Témoi­gnage lors de la mani­fes­ta­tion du 1er Mai 2016 à Paris

https://paris-luttes.info/temoi­gnage-d-une-street­me­dic-lors-5552

Retour sur le premier mai 2016 vu du coté répres­sif. Avec ses lots de bles­sés et de membres brisés par les flics, mais aussi marqué par une soli­da­rité sans faille.

Un commu­niqué collec­tif sera publié très bien­tôt. En atten­dant, je tenais à écrire ce témoi­gnage pour que ce que l’on a vécu durant la jour­née de mobi­li­sa­tion du 1er mai contre la loi travail soit rendu public rapi­de­ment.

Cette mani­fes­ta­tion a été, de mon point de vue, une des plus violem­ment répri­mées depuis le début du mouve­ment. Néan­moins, c’est aussi lors de cette jour­née que j’ai pu assis­ter à des pratiques collec­tives de soli­da­rité, d’une ampleur et d’une force que je n’avais jamais connues aupa­ra­vant.

En tant que StreetMe­dic, nous avons eu à soigner, rassu­rer, prendre en charge d’in­nom­brables bles­séEs. Et quels que soient nos efforts de comp­ta­bi­lité, nous ne pouvons avoir accès qu’à un nombre restreint des victimes de la police, tant les affron­te­ments sont massifs et éten­dus. Nous avons vu et soigné des bles­séEs graves, des tirs tendus au flash­ball, aux grenades lacry­mo­gènes, aux grenades de désen­cer­cle­ment. Des tirs au visage, dans les yeux, les mains, sur les membres, sur tout le corps. Nous avons vu des doigts à demi section­nés, de la peau brulée, des personnes sous le choc, terro­ri­sées.

De manière géné­rale, les bles­séEs nous arrivent par salves. La première fois, c’était dans une grande nasse avant d’ar­ri­ver à Nation : 4 bles­séEs graves, beau­coup d’autres plus légerEs. Nous avons dû impro­vi­ser un triage, dans un poste de soin avancé malgré les affron­te­ments tout proches.

Là, j’ai vu les mani­fes­tantEs nous proté­ger, faire barrage de leur corps lorsque les charges de CRS sont arri­vées sur nous. Beau­coup de personnes sont restées là, à se mettre en danger, à prendre le risque de se faire arrê­ter, matraquer, tirer dessus. Par soli­da­rité. Et c’est cette atti­tude, qui a conti­nué de me marquer tout au long de la jour­née.

Plus tard, à Nation, nous avons pris en charge une personne dont une artère avait été section­née au niveau de la cheville, par un tir tendu de la police. Elle avait donc une hémor­ra­gie pulsa­tile, ce qui la rendait indé­plaçable, pour pouvoir main­te­nir un point de compres­sion. Nous sommes donc restéEs avec elle, à la soigner au centre de la place, pendant que les grenades lacry­mo­gènes pleu­vaient partout et que les tirs tendus sifflaient. Rapi­de­ment, d’autres bles­séEs nous ont été amenéEs.

Un péri­mètre de sécu­rité formé par une tren­taine de personnes s’est établi autour de nous.
Nous agitions un grand drapeau StreetMe­dic dans l’es­poir que la police ne charge pas et laisse parve­nir jusqu’à nous les secours que l’on avait appe­lés pour évacuer les bles­séEs les plus lourdEs.

Mais une pluie inin­ter­rom­pue de grenades lacry­mo­gènes s’est mise à pleu­voir sur notre petit péri­mètre. Nous étions quasi­ment les dernierEs sur la place. J’étais aveu­glée et asphyxiée. Une main compri­mant l’ar­tère d’unE des bles­séEs, l’autre proté­geant sa tête des tirs. Mais même les deux mains immo­bi­li­sées, sans rien voir et sans pouvoir respi­rer, je savais que l’on me proté­geait.

Toutes ces personnes, StreetMe­dics, mani­fes­tantEs, incon­nuEs sont restéEs autour de nous et ont gardé la ligne. Certaines ont placé leurs corps au-dessus de nous pour faire barrage aux palets de lacry­mo­gène brulants qui tombaient en pluie sur nous. L’une d’entre elles a d’ailleurs vu son sac commen­cer à flam­ber. Mais elles sont toutes restées jusqu’à la fin.

Je ne veux pas faire ici une apolo­gie de martyr, et je pense que nous auront beau­coup à nous ques­tion­ner sur la façon que nous avons eu de nous mettre en danger, physique­ment, nous, mani­fes­tants, et parti­cu­liè­re­ment les StreetMe­dics.

Mais à l’is­sue de cette jour­née, je tenais à dire à quel point j’ai été touchée par la soli­da­rité collec­tive, massive dont j’ai été témoin, et ce, tout au long de cette jour­née. J’ai vu des mani­fes­tantEs de tendances très diffé­rentes prendre soin les uns des autres. Indi­vi­duel­le­ment, en groupes ou en tant que cortèges. Et ce, malgré un degré de répres­sion intense et soutenu.

De mon point de vue de StreetMe­dic, cette jour­née a été un bain de sang. Nos inter­ven­tions tiennent de plus en plus de la méde­cine de guerre. Mais para­doxa­le­ment, le senti­ment le plus fort, le plus présent chez moi à l’is­sue de cette jour­née, c’est la grati­tude, un senti­ment fort de cohé­sion, de soli­da­rité, de force, de conver­gence et de déter­mi­na­tion. La preuve en acte que nous, étudiantEs, travailleurs, chômeurs, précaires nous pouvons être plus fortEs face aux patrons, à l’état, à sa police.

La soli­da­rité est une arme ines­ti­mable.

PS l’illus­tra­tion est une produc­tion du syndi­cat info-com CGT, reprise sur son blog de Media­part par Jean-Pierre Anselme. Qu’ils en soient remer­ciés. PB

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