Quelques éléments de réflexion sur différents aspects de la crise du coronavirus
Une réflexion de l’équipe d’animation du Réseau pour l’Autogestion, les Alternatives, l’Altermondialisme, l’Ecologie et le Féminisme
L’extension de la pandémie de coronavirus et les mesures de confinement de la population qui se généralisent dans de nombreuses régions du monde créent une situation inédite à l’échelle planétaire. Cette crise sanitaire, économique, sociale mais aussi politique laissera des traces profondes dans nos sociétés.
1) Comme pour d’autres virus dits « émergents » ces dernières années (Ebola, Zika…), il semble que l’apparition de cette maladie ait son origine dans la pression que les activités humaines font peser sur l’environnement (déforestation, productivisme…) et qui favorise le franchissement de la barrière des espèces. Pour autant, le développement de la pandémie en Europe prend une ampleur particulière qui renvoie aux politiques d’austérité et de casse des services publics menées un peu partout depuis des décennies, en particulier dans les services de santé : diminution continue du nombre de lits dans les hôpitaux, fermeture de services dans les hôpitaux de proximité et concentration des structures hospitalières, place grandissante de l’hospitalisation privée. En France, dès avant la survenue de l’épidémie, la pénurie de médecins du fait du numérus clausus et les effets délétères de la tarification à l’activité (T2A) avaient déjà largement fragilisé notre système de santé. Ces politiques austéritaires démontrent aujourd’hui leur caractère criminel et de plus en plus de gens en prennent conscience (voir l’expression dans les médias de nombreux professionnels de santé pas forcément « de gauche » et la multiplication des manifestations de solidarité aux fenêtres).
2) La gestion de la crise révèle l’incurie des gouvernements qui se sont succédés comme l’extrême fragilité de nos sociétés livrées au capitalisme mondialisé : Pénurie de masques et de moyens individuels de protection, pénurie de tests de dépistage, pénurie de gel hydroalcoolique… Un comble quand on sait par exemple que, dans les Côtes d’Armor, une entreprise qui avait une capacité de production de 200 millions de masques par an a fermé fin 2018 et que la production a été délocalisée en Tunisie par l’actionnaire américain (280 salariés licenciés). Quand on apprend également que dans le Puy de Dôme, les travailleurs/ses de l’usine Luxfer, seule entreprise d’Europe à fabriquer des bouteilles d’oxygène médical, luttent depuis des mois contre la liquidation de leur entreprise décidée par leur actionnaire anglais (138 emplois en cause). Il en découle que la France, comme les autres Etats européens, a été dans l’incapacité de mener une stratégie de gestion ciblée de l’épidémie comme ont pu le faire la Corée du sud ou Taiwan (dépistages de masse, isolement des porteurs du virus, port généralisé de masques). Cette situation n’est pas le fruit de la fatalité mais le résultat de décisions politiques et il faudra bien que leurs auteurs rendent des comptes !
3) Si dans les pays occidentaux la crise sanitaire est grave et ne doit pas être minimisée, en Afrique, en Amérique indo-afro-latine, en Asie et en Océanie, dans les pays dont les structures sanitaires et de protection sociale sont lacunaires ou inexistantes, c’est une véritable catastrophe qui se profile. Au vu de l’incapacité des Etats européens à définir une politique commune de lutte contre l’épidémie ou à engager la moindre action de solidarité continentale, on peut très sérieusement craindre que les pays du Sud soient purement et simplement abandonnés face au défi sanitaire qui les attend.
4) Les comportements individualistes, classiques en période de crise, sont condamnables,mais la tentation est grande pour nos gouvernants de mettre à profit la crise sanitaire pour stigmatiser et mettre en place des politiques sécuritaires renforcées, en particulier en développant un discours de culpabilisation sur le non respect des mesures de confinement qui vise principalement les quartiers populaires. Il n’y a pas eu la même stigmatisation vis à vis de ces milliers de cadres qui ont quitté les grandes agglomérations pour venir se « réfugier » dans leurs résidences secondaires au risque de disséminer l’infection dans des régions jusqu’alors peu touchées. Après le renforcement continu des mesures de confinement (confinement par ailleurs indispensable faute d’avoir su mener une autre stratégie), c’est du traçage de masse de la population via les réseaux téléphoniques dont il est maintenant question. Il est à craindre qu’après la fin de l’épidémie, ces dispositifs sécuritaires demeurent, au moins en partie. Et ce d’autant plus que des semaines de confinement et de matraquage médiatique pourront avoir développé une « demande » de sécurité au sein de la population. La bataille pour le rétablissement des libertés démocratiques sera un enjeu majeur à l’issue de cette crise.
5) Paradoxe de la situation : alors que les autorités gouvernementales étendent le confinement généralisé de la population (fermeture des marchés y compris alimentaires), en même temps, elles font tout pour inciter les entreprises à poursuivre leur activité au mépris de la préservation de la santé des salariés, même celles dont la production n’a que peu de rapport avec la satisfaction des besoins vitaux de la population, comme dans le bâtiment. Ce double discours indique quelles sont les véritables priorités du pouvoir macronien et là aussi, les prises de conscience grandissent. Des prises de position syndicales appelant à l’arrêt des productions non essentielles, des actions collectives pour le droit de retrait en témoignent mais sont peu médiatisées
6) Au dela de la crise sanitaire, il se profile une crise économique planétaire dont certains économistes prédisent qu’elle pourrait être pire que la grande dépression des années 30. L’effondrement des valeurs boursières ces dernières semaines en est peut être un signe avant-coureur. La question de « l’après » est donc posée dès à présent : Le système pourra-t-il repartir « comme avant » dans une fuite en avant mortifère ? Qui, dans l’esprit des capitalistes, devra payer demain les efforts de l’Etat pour aider les entreprises, si ce n’est les peuples ? Cette crise donnera-t-elle l’opportunité de rompre avec le capitalisme mondialisé et la financiarisation de l’économie ? De remettre à l’ordre du jour à une échelle de masse les questions de la socialisation des entreprises, de la relocalisation et de la finalité des productions (qu’est ce qu’on produit, pour qui et comment on produit) mais aussi la réduction massive du temps de travail, notamment pour lutter contre le chômage de masse qui se profile ? C’est une bataille politique d’ampleur qui s’annonce et même blessée, la bête ne se laissera pas abattre sans réagir. L’issue n’est pas écrite d’avance et l’histoire nous rappelle que les années 30 ont accouché du pire. Déjà, une partie des capitalistes -dont Trump et Bolsonaro sont aujourd’hui, après Boris Johnson il y a quelques semaines, l’expression politique- envisage de fait de sacrifier une partie de la population -âgée, peu productive, peu consommatrice et donc peu rentable-, sur l’autel des profits capitalistes. Malgré le confinement qui limite les possibilités d’action, il est indispensable de continuer à faire de la politique, à formuler des propositions offensives pour « l’après » qui ne pourra plus être comme « l’avant », en s’appuyant sur les pratiques et les expressions de solidarité citoyenne par le bas, comme sur les aspirations à une alternative écologique, solidaire et autogestionnaire.
Pour l’équipe d’animation du Réseau, Jean Louis Griveau, 28 mars 2020