Ce
qui se dessine derrière la crise sanitaire du Covid 19 et les
bouleversements politiques et économiques qu’elle entraine déjà c’est
aussi une crise idéologique majeure pour les partisans du
néolibéralisme.
Cette crise vient en effet mettre à nu, rendre
visible, l’absurdité d’un système où pour le profit de grandes
multinationales, les médicaments et les produits de santé essentiels
sont fabriqués et transportés aux 4 coins de la planète au mépris de la
souveraineté sanitaire sur ces biens essentiels et des impératifs de la
lutte contre le réchauffement climatique.
L’absurdité d’un système
qui confie à des intérêts privés motivés essentiellement par la
recherche du profit maximum l’organisation de services qui relèvent de
l’intérêt général. Un système ou l’entreprise décide de la production de
biens essentiels pour tous comme du lieu de production.
L’absurdité
d’un système qui ne voit que le court terme, en matière de profits et de
valorisation boursière. Si cela n’est pas ‘’rentable’’ on coupe. Depuis
de nombreuses années, Ces méthodes de lean management et de gestion ont
été importées dans les services publics présentés comme un coût au lieu
d’y voir un investissement dans les biens communs. C’est ce qui
explique la politique budgétaire imposé au service public hospitalier et
à la recherche fondamentale, le management entreprenarial de l’hôpital
public le tout au nom de la maitrise de la dépense publique.
Ils sont
nombreux et nombreuses qui découvrent ainsi que si par exemple on
risque de manquer de paracétamol c’est parce que RHODIA dont SANOFI
était devenu le principal actionnaire a décidé en 2008 de fermer son
dernier site de production en Europe situé dans l’Isère et de
délocaliser en Chine. Motif : ’’ les analgésiques ne sont pas
stratégiques pour le groupe’’
On découvre aujourd’hui qu’avec la
logique de gestion à flux tendu, on commence à manquer de produits
essentiels en réanimation comme des anesthésiques pour les patients
intubés en Ile de France ou de produits sédatifs.
On a ainsi
découvert que les masques, les chirurgicaux de soins ou les FFP2,
manquaient gravement. Les stocks stratégiques avaient fondu comme neige
au soleil parce qu’en 10 ans ils n’ont pas été reconstitués.
Pourtant
la ministre de la santé Agnés Buzyn savait au travers d’un rapport
d’experts réunis par Sante Publique France et publié en mai 2019 qu’un
stock d’un milliard de masques était nécessaire en cas de pandémie
affectant 30% de la population.
Idem sur la pénurie de tests et de
réactifs. Une seule usine située dans l’Ariège produit les machines et
les réactifs pour les tests mais les commandes qu’elle a reçues ces
derniers mois viennent des USA. Le manque de stocks et la dépendance
liés aux délocalisations pèsent lourd aujourd’hui.
Idem sur
l’austérité budgétaire imposée aux hôpitaux publics. Depuis des années
les ONDAM tous les ans réduisent les ressources et les moyens humains
et matériels, réduisent les investissements et favorisent l’endettement
des hôpitaux (30 milliards environ fin 2019…). C’est la même chose pour
la
Recherche médicale comme en témoigne le texte de Bruno CANARD chercheur au CNRS et spécialiste des coronavirus qui a vu ses budgets réduits au fil du temps après le SRAS de 2003.
Dans un premier mouvement on doit rappeler ce que le gouvernement
français, les autorités publiques, certains médias, ont donné à voir :
D’abord
de la condescendance voire du mépris à l’égard des chinois : cela ne
pouvait pas arriver chez nous. Ce Covid 19 était un virus exotique un
peu comme Ebola ou le Zika.
On a vu au début ce que cela a produit
comme méfiance voire comme hostilité envers la population d’origine
asiatique : Le virus était ‘’chinois’’
Et puis à les entendre, La
force et la puissance des pays occidentaux allaient faire face avec les
meilleurs médecins, chercheurs, épidémiologistes, le meilleur système de
santé que le monde entier nous envie (intervention télévisée de Macron
le 12 mars 2020). Nous sommes prêts disait la ministre Agnès Buzyn.
Puis
dans un deuxième temps, l’impréparation est apparue. Des affirmations
péremptoires contredites le lendemain, des mesures peu compréhensibles :
confinement mais aussi appel à continuer le travail et maintenir
l’activité économique. Maintien des élections municipales au premier
tour alors que tout indiquait, ce qui s’est confirmé, que cela mettait
du monde en risque de contamination. Au total une impression de
navigation à vue
sur fond de système hospitalier en crise et débordé, de manque de
produits aussi essentiels que du gel hydroalcoolique, de masque, de
tests et de réactifs pour le dépistage.
