupées, obli­geant à des rendez-vous de plus en plus risqués pour les respon­sables. Les derniers groupes tombent en novembre 1943. Au total, ce sont soixante-huit résis­tants qui sont arrê­tés lors de cette troi­sième traque. Parmi eux, les 23 fusillés du 21 février 1944.

L’Af­fiche Rouge, diffu­sée à Paris et dans d’autres villes, à plus de 15 000 exem­plaires, ne montre que dix visages d’hommes choi­sis avec soins parmi ces 68 résis­tant-e-s. C’est une Affiche de propa­gande qui vise à bien montrer qui sont ces soi-disant « Libé­ra­teurs », cette « armée du crime ». Des juifs étran­gers aux noms impro­nonçables : Grzy­wacz, Elek, Wajs­brot, Witchitz, Finger­weig, Boczov, Rajman, et des Rouges, des commu­nistes : l’Es­pa­gnol Afonso, l’Ita­lien Fonta­not et, enfin, le « chef de bande » Missak Manou­chian. Ici encore, la légende n’a retenu qu’une simpli­fi­ca­tion histo­rique, magni­fiée par le poème d’Ara­gon, mis en musique par Léo Ferré : ceux de l’Af­fiche Rouge ne sont pas un « groupe » homo­gène, ils ont été choi­sis parmi 68 résis­tants pour servir de repous­soirs. Ils sont le symbole de ce que les nazis détestent et craignent le plus.

Ce 21 février 2024, quatre-vingts ans après l’exé­cu­tion des 23 au Mont Valé­rien, ce sont tous ces hommes et ces femmes qui rentrent au Panthéon. Bien sûr, ils sont repré­sen­tés par le plus célèbre d’entre eux, Missak Manou­chian, par son épouse et cama­rade de lutte Méli­née. Mais il a fallu l’in­sis­tance des histo­riens et des descen­dants des « 23 » pour qu’une plaque portant leurs noms soit appo­sée au côté des cendres de Missak et Méli­née. Emma­nuel Macron célèbre cet homme, ces hommes et femmes qui ont « double­ment choisi la France », ces patriotes qui se sont sacri­fiés dans la lutte contre l’oc­cu­pant. Et c’est une bonne chose que le « Sang de l’étran­ger », soit enfin reconnu par la Répu­blique. Mais il faut qu’il soit reconnu pour ce qu’il est : le sang de travailleurs immi­grés, d’ou­vriers, le sang de juifs qui n’avaient pas d’autres choix, le sang de commu­nistes inter­na­tio­na­listes. Parmi ceux et celles qui ont survécu à la guerre, un certain nombre n’a pas fait « le choix de la France ». Certains sont retour­nés dans leur pays d’ori­gine, pour tenter d’y « construire le socia­lisme ». Meli­née Manou­chian en Armé­nie sovié­tique, Louis Gronowski et d’autres en Pologne, Artur London en Tché­co­slo­vaquie, Boris Holban en Rouma­nie. La plupart d’entre eux ont été rebu­tés par ce qu’ils et elles ont vu du stali­nisme, par les procès en « cosmo­po­li­tisme » fait aux combat­tants des Brigades Inter­na­tio­nales, par les résur­gences anti­sé­mites en URSS lors du « procès des blouses blanches » ou en Pologne après 1956.

La céré­mo­nie du Panthéon est un honneur mérité, une recon­nais­sance tant atten­due, mais il est impen­sable que l’ex­trême-droite des Le Pen et des Zemmour prétende y avoir part. Tant son passé que les valeurs qu’elle porte aujourd’­hui encore, la haine de l’étran­ger, la complai­sance envers le pétai­nisme, les relents d’an­ti­sé­mi­tisme jamais étouf­fés lui inter­disent toute appa­ri­tion, toute prise de parole tout appro­ba­tion hypo­crite du bout des lèvres. Et si le Président de la Répu­blique en appelle à la « décence » pour que le RN et Reconquête soit absent de la céré­mo­nie du Panthéon, il ne faut pas oublier toutes les compro­mis­sions vis-à-vis de l’ex­trême-droite qui ont émaillé ces derniers mois et qui culminent avec la loi immi­gra­tion.

A la fin des années 1960 et au début des années 1970, le 21 février était une « jour­née anti-impé­ria­liste », orga­ni­sée le plus souvent de façon unitaire par les orga­ni­sa­tions d’ex­trême-gauche, comme nous le disions alors. On y hono­rait la mémoire des résis­tants de la MOI en invi­tant les combat­tants viet­na­miens, les mili­tants latino-améri­cains en lutte contre les régimes dicta­to­riaux, les anti­co­lo­nia­listes afri­cains ou cari­béens, lors de colloques, de mani­fes­ta­tions ou de grands meetings. Aujourd’­hui peut-être, le Panthéon ne sera pas loin de la grande salle de la Mutua­lité.

Mathieu Dargel

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