Crise de la psychia­trie, une moder­nité sans sujet humain

Jean-Pierre Martin, présente son livre « Éman­ci­pa­tion de la psychia­trie » ce 7 octobre à 20h30 à la la Maison des Trois quar­tiers. Soirée Iepop, avec l’Union syndi­cale de la psychia­trie (dont il est mili­tant), la CGT Labo­rit et Soli­daires santé sociaux.

Voici un texte qu’il a adressé au Monde, suite à la présen­ta­tion du « rapport Wonner »

PB, 6–10–2019

« L’édi­to­rial du Monde du 20 septembre, inti­tulé Sauver la psychia­trie publique, cite le projet de rapport parle­men­taire des dépu­tées Caro­line Fiat et Martine Wonner sur l’état d’im­plo­sion de la psychia­trie, et souligne de façon perti­nente une phrase du rapport : « l’hô­pi­tal psychia­trique tel qu’il existe en France peut-il encore soigner les malades ». Si la descrip­tion de l’état de crise de la psychia­trie actuelle est large­ment parta­gée, elle semble s’ar­rê­ter à son actua­lité sans mettre en valeur les causes de cet état drama­tique.

En effet, insti­tuer le soin par la rela­tion soignants-patients est une éthique concrète pour rendre l’hô­pi­tal soignant, en rupture avec le soin par l’en­fer­me­ment histo­rique. Ce projet a été et reste celui de la psycho­thé­ra­pie insti­tu­tion­nelle et du secteur psychia­trique comme poli­tique géné­ra­liste de service public. La demande d’abro­ga­tion de la loi du 30 juin 1838 qui instaure et établit cet enfer­me­ment par l’in­ter­ne­ment du fou en est la recon­nais­sance juri­dique de l’hu­ma­nité de la folie, deve­nue avec la science médi­cale mala­die mentale. La poli­tique de secteur promue par Lucien Bonnafé visait à sortir le soin des asiles et de cette loi par une implan­ta­tion du soin sur des terri­toires citoyens. Les textes des années 60 et 70 l’ont appliqué comme moder­ni­sa­tion huma­ni­sa­tion de l’hô­pi­tal sans faire cesser l’en­fer­me­ment et psychia­trie secto­rielle inscrite de façon spéci­fique dans l’amé­na­ge­ment du terri­toire. Malgré cette gestion médi­cale et admi­nis­tra­tive, nombre d’équipes psychia­triques ont déve­loppé ces pratiques insti­tu­tion­nelles alter­na­tives, en parti­cu­lier avec les clubs théra­peu­tiques dans l’hô­pi­tal. Elles ont créé concrè­te­ment un secteur psychia­trique, avec plus ou moins d’en­ga­ge­ment à travailler avec les acteurs sociaux, la méde­cine géné­rale, puis les asso­cia­tions de patients et des familles ainsi que les élus locaux. C’est ce mouve­ment avec son hété­ro­gé­néité de pratiques qui est déclaré « en faillite » par les poli­tiques écono­mistes et sécu­ri­taires actuelles. Le soin subjec­tif rela­tion­nel est réduit à sa seule lecture neuros­cien­ti­fique et médi­ca­men­teuse, dite évaluable. Les « bonnes pratiques » défi­nies par la Haute Auto­rité de santé (HAS), dont tout un chacun peut obser­ver ses turpi­tudes public-privé (média­tor, depa­kine) sont d’abord la conten­tion médi­ca­men­teuse comme éradi­ca­tion du symp­tôme. Le sujet en souf­france avec sa pensée person­nelle et son imagi­naire cesse d’être l’objet du soin. Une partie des psychiatres accom­pagne ce déni au nom de la « science du cerveau », dont la figure de proue est la revue Fonda­men­tal. Sans surprise ils sont adeptes de cette gestion public-privé du service public et experts de l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique. C’set le prin­ci­pal groupe d’ap­pui de l’ap­pli­ca­tion du programme Hôpi­tal 2007 et des Lois HPST (2009) puis Moder­ni­ser notre système de santé (2016) et du projet de Loi Buzin actuel. Dans cette pers­pec­tive, ils se sont adap­tés très vite aux nouvelles formes d’or­ga­ni­sa­tions de renta­bi­li­sa­tion du soin et à la loi du 5 juillet 2011 sarko­zyste qui géné­ra­lise le sécu­ri­taire. La suppo­sée « dange­ro­sité » du malade psychique est son mantra de contrôle social. Les services fermés sous surveillance, la conten­tion médi­ca­men­teuse et physique systé­ma­ti­sée, a concerné en 2018 plus de 1000 personnes en plus mis en place­ment sous contrainte.

