« Pour un vrai plan d’adap­ta­tion de nos forêts au chan­ge­ment clima­tique »

Contri­bu­tion d’Hen­drik Davi, Député NUPES, mili­tant LFI et Gauche écoso­cia­liste, Marseille

Mardi 2 août, nous avons présenté une propo­si­tion de loi visant à renfor­cer la rési­lience des forêts face aux effets du dérè­gle­ment clima­tique. Avec Mathilde Panot, nous expliquons dans cet article le contexte de cette propo­si­tion de loi et les mesures que nous défen­dons à La France insou­mise sur ce sujet.

https://blogs.media­part.fr/hendrik-davi/blog/030822/pour-un-vrai-plan-d-adap­ta­tion-de-nos-forets-au-chan­ge­ment-clima­tique

Le dérè­gle­ment clima­tique menace nos forêts avec des risques de cascades de pertur­ba­tions incluant séche­resses, tempêtes, attaques de scolytes et méga feux. Les taux de morta­lité des arbres augmentent déjà. L’ana­lyse des inven­taires fores­tiers le démontre aux USA[1] et au Canada[2] et le suivi des images satel­li­taires le confirme aussi en Europe[3]. L’ac­cen­tua­tion des séche­resses est une des causes de ces morta­li­tés crois­santes[4]. Le dernier rapport du GIEC[5] conclut que les chan­ge­ments clima­tiques augmentent très forte­ment le risque d’in­cen­dies de forêts du fait de l’aug­men­ta­tion des tempé­ra­tures et du dessè­che­ment de la végé­ta­tion. L’oc­cur­rence et la gravité des incen­dies se sont déjà accrues sous ces effets dans certaines zones du monde comme en Cali­for­nie. En France aussi, nos forêts brûlent ! Mardi 12 juillet, deux incen­dies se sont décla­rés en Gironde. Le bilan a été catas­tro­phique : 20 800 hectares de forêt sont partis en fumée et 36 750 personnes ont été évacuées. D’après le Système euro­péen d’in­for­ma­tion sur les incen­dies de forêt (EFFIS), plus de 47 000 hectares ont déjà brûlé en France depuis le début de l’an­née. Ces feux sont de plus en plus violents et plus précoces.

Or les forêts jouent un rôle impor­tant notam­ment dans l’at­té­nua­tion du chan­ge­ment clima­tique puisqu’elles captent 36% de nos émis­sions à l’échelle mondiale[6] et consti­tuent l’ha­bi­tat d’une très grande biodi­ver­sité. Il est donc urgent de proté­ger nos forêts et d’adap­ter leur gestion au chan­ge­ment clima­tique. C’est l’objet de notre propo­si­tion de loi. Souvent, le légis­la­teur réagit après chaque épisode esti­val où les incen­dies concentrent alors l’at­ten­tion média­tique, mais sa réflexion est insuf­fi­sante concer­nant le temps long. Il nous faut repen­ser dans la durée la gestion de la forêt et son adap­ta­tion au chan­ge­ment clima­tique pour que nos forêts soient plus rési­lientes aux diffé­rentes pertur­ba­tions : feux sur les pins des Landes en 2022, attaques de scolytes sur les épicéas dans le nord-est de la France en 2021[7], dépé­ris­se­ment des hêtraies suite aux séche­resses de 2018 et 2019[8] ou dégâts massifs suite aux tempêtes Lothar et Martin de 1999[9]. La fréquence et l’in­ten­sité de ces diffé­rentes pertur­ba­tions vont s’ac­croître avec le chan­ge­ment clima­tique. Elles peuvent poten­tiel­le­ment inter­agir entre elles : les tempêtes favo­ri­sant le bois mort et donc les attaques de scolytes l’an­née suivante, ces attaques sont d’au­tant plus fortes en cas de séche­resse et augmentent le risque d’in­cen­dies.

