Media­part. Nour Elassy. « À Gaza, la gros­sesse n’est plus un miracle, c’est un pari risqué »

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L’Or­ga­ni­sa­tion mondiale de la santé a signalé une augmen­ta­tion spec­ta­cu­laire des fausses couches, des morti­nais­sances et des décès néona­tals depuis le début de l’of­fen­sive israé­lienne.

À Gaza, la gros­sesse n’est plus un miracle, c’est un pari risqué

Dans sa nouvelle chro­nique depuis Gaza, l’écri­vaine et jour­na­liste pales­ti­nienne Nour Elassy raconte comment le géno­cide s’at­taque aussi aux enfants à naître. Elle dénonce « une guerre contre l’uté­rus », « un effa­ce­ment biolo­gique ».

Nour Elassy

Gaza (Pales­tine).

– (…)

Ils n’ont jamais eu le temps de pleu­rer. Pas le temps de respi­rer. Pas le temps d’être emmaillo­tés, embras­sés sur le front ou nommés. Ils sont morts dans le ventre de leur mère, affa­més, saignés à blanc, bombar­dés ou étouf­fés par la peur. Pas une seule caméra n’a filmé leurs corps. Pas un seul cessez-le-feu n’a été décrété pour leurs poumons. Mais ils étaient là. Des centaines. Peut-être des milliers. Dispa­rus avant même leur arri­vée. (…)

À Gaza, la gros­sesse n’est plus un miracle, c’est un pari risqué. Les femmes murmurent leurs nuits blanches et rêvent de traces de pas de bébés réduites en cendres. (…) Depuis le 7-Octobre, chaque femme enceinte à Gaza est contrainte de porter la vie dans un corps que le monde a déjà aban­donné. Être enceinte ici n’est pas une condi­tion sacrée. C’est une condam­na­tion à mort.

Sans nour­ri­ture, sans médi­ca­ments, sans sécu­rité et sans aucun endroit où se cacher, des femmes ont fait des fausses couches en fuyant les bombes, en mendiant devant les camions d’aide, en dormant sur le béton, en hurlant dans des cliniques effon­drées pour appe­ler des méde­cins déjà morts. Ce n’est pas une consé­quence de la guerre. C’est la guerre elle-même.

Il n’y a pas de sanc­tuaire à Gaza, pas de zone de sécu­rité. Les femmes fuient les bombes pour fina­le­ment s’ef­fon­drer sur le sable au clair de lune, en sang, aban­don­nées. Elles perdent leurs bébés en donnant à boire à leurs frères et sœurs, en traî­nant leurs maris bles­sés, en portant des provi­sions qu’elles n’at­teignent jamais.(…)

Lais­sez-moi vous présen­ter les faits, car les chiffres semblent plus impor­tants que les noms : plus de 50 000 femmes enceintes restent bloquées à Gaza, selon le Fonds des Nations unies pour la popu­la­tion. Nombre d’entre elles survivent avec un seul repas quoti­dien composé de hari­cots en conserve ou de pain moisi. Plus de 15 % souffrent de malnu­tri­tion grave, d’ané­mie sévère, de déshy­dra­ta­tion et d’in­fec­tions non trai­tées. 

L’Or­ga­ni­sa­tion mondiale de la santé a signalé une augmen­ta­tion spec­ta­cu­laire des fausses couches, des morti­nais­sances et des décès néona­tals depuis le début de l’of­fen­sive israé­lienne. Mais les dossiers médi­caux de Gaza sont frag­men­tés, enter­rés ou brûlés, comme tout le reste ici, de sorte que le nombre réel pour­rait ne jamais être connu.

Les hôpi­taux autre­fois capables d’of­frir la vie sont deve­nus des mauso­lées. Seules quelques mater­ni­tés subsistent, fonc­tion­nant dans des condi­tions de siège : pas de couveuses, pas d’élec­tri­cité, pas d’eau potable. Les sages-femmes accouchent à la lampe torche. Les césa­riennes sont pratiquées sans anes­thé­sie. Les femmes saignent sous les yeux de leurs mères. Les bébés qui survivent à la nais­sance meurent souvent en quelques heures, affa­més, infec­tés, mal lavés et sans nom.

Et pour­tant, le monde attend des preuves que ces enfants n’étaient pas des terro­ristes.

(…) Bombar­der un hôpi­tal, c’est anéan­tir l’ave­nir. Détruire des mater­ni­tés, bloquer des couloirs huma­ni­taires et bombar­der des zones d’éva­cua­tion ne relève pas de la stra­té­gie mili­taire. C’est de l’ef­fa­ce­ment biolo­gique. C’est un ciblage démo­gra­phique inten­tion­nel. C’est une campagne contre la conti­nuité elle-même. (…)

Je n’écris pas ceci pour vous choquer. J’écris ceci pour vous hanter. Car un jour, le monde dira : « Nous ne savions pas que c’était si grave. » Mais vous, vous le saviez. Vous le savez main­te­nant.

Les orga­ni­sa­tions de défense des droits des femmes doivent exiger des comptes. Non pas des décla­ra­tions neutres, mais une indi­gna­tion orga­ni­sée suivie d’une action immé­diate.

Les tribu­naux inter­na­tio­naux doivent consi­dé­rer cela comme un géno­cide démo­gra­phique, l’ef­fa­ce­ment d’en­fants avant qu’ils apprennent à pleu­rer. Les commu­nau­tés inter­na­tio­nales ne doivent pas parler de l’ave­nir de Gaza, nous devons crier pour les enfants à naître. (…)

Et si le silence était autre­fois une compli­cité, il est aujourd’­hui une allé­geance sanglante.

Nous ne perdons pas seule­ment des enfants. Nous perdons des géné­ra­tions. Nous perdons la possi­bi­lité d’avoir de futurs enfants. Nous perdons des berceuses. Nous perdons des mères.

Les bombes tombent. Et pour­tant, les bébés ne pleurent pas.

Nour Elassy

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