Toutes les causes de la crise de la psychia­trie sont là : le service de soin public devenu entre­prise de soin public-privé, le sujet malade réduit à un indi­vidu anonyme au sein d’une cohorte saisis­sable, le soin une addi­tion de proto­coles et d’actes tech­niques d’ef­fi­cience à court terme ; Le secteur psychia­trique une orga­ni­sa­tion de contrôle du trai­te­ment, un parcours du combat­tant d’une struc­ture à l’autre dont la coor­di­na­tion s’éta­blit par une diffu­sion de données infor­ma­tiques qui met à mal le secret médi­cal comme respect de l’in­ti­mité des patients et des patientes. Ce mana­ge­ment du tri vers le soin rentable public-privé trans­forme le service public en entre­prise concur­ren­tielle avec le privé, où le privé est appelé partout à se substi­tuer au secteur public mis en défaillance par ces poli­tiques mana­gé­riales. Les restruc­tu­ra­tions inces­santes et le soin à flux tendu que ces poli­tiques écono­mistes et sécu­ri­taires mettent en place, fait explo­ser la notion de métier et d’éthique soignante. Nombre de soignants ne savent plus le sens de leur travail, ce qui se traduit par une explo­sion la souf­france au travail et de formes de maltrai­tances déshu­ma­ni­santes des patients, ne serait-ce que dans la diffi­culté d’ac­cès aux soins.

Dire ces causes est commen­cer à repen­ser La psycho­thé­ra­pie insti­tu­tion­nelle et les pratiques de secteur psychia­triques. Partout où elles se sont appliquées avec l’en­ga­ge­ment des profes­sion­nels elles ont trans­for­mées les condi­tions humaines du soin avec des dispo­si­tifs de clubs et de services ouverts dans l’hos­pi­ta­li­sa­tion et de CMP, d’hô­pi­taux de jours, de centres d’ac­cueil et de crise ouverts 24h sur 24 qui ont précisé la néces­sité de toute hospi­ta­li­sa­tion comme un temps du soin dans le temps long psycho­thé­ra­pique. Des clubs de patients en ville, la nais­sance de GEMs, les conseils de santé mentale avec la présence des élus, des asso­cia­tions de patients et des familles ont tenté d’ap­pré­hen­der avec les services sociaux les nouveaux besoins dans une société de préca­ri­sa­tion géné­ra­li­sée des acti­vi­tés humaines. La ques­tion de la souf­france psychique et du trauma éten­due à l’ac­cueil incon­di­tion­nel de leur écoute, avec égale­ment celui des migrants est un ensemble d’ac­quis. Ce travail a clai­re­ment montré que les sciences médi­cales et neuros­cien­ti­fiques sont à resi­tuer dans celles du sujet avec ses connais­sances spéci­fiques phéno­mé­no­lo­giques et psycha­na­ly­tiques du sujet humain, avec ses droits à défendre ou à conqué­rir et sa connais­sance socio­lo­gique.

Sortir de cette crise est donc une poli­tique alter­na­tive d’un réel service public d’in­té­rêt géné­ral aux conte­nus concrets qui est à mettre en place avec les moyens finan­ciers adéquats. C’est bien le sens de la plupart des dizaines de grèves actuelles et du mouve­ment Prin­temps de la psychia­trie qui s’est créé en novembre 2018 entre asso­cia­tions de patients et de familles, de mili­tants d’or­ga­ni­sa­tions poli­tiques et de syndi­cats profes­sion­nels : se réap­pro­prier le sens de l’hu­ma­nité du soin dans un réel service public d’in­té­rêt géné­ral. »

Jean-Pierre Martin, ex-respon­sable du secteur psychia­trique du centre de Paris,

Auteur de Eman­ci­pa­tion de la psychia­trie, des gardes fous à l’ins­ti­tu­tion démo­cra­tique. Paris, 2019, éd. Syllepse.

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