Pourquoi le consen­te­ment dans la loi est une fausse bonne idée

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Pourquoi le consen­te­ment dans la loi est une fausse bonne idée

Clémen­tine Autain
Il y a quelques semaines sur France Inter, j’ex­pri­mais mon doute sur l’in­tro­duc­tion de la notion de consen­te­ment dans la loi sur le viol. Le livre de la philo­sophe Gene­viève Fraisse, Du consen­te­ment, que j’ai lu à sa sortie en 2007 et qui m’a dura­ble­ment marquée, a refait surface. Ma propre expé­rience du viol et mon enga­ge­ment de longue date sur le sujet ont fait le reste : depuis que ce débat est ouvert, je ressens un doute, je ne suis a priori pas convain­cue. Parce que le consen­te­ment est un mot ambigu. Il a trait à l’at­ti­tude de la victime et non de l’agres­seur. Et il ne rend pas compte des rapports de domi­na­tion.

Au pied du mur du vote à l’As­sem­blée natio­nale, je suis sortie de l’hé­si­ta­tion : je vote­rai contre la propo­si­tion de loi portée par ma collègue Sarah Legrain et le groupe insou­mis, avec lesquels je partage pour­tant le combat contre les violences faites aux femmes. Nous sommes d’ailleurs de très nombreuses fémi­nistes, person­na­li­tés ou asso­cia­tions, à contes­ter ce texte – et ce d’au­tant qu’il est présenté avant les conclu­sions d’une mission parle­men­taire de la délé­ga­tion aux droits des femmes sur ce sujet. Les compa­rai­sons inter­na­tio­nales ne plaident pas en sa faveur. Pour faire recu­ler ces violences, l’es­sen­tiel est ailleurs que dans la défi­ni­tion juri­dique du viol.

Une notion ambigüe

D’abord, cette ques­tion simple : peut-on clari­fier la défi­ni­tion du viol en intro­dui­sant une notion floue ? Le vieux proverbe « qui ne dit mot consent » exprime toute son ambigüité. Le consen­te­ment a deux facettes : l’ac­cord, l’adhé­sion à ce qui est proposé par quelqu’un d’autre, et l’ac­cep­ta­tion, voire la soumis­sion au désir de l’autre. Car si consen­tir signi­fie expri­mer son appro­ba­tion, on peut aussi consen­tir dans le cadre d’un rapport de force. Un violeur peut, par sa posi­tion domi­nante – de genre, finan­cière, profes­sion­nelle, fami­liale, physique, etc. – obte­nir le consen­te­ment d’une victime. Cette dernière aura pesé le pour et le contre, et préféré subir que de refu­ser. Car les viols sont majo­ri­tai­re­ment commis dans un contexte d’iné­ga­lité et de dépen­dance. Il est donc facile d’ex­torquer un consen­te­ment.

Au fond, ce que ne resti­tue pas la notion de consen­te­ment, ce sont les rapports de domi­na­tion hommes/femmes. Jusqu’au début du XXIe siècle, on peut trou­ver un diction­naire capable de défi­nir le mot consen­tant par « ne se dit guère que des femmes ». Cela devrait nous rendre prudents sur le recours à ce terme. Consen­tir, c’est davan­tage accep­ter qu’adhé­rer. Or les condi­tions pour dire « oui » ne sont pas indé­pen­dantes de l’état des rela­tions entre les sexes dans une société donnée. Dans un contexte inéga­li­taire, le consen­te­ment porte le risque de n’être que « l’ac­cep­ta­tion tacite d’une domi­na­tion », pour reprendre les termes de l’an­thro­po­logue Nicole-Claude Mathieu.

La preuve par l’in­ter­na­tio­nal

Tout cela peut sembler très philo­so­phique quand l’ur­gence est concrète : faire recu­ler les violences faites aux femmes. Et après tout, si l’in­tro­duc­tion du consen­te­ment dans la loi permet­tait d’en finir avec ce chiffre ahuris­sant : seuls 1% des viols abou­tissent à une condam­na­tion, ne faudrait-il pas s’en satis­faire ? Là rési­dait mon hési­ta­tion avant d’al­ler voir ailleurs ce qu’il en est…

Dans les pays où le consen­te­ment a été inscrit dans la loi, l’im­pu­nité n’a pas reculé et on constate même parfois une dimi­nu­tion des condam­na­tions – sauf en Suède où la loi précé­dente compor­tait une défi­ni­tion si restric­tive du viol qu’elle n’avait quasi­ment pas d’ef­fet. Au Canada où le consen­te­ment est dans la légis­la­tion, le taux de condam­na­tions au regard du nombre d’agres­sions signa­lées est équi­valent à celui français. Au Royaume-Uni, après la loi intro­dui­sant le terme, le nombre des condam­na­tions pour viol a presque été divisé par deux. En Belgique, le rapport d’Am­nesty Inter­na­tio­nal de 2022 pointe parfai­te­ment la situa­tion : « la victime sur qui repose la charge de la preuve et qui doit donc prou­ver qu’elle n’a pas consenti, peut faire face à des commen­taires tels que : « si elle est montée dans sa chambre, c’est qu’elle était consen­tante », « si elle s’est habillée ainsi, c’est qu’elle avait envie et donc qu’elle était consen­tante », « si elle n’a pas dit non, c’est qu’elle était consen­tante »…

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le consen­te­ment inscrit dans le marbre juri­dique ne change pas la donne. Pour l’Union syndi­cale de la magis­tra­ture (USM), la défi­ni­tion actuelle du viol en France paraît satis­fai­sante car elle permet d’en­glo­ber une multi­tude de situa­tions. La juris­pru­dence donne en effet à voir qu’en l’état, elle est en capa­cité de couvrir toute la palette des situa­tions – en prin­cipe, car c’est évidem­ment une autre affaire dans la réalité, ce qui peut invi­ter les légis­la­teurs/trices à préci­ser la défi­ni­tion mais l’on voit bien que là n’est pas l’élé­ment déter­mi­nant. Le défaut de preuve maté­rielle, qui est en partie lié au manque d’in­ves­ti­ga­tion, est en réalité la plus grande diffi­culté à laquelle nous sommes confron­tés, et modi­fier la défi­ni­tion du viol n’y chan­gera rien. En tout état de cause, il ne faudrait pas qu’une nouvelle rédac­tion vienne fragi­li­ser les victimes.

