Contre la loi Travail et son monde
Contribution collective aux débats qui agitent le mouvement par Annick Coupé (ancienne porte-parole de Solidaires), Thomas Coutrot (Attac), Nicolas Haeringer (350.org) et Aurélie Trouvé (économiste atterrée).
https://www.ensemble-fdg.org/content/que-peut-nuit-debout
« (…)D’une lutte contre une nouvelle réforme néolibérale du droit du travail, on est désormais passé à un rejet de « la loi Travail et son monde ». La référence explicite, largement présente dans le mouvement, à la lutte de Notre Dame des Landes – contre « l’aéroport et son monde » – est signifiante : l’ambition du mouvement n’est pas seulement de mettre en échec un projet mensonger, inutile et nuisible, mais de rejeter le monde qui l’a produit et de commencer à en construire un autre. En France, quatre années de présidence Hollande et de promesses méprisées, allant jusqu’à l’infâme projet de déchéance de nationalité et la scandaleuse loi Travail, débouchent sur un constat largement partagé : il n’y a plus rien à attendre ni à négocier. L’oligarchie qui nous gouverne, de « gauche » comme de droite, n’est plus un interlocuteur car elle a fait sécession. Avec les 1%, nous n’avons plus de monde en commun.
Mais comment expliquer la forme Nuit Debout ? Bien sûr les exemples étrangers, multiples depuis cinq ans, sont des inspirations. Comme pour les Indignés/Occupy, face aux abus des riches et au mépris des gouvernants, la révolte s’investit sur les places qui deviennent alors des « zones libérées », des Zad urbaines où l’on peut échanger, résister, expérimenter et construire. On y retrouve son souffle, on y libère sa parole, on y écrit de nouveaux récits, des utopies concrètes pour refonder un vivre ensemble. A quelques centaines d’abord, puis quelques milliers, bientôt peut-être beaucoup plus.
Joue aussi la mémoire des puissants mouvements de 2003 et de 2010 contre la réforme des retraites, et de leur échec malgré une longue succession de gigantesques manifestations largement soutenues par l’opinion publique. Il fallait donc innover.
Ce travail de réappropriation de la parole et de la créativité constitue un « nous » populaire. Il reconstruit du commun entre des individus jusqu’ici séparés par la concurrence et entre des luttes elles-aussi impuissantes car divisées.
(…)Contre la loi Travail et son monde, contre l’évasion fiscale et les crimes climatiques, les pétitions, les grèves et les manifestations, les occupations de places sont indispensables mais ne suffiront pas : en lien avec la place de la République et toutes les places occupées, avec les syndicats et associations, avec les citoyen.ne.s mobilisé.e.s, inventons les actions de désobéissance non violente et résolue qui frapperont les imaginations et renforceront le pouvoir citoyen.
A propos de la convergence entre les nuitdeboutistes et les syndicalistes
Enseignant en sociologie à Paris-I Panthéon-Sorbonne, Christophe Aguiton, l’un des fondateurs de SUD en 1988 et de l’association altermondialiste Attac, est reconnu comme un des spécialistes des mouvements sociaux. Entretien avec Libération.
https://www.ensemble-fdg.org/content/ne-croyons-pas-que-nuit-debout-naura-pas-de-consequences
« Le mouvement syndical et les animateurs de Nuit debout semblent vouloir amorcer un rapprochement. Est-ce qu’ils peuvent converger ou sont-ils condamnés à s’observer sans se comprendre ?
Il y a deux différences importantes. La première porte sur les revendications. Le mouvement syndical, par tradition, se base toujours sur des revendications précises. Là, en l’occurrence, c’est le retrait du projet de loi El Khomri et la négociation sur d’autres bases. Du côté de Nuit debout, si le point de départ a été aussi le projet El Khomri, c’est devenu un lieu d’agrégation des contestations et de réflexion sur les alternatives à construire. Des contestations qui viennent de la question sociale mais aussi des questions morales, avec le choc qu’ont représenté le débat sur la déchéance de nationalité et la position de Manuel Valls sur les réfugiés, mais aussi les questions environnementales qu’il ne faut pas sous-estimer.
Entre les deux, il y existe également d’importantes différences de fonctionnement. Le mouvement syndical se caractérise par une organisation pyramidale, avec des délégués, des responsables, des bureaux nationaux qui parlent « au nom de… »
La violence
Xavier Mathieu, ouvrier engagé dans une dure lutte naguère à l’usine Continental, est très présent à Nuit debout. Il analyse le mouvement, la situation globale, et la question de la violence dans un interview à Reporterre
http://reporterre.net/Je-ne-crois-pas-que-le-changement-de-societe-se-fera-sans-violence
« (…) Tu vois, le gamin qui s’est fait matraquer la gueule par le CRS [1], je le dis haut et fort, c’est une tentative de meurtre. On voit bien qu’il le relève, ce gamin de 15 ans, avant de lui mettre un crochet, avec une manchette de protection, dans la mâchoire, du bas jusqu’en haut… Tu peux lui péter les cervicales. C’est une tentative de meurtre.
Et pourtant, les médias n’en ont pas fait autant qu’avec le cadre d’Air France et sa chemise arrachée, avec des images qui ont fait le tour du monde pendant plus d’une semaine !
La violence, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Mais elle n’est pas de notre côté. Ce qui est rendu n’est rien à côté de ce qu’on prend. Cette loi El Khomri, si elle passe demain, ce sera une catastrophe. Cette loi dit que ton patron peut venir te demander d’accepter une baisse de salaire, sinon, il te licencie. Il a le droit de te licencier pour une raison économique, et derrière, les indemnités sont plafonnées… Vous savez ce que cela cache ? Uniquement la baisse des salaires.
Ils ont même été jusqu’à virer les visites médicales annuelles, dans la loi El Khomri. Avant, il y avait au moins un médecin qui pouvait surveiller les gens. Il y a quand même plein d’exemples de cancers ou de maladies qui ont été découverts dans les entreprises. Les visites médicales servaient à ça, à l’usine.
Alors, pour ce qui est de la violence, il n’y en a pas encore assez. Je ne crois pas que le changement de société se fera sans violence. Parce que les autres en face, ils ont ce qu’il faut.
Cette loi El Khomri vient d’un mec qui s’est fait élire en disant que son ennemi était la finance. Et la première personne qu’il a placé au ministère de la Finance, c’est Cahuzac, qui avait un compte caché en Suisse… Et celui qui arrive derrière vient de la banque Rothschild ! Si ça ne veut pas dire qu’il se fout royalement de notre gueule…