Des solu­tions existent pour adap­ter la forêt pour plus de biodi­ver­sité et un meilleur stockage de carbone, mais le préa­lable, selon nous, est de sortir la forêt de la logique indus­trielle et l’ONF de la contrainte de la vente de bois pour assu­rer sa solva­bi­lité finan­cière. En 2020, dans le cadre du plan de relance, le gouver­ne­ment a débloqué un budget de 150 millions d’eu­ros dédié au reboi­se­ment fores­tier. Mais l’as­so­cia­tion Cano­pée forêts vivantes nous indique que ces fonds ont essen­tiel­le­ment servi à finan­cer des projets de coupes rases suivies de plan­ta­tions, le plus souvent en mono­cul­ture.

Une stra­té­gie d’adap­ta­tion des forêts ne peut pas se résu­mer pas à un programme de plan­ta­tion massif d’arbres au risque de créer des mal-adap­ta­tions en plan­tant, par exemple, massi­ve­ment des essences exotiques[10]. Il faut penser une adap­ta­tion prudente de la forêt qui tienne compte de son carac­tère multi­fonc­tion­nel : puits de carbone, gise­ment de biodi­ver­sité, préven­tion de l’éro­sion des sols, bois éner­gie, bois d’in­dus­trie et bois d’œuvre. L’ar­ticle 1 de notre propo­si­tion de loi vise à inscrire dans les orien­ta­tions géné­rales de la poli­tique fores­tière l’ex­clu­sion de certaines pratiques sylvi­coles des objec­tifs de gestion de durable auxquels l’État doit veiller. Ainsi, les pratiques sylvi­coles telles que les plan­ta­tions mono­spé­ci­fiques et la conver­sion de forêts diver­si­fiées en plan­ta­tions mono­spé­ci­fiques ne peuvent être consi­dé­rées comme rele­vant d’une « gestion durable ». Elles ne peuvent être conte­nues dans des docu­ments de gestion et ne peuvent faire l’objet d’aides publiques.

Dans ce contexte, il faut d’abord favo­ri­ser la régé­né­ra­tion natu­relle des essences plus résis­tantes à la séche­resse, en accom­pa­gnant par la sylvi­cul­ture la montée des étages de végé­ta­tion. Nous devons aussi favo­ri­ser les mélanges souvent plus rési­lients à la séche­resse et aux attaques d’in­sectes, et qui consti­tuent une stra­té­gie plus prudente que les mono­cul­tures, car on augmente la proba­bi­lité qu’une des espèces survive aux pertur­ba­tions. En 2020, une tribune d’une quaran­taine de cher­cheurs expliquait qu’il faut prendre appui sur les avan­cées scien­ti­fiques pour mener une poli­tique de diver­si­fi­ca­tion des forêts françaises[11]. Les condi­tion­na­li­tés rela­tives à la diver­si­fi­ca­tion des forêts sont insuf­fi­santes et peu contrai­gnantes. Il est indis­pen­sable de les renfor­cer avant d’injec­ter 1,4 milliard d’eu­ros dans un nouveau programme d’adap­ta­tion de la forêt. L’ar­ticle 2 de notre propo­si­tion de loi vise juste­ment à condi­tion­ner les aides publiques à des objec­tifs écolo­giques de séques­tra­tion du carbone et de conser­va­tion. Et l’ar­ticle 3 impose d’in­tro­duire dans les docu­ments de gestion un volet biodi­ver­sité, un volet adap­ta­tion au dérè­gle­ment clima­tique et un volet consa­cré au risque incen­die.

Nous devons assu­rer la conti­nuité des couverts en évitant les coupes rases sauf en cas d’im­passe sani­taire avérée. La sylvi­cul­ture peut aussi être adap­tée au risque de séche­resse en adap­tant le rythme des éclair­cies et au risque incen­die en renforçant l’ac­cès au massif pour les pompiers. Enfin, il faut abso­lu­ment éviter la défo­res­ta­tion en zone tropi­cale par exemple pour l’ex­ploi­ta­tion de l’or en Guyane[12] ou du nickel en Nouvelle Calé­do­nie[13].