Le procès de la victime ?

En réalité, les enquêtes et procès tournent déjà autour de la ques­tion du consen­te­ment. Le procès de Mazan montre à quel point, même en cas de soumis­sion chimique, la victime doit se justi­fier : Gisèle Péli­cot est suspec­tée d’avoir été volon­taire dans un jeu liber­tin. Géné­ra­le­ment, les violeurs et agres­seurs ne nient pas l’acte sexuel mais prétendent qu’il est consenti. Est-ce qu’une défi­ni­tion précise de ce que signi­fie­rait un consen­te­ment pour­rait aider police et magis­trats ? Ce n’est pas le cas de la propo­si­tion de loi soumise au vote de l’As­sem­blée qui pose le terme sans lui donner une pleine compré­hen­sion de ce qu’il recouvre. Mais comme le note Anne Bouillon, juriste spécia­liste des violences faites aux femmes, « venir carac­té­ri­ser ce qui mani­feste un consen­te­ment plein et entier, évidem­ment, c’est une ques­tion déli­cate »… Les victimes ont-elles eu la liberté de dire non ? Ont-elles réel­le­ment désiré cet acte sexuel ? Ce sont plutôt les notions d’em­prise et de sidé­ra­tion qui aident à comprendre les méca­nismes de la majeure partie des violences sexuelles.

L’inquié­tude, c’est que la victime soit plus encore au centre du procès, et non le violeur. Les femmes et le minis­tère public risquent de devoir plus encore prou­ver l’ab­sence de consen­te­ment. Les avocats des agres­seurs seront davan­tage portés à analy­ser l’at­ti­tude de la victime pour débusquer ce qui a pu signi­fier qu’elle était d’ac­cord. En outre, le consen­te­ment s’in­té­resse à la dimen­sion immé­diate de l’ac­cep­ta­tion alors que, dans la plupart des cas, ce qu’il faut comprendre, c’est le phéno­mène plus ancien, qui remonte dans le temps et a installé la préda­tion permet­tant d’abou­tir à la violence sexuelle. Il me semble que le livre de Vanessa Sprin­gora, juste­ment inti­tulé Le consen­te­ment, ne raconte pas autre chose.

Pour une loi-cadre

Je ne propose évidem­ment pas de rester les bras ballants devant le clas­se­ment sans suite de 86% des violences signa­lées à la police. Mais faisons atten­tion à ne pas nous complaire dans des propo­si­tions impuis­santes à modi­fier le réel. Quelle que soit la défi­ni­tion du viol, l’im­pu­nité se constate partout à travers le monde. Le cœur de la solu­tion n’est pas dans le chan­ge­ment de défi­ni­tion légale mais dans la volonté poli­tique à inves­tir dans une loi-cadre, c’est-à-dire compor­tant des moyens finan­ciers et humains.

Car le problème, c’est la culture du viol qui imprègne la société toute entière, des femmes qui renoncent à porter plainte aux juges et jurés qui ont géné­ra­le­ment des stéréo­types plein la tête et une mécon­nais­sance des méca­nismes à l’œuvre, en passant par des poli­ciers mal formés à recueillir la parole des femmes. Le problème, c’est le manque cruel de moyens pour la justice. Avec la défer­lante MeToo, c’est peu dire que l’ins­ti­tu­tion a été dans l’in­ca­pa­cité d’y faire face. Le problème, c’est la réduc­tion de la dépense publique qui touche les asso­cia­tions et les services publics capables de faire recu­ler ces violences. Ce n’est pas la défi­ni­tion juri­dique qui est en cause mais son appli­ca­tion. Et n’ou­blions pas que seules 6% des femmes victimes d’agres­sion sexuelle, de viol et de tenta­tive de viol déclarent les faits à la police ou gendar­me­rie.

Oui, il faut chan­ger quelque chose pour que cesse l’im­pu­nité crasse. Faire entrer le consen­te­ment dans la loi semble à première vue frappé au coin du bon sens. Mais je me méfie toujours du « bon sens », c’est-à-dire de la première impres­sion, par nature pétrie de pensée domi­nante. Saisir l’his­toire de la notion et son ambigüité est essen­tiel pour viser juste, dans la loi mais aussi dans nos repré­sen­ta­tions. Je me méfie aussi des raccour­cis car ils nous reviennent en boome­rang. Nous ne pouvons pas contour­ner les mesures fonda­men­tales : il faut déga­ger quelques milliards pour inves­tir dans la préven­tion, la forma­tion, le fonc­tion­ne­ment de la justice, l’ac­com­pa­gne­ment des victimes. Là est le cœur du combat. Et sur ce point, je sais que tout le Nouveau Front Popu­laire est d’ac­cord. C’est essen­tiel.

Clémen­tine Autain

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