Services publics abîmés, violence sociale, opposition muselée : le bilan des villes gérées par le RN
Casse des services publics, autoritarisme, obsession sécuritaire, xénophobie… Alors que le Rassemblement national n’a jamais été aussi proche de Matignon, le bilan des dix villes gérées par le parti d’extrême droite éclaire « la rupture » promise par Jordan Bardella.
Jean-François Poupelin
27 juin 2024
« On n’a pas essayé le Rassemblement national. » La ritournelle qui tourne en boucle dans les interviews d’électeurs et électrices du parti de Marine Le Pen a de quoi surprendre. Depuis 2014 et 2020, le Rassemblement national (RN) gère en effet dix municipalités, dont Fréjus (Var, 53 000 habitant·es) et Perpignan (Pyrénées-Orientales, 122 000 habitant·es).
Présentées lors des municipales de 2020 comme des « vitrines » – « la preuve que [le RN] ça marche », assure Jordan Bardella –, ces communes sont aujourd’hui totalement absentes du débat public. À croire que leur bilan n’est pas si glorieux.
De fait, plusieurs maires RN, à l’image de David Rachline à Fréjus ou de Steeve Briois à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), ont eu maille à partir avec la justice. Au-delà des affaires, les arrière-boutiques des vitrines du frontisme municipal ne sont guère plus alléchantes. (…)Mediapart en dresse le bilan.
Pour baisser ou ne pas augmenter les impôts, les maires RN appliquent des recettes brutales : s’attaquer aux services publics et au secteur social. À Hénin-Beaumont, Steeve Briois multiplie ainsi les cadeaux au privé. « Récemment, il a privatisé la crèche, le funérarium et la piscine rénovée et tout juste inaugurée », rappelle le communiste David Noël, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) du Pas-de-Calais et conseiller municipal d’opposition entre 2014 et 2020. Si l’objectif affiché est de baisser la masse salariale, il a surtout entraîné une flambée des prix : + 60 % pour l’entrée à la piscine par exemple.
À Perpignan, Louis Aliot a lui aussi délégué au privé une des plus grandes crèches de la ville (85 berceaux) à la rentrée 2023. Selon la CGT, il porte également peu d’intérêt aux écoles publiques de sa commune. (…)
Idem à Béziers où Robert Ménard, élu depuis 2014 avec le soutien du RN, préfère le curé à l’instituteur et favorise le privé au détriment des écoles publiques.
Autre constante des municipalités d’extrême droite : l’abandon des quartiers populaires, avec un désengagement de la politique de la ville et des structures sociales. À Fréjus, le dernier centre social a fermé l’an dernier. Même constat à Beaucaire et au Pontet (Vaucluse), où les organismes sociaux sont sous-financés ou réorganisés. Au Pontet, dès le début de son premier mandat, Joris Hébrard a aussi baissé les aides du centre communal d’action sociale (CCAS) et mis fin à la gratuité de la garderie du soir et de la cantine pour les familles les plus démunies. Contacté, il a refusé de nous répondre.
Pour tenir leurs promesses, les maires RN se sont aussi attaqués aux associations. Et pas seulement à ce qu’ils appellent les « associations communautaristes » ou celles qu’ils accusent d’aider les migrant·es, comme le Secours populaire à Hénin-Beaumont. Dès le début de son mandat, Steeve Briois, maire de la commune du Pas-de-Calais, a également supprimé à la Ligue des droits de l’homme (LDH) son local et ses financements. À Orange, où l’extrême droite fêtera ses trente ans de pouvoir en 2025, ce sont le centre d’hébergement d’urgence et le syndicat CGT qui ont perdu leurs subventions.
En arrivant à la mairie de Beaucaire (Gard), Julien Sanchez a lui aussi eu la main très lourde sur plusieurs associations. Certaines ont subi une suppression pure et simple de leurs subventions ; d’autres des baisses drastiques, selon l’opposition. Dans la première catégorie, on trouve l’Amicale des sapeurs-pompiers et la Ligue de l’enseignement ; dans la seconde, des clubs de football, de baseball ou de handball. Ces derniers ont perdu entre 5 000 et 40 000 euros de financement. « En contrepartie, il y a eu pas mal d’associations de sports de combat de créées », note Laure Cordelet, présidente de l’association Action citoyenne antiraciste antifasciste Beaucaire.
La police municipale, seul service public préservé
Le seul domaine à ne pas souffrir de la gestion municipale du RN est celui de la sécurité. À Beaucaire, Julien Sanchez a doublé les effectifs de sa police en deux mandats, avec un objectif de 25 agent·es en 2026. De son côté, le maire de Béziers les a quasiment quadruplés, passant d’une trentaine en 2014 à 116 aujourd’hui. Mais la palme revient à Perpignan : avec 192 agent·es, la préfecture des Pyrénées-Orientales est aujourd’hui la deuxième ville française pour le nombre de policiers et policières par habitant·e.
« On a aussi 300 caméras de vidéosurveillance, avec un système aussi performant qu’à Nice », complète Guillem Vaulato, secrétaire général de la CGT des territoriaux de Perpignan. Si les maires d’extrême droite investissent dans l’humain, ils renforcent également les moyens matériels de leur police municipale (commissariats de quartier, armement, véhicules…) et élargissent ses missions. À Perpignan, les agent·es sont par exemple mobilisés dans la lutte contre le trafic de drogues.
Cette politique permet de séduire d’anciens policiers nationaux, mais commence aussi à produire des dérives. « Il n’y pas encore eu de décès dans un commissariat municipal comme à Béziers, mais il y a un début de bavure », s’inquiète le syndicaliste CGT, bibliothécaire de profession. Il fait référence à une arrestation très musclée d’un mineur en décembre 2023 par un policier municipal, un ancien militaire déjà mis en cause pour des faits similaires et soutenu par la mairie. Révélée par Mediapart, l’affaire a été jugée le 6 mai et mise en délibérée au 8 juillet.
Personnel municipal en souffrance
Tout le personnel municipal des communes dirigées par l’extrême droite n’est pas aussi choyé que les policiers. À Orange, la fin du quatrième mandat de l’ex-FN Jacques Bompard, en 2020, a été secouée par le management toxique du directeur général des services de l’époque. (…)
À Beaucaire, (…) En 2022, Mediapart avait révélé de nombreux cas de souffrance à la mairie, en raison de la réduction des effectifs et du comportement d’un militant d’extrême droite.(…) Un « mépris » que l’on retrouve également à Hénin-Beaumont. (…)
Opposition muselée
Cette volonté de faire taire toute contestation est un autre point commun entre les maires RN. Et pas seulement en conseil municipal.(…)