Pour adap­ter nos forêts aux enjeux de demain, nous avons besoin de plus de moyens dans la recherche publique pour comprendre l’ef­fet des chan­ge­ments clima­tiques sur les forêts. Les scien­ti­fiques ne sont pas assez nombreux à travailler sur ces sujets et les précaires trop nombreux à ne pas trou­ver de postes statu­taires et donc à aban­don­ner la recherche. L’ar­ticle 7 de notre propo­si­tion de loi demande au gouver­ne­ment de finan­cer un plan consa­cré à la recherche publique sur la rési­lience des forêts face aux effets du dérè­gle­ment clima­tique.

Nous avons aussi besoin de moyens pour l’ONF, qui est le service public garant d’une poli­tique de gestion durable de nos forêts. Pour rappel, l’ONF a vu ses effec­tifs divi­sés par deux entre 1985 et 2021. Emma­nuel Macron a conti­nué la saignée avec 1000 emplois en moins sous le précé­dent quinquen­nat. Les agents de l’Of­fice natio­nal des forêts dénoncent depuis de nombreuses années les condi­tions de travail dégra­dées auxquelles ils font face. Les souf­frances au travail se sont multi­pliées, et nombreux sont ceux qui dénoncent un mal-être, une perte de sens dans leur travail. 54 agents se sont suici­dés au cours des 15 dernières années, soit sur cette période, un taux de 34 pour 100 000 parmi les plus élevés du monde du travail. La casse du service public fores­tier doit cesser. Les syndi­cats demandent de longue date un finan­ce­ment à coût complet par l’État de l’Of­fice natio­nal des forêts, afin qu’il puisse exer­cer l’en­semble de ses missions, estimé à hauteur d’un milliard d’eu­ros, pour ne plus dépendre de la vente de bois. En 2020, la Conven­tion Citoyenne pour le Climat, instal­lée par le Président de la Répu­blique lui-même, jugeait « impé­ra­tif de péren­ni­ser l’exis­tence de l’Of­fice Natio­nal des Forêts et d’en augmen­ter les effec­tifs ». L’ar­ticle 4 de notre propo­si­tion de loi vise à sanc­tua­ri­ser les effec­tifs de l’Of­fice natio­nal des forêts à leur niveau pré-tempête de 1999, et l’ar­ticle 5 permet de garan­tir que le contrat entre l’État et l’Of­fice finance l’en­semble des missions qui lui sont confiées par la loi.

Enfin, ce n’était pas l’objet de ce texte, mais nous devons aussi recons­truire la filière bois dans son ensemble pour favo­ri­ser les usages durables du bois avec la trans­for­ma­tion locale du bois d’œuvre et du bois d’in­dus­trie (ex les pape­te­ries), afin de réser­ver le bois éner­gie aux rési­dus de l’ex­ploi­ta­tion du bois d’œuvre. La France est une expor­ta­trice nette de bois, notam­ment vers la Chine[14], pour­tant notre balance commer­ciale est défi­ci­taire (en 2020 8.5 Md€ d’ex­por­ta­tions et 15.6 Md€ d’im­por­ta­tion). Sché­ma­tique­ment, nous expor­tons du bois et impor­tons des meubles. Nous avons besoin du renfor­ce­ment des filières de lycées profes­sion­nels dans le secteur du bois. C’est tout le sens de la propo­si­tion faite pendant la campagne de créer des centres poly­tech­niques profes­sion­nels. Mais le secteur indus­triel doit aussi être aidé par l’État pour favo­ri­ser l’im­plan­ta­tion locale de scie­ries et menui­se­ries, afin de recou­vrer une certaine souve­rai­neté dans l’usage de nos bois.

Hendrik Davi & Mathilde Panot

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