La voiture tourne, les déchets apparaissent sur le sol, une petite dizaine de CRS sont devant une entrée du camp. Des migrants marchent le long de la voie dans leur uniforme bigarré. Une allée boueuse s’enfonce dans la jungle. Autour d’elle s’étirent des tentes et des constructions précaires, des shops bien rangé, un drapeau afghan et une Eglise en carton. Le crachin sournois bat le visage fatigué et parfois souriant des migrants. Syriens, Kurdes, Soudanais, Erythréens et tant d’autres exilés de la guerre et de la misère. ‘’ Welcome to war, welcome to hell’’ me dit l’un d’entre eux, nous éclatons tous deux de rire. Voici ce que j’ai pu observer au cours de mon bénévolat dans la Jungle de Calais.
Une crise humanitaire et sanitaire
La ville de Calais constitue un point de passage important pour aller vers le Royaume-Uni. Le renforcement des contrôles à la frontière nourrit l’immense bidonville où tentent de survivre 6000 âmes bloquées. C’est sur le terrain vague, mis à la disposition par la Région du Nord-Pas-de Calais, que se développe une crise sanitaire et humanitaire colossale. Avec seulement trois points d’eau, 500 douches et une dizaine de toilettes, des cas de gale commencent à se développer. Les carences de tous genres (habits et nourriture) mènent au marché noir. Ceux qui ont réussi à braver la Méditerranée et les prisons bulgares se regroupent par origine dans le camp, des tensions et des rixes éclatent parfois entre clans.
L’action des bénévoles et des associations
Médecins sans frontières, Médecins du Monde, Salam, le secours catholique et l’Auberge des Migrants tentent de soulager la crise. C’est au sein de cette dernière que j’ai effectué mon bénévolat. Elle accepte les bénévoles de court et de long terme, essentiellement des femmes britanniques.
Son immense entrepôt est rempli de cartons emballés et à préparer. Chaussures, vestes, et shampoings issus des dons privés sont la rencontre entre les besoins du tiers monde et les illusions du premier monde : des milliers de petites bouteilles de conditionner encombrent le passage. Le déménagement de ces lieux mène l’auberge à migrer vers un autre entrepôt : nous en faisons le titanesque déménagement.
Nous aidons à la constitution de ‘’ personnal shopping lists’’ : nous apportons des habits et des chaussures à ceux qui n’ont pu avoir accès aux distributions de masse. Nous constituons aussi des kits pour l’hiver. Nous nous enfonçons parmi les tentes pour trouver les familles isolées, les sacs poubelles remplis de vêtements à la main. Il faut voir le visage anxieux des kurdes qui ont fui l’Etat islamique sourire à notre venue.
Enfin, nous participons à la distribution de nourriture au centre Jules Ferry. Ce sont 2000 repas subventionnés par l’Etat pour 6000 personnes. Une immense queue de centaines de migrants attend de pouvoir manger leur seul repas. Je sers la soupe et la sauce tout en les saluant. La barrière linguistique est réelle. Parfois, je vois plusieurs fois le même visage. Un petit garçon, malin, me demande de la sauce avec un morceau de viande qui flotte dedans. Une bénévole me parle des enfants qui arrivent seuls dans la nuit : leurs parents sont morts et ils sont intégrés dans leur communauté d’origine.
La nécessité d’agir et la responsabilité de l’Etat
Le 20 octobre, 800 personnalités signent l’appel à un plan d’urgence. Le lendemain, le ministre de l’Intérieur, monte à Calais et annonce le projet de fournir 1500 conteneurs chauffés pour l’hiver. Dans le courant de la semaine, l’effectif des gendarmes et des CRS est renforcé. La crainte des bénévoles est que ce plan d’aide soit appliqué trop tardivement et que ceux qui ne peuvent en bénéficier seront dispersés. Quoiqu’il en soit, l’action de l’Etat se situe dans le court-terme et traite l’existence de cette crise humanitaire comme s’il s’agissait d’une question temporaire. Ce n’est pas le cas. Cette situation résulte d’un entre-deux : l’Etat n’expulse pas les réfugiés mais ne leur accorde pas l’asile non plus. Elle découle également de l’ingérence des Etats occidentaux en Irak (invasion américain de 2003), Libye (intervention franco-britannique en 2011) et en Syrie (soutien, financement et armement directs et indirects des oppositions) notamment.
Des membres de l’Auberge me disent : ‘’ On a besoin d’eux, on ne les voit pas beaucoup, on compte sur toi’’. La Jungle manque cruellement de dons et de bénévoles. Il n’est pas besoin de traverser un océan pour pouvoir faire de l’humanitaire, il suffit d’un train à 1h30 de Paris.
Erik Da Silva, le 02/11/2015
[les photos sont de l’auteur de l’article]