Et maintenant, depuis la
mi-mars le discours guerrier, l’appel à l’union nationale qui
l’accompagne et l’appel à maintenir l’activité économique coute que
coute.
Eléments de langage qui masquent bien mal le fait que si il y a
une guerre, force est de constater que les troupes, le matériel, les
équipements manquent cruellement après plus de 30 ans d’austérité dans
les services publics de santé avec des budgets délibérément
insuffisants, des réformes de l’hôpital public le détruisant
méthodiquement ( mise en place de la tarification à l’acte par Fillon,
loi Bachelot HPST modifiant la gouvernance, loi Touraine rendant
obligatoire les Groupement Hospitalier de Territoire , machine de guerre
pour fermer les ‘’petits’’ hôpitaux et les services, plan Macron-Buzyn
…) et une politique salariale et des conditions de travail faisant fuir
les personnels.
Si guerre il y a à mener, c’est aux politiques
d’austérité menées par les gouvernements en Europe, impulsés par la
commission européenne au nom des pactes de stabilité budgétaire. C’est
la défense des services publics qu’il faut remettre en avant et c’est
vers la planification et l’organisation publique de la production de
biens essentiels pour la population qu’il faut aller.
Elément de
langage qui permettent aussi de justifier de gros accros aux droits du
travail et des contrôles policiers violents dans les quartiers rappelant
ce qui s’est passé avec les gilets jaunes. Une dérive autoritaire a
déjà été décrite sous la dénomination d’ordo-libéralisme. Aujourd’hui il
pointe son nez et surtout ses méthodes.
Toute cette stratégie
d’éléments de langage constitue une tentative, en prenant en quelque
sorte les devants, de désamorcer la prise de conscience générale qui
pourrait advenir à l’occasion de la crise du COVID19. Un pathétique
contre-feu à la colère qui montre parmi les personnels de santé mais
plus généralement aussi dans le pays.
Elle a aussi comme objectif de
tenter de faire apparaitre le gouvernement comme l’Etat-major qui mène
la bataille, derrière lequel il faut se rassembler. L’heure n’est pas à
la critique. Si cela continue, mettre en cause le gouvernement sera
présenté comme une atteinte au moral des troupes !
Avec cette crise c’est tout l’arsenal idéologique du néolibéralisme qui pourrait s’effondrer.
On a eu envie de se pincer en entendant les déclarations du président
de la république Macron lors de son intervention du 12 mars 2020 sur le
fait ‘’qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en
dehors des lois du marché’’
On pourrait se demander de quelle révélation a-t-il été l’objet ? quelle mouche l’a piqué ? quelle grâce l’a touché ?
C’est
pourtant le même président qui vantait les premiers de cordées et le
ruissellement, qui exalte à chaque occasion l’esprit d’entreprise, la
concurrence mondiale, les accords de libre-échange, qui a mis en œuvre
et renforcé toutes les politiques d’austérité visant à faire baisser
les protections (chômage, droit du travail, projet de contre-réforme des
retraites etc…) et qui en matière de santé a continué depuis 2017 en l’
accentuant, le patient travail d’étranglement financier du service
public hospitalier et de la sécurité sociale entamé depuis 30 ans.
C’est
également le même président qui au moment où il tenait des propos que
ne renierait pas ATTAC faisait interpeller aurélie Trouvé sa
porte-parole.
Pourtant à l’occasion de cette crise se révèle une
réalité sociale habituellement invisible. Les personnels de santé, les
caissières de supermarché, les éboueurs, les aides ménagères, les
auxiliaires de vie, les livreurs sont plus utiles à la population que
les traders.
Ces néolibéraux qui en permanence vantent les lois du marché libre et
non faussé, lui font confiance pour réguler l’économie, et dénoncent
l’interventionnisme de l’Etat et les réglementations se précipitent vers
le même Etat pour être secourus. Darmanin a évoqué d’éventuelles
nationalisations. Pour lui nationaliser c’est entrer au capital d’une
entreprise le temps de la tempête. Cela revient à socialiser les pertes
pour ensuite privatiser les profits.
C’est le sens des 300 milliards
de crédit garantis par l’Etat que Macron a mis en place. Les marchés
doivent être rassurés et l’économie doit continuer de tourner et de
dégager des profits d’où les ordonnances sur l’allongement du temps de
travail, la remise en cause des congés les menaces sur le droit de
retrait.
Coté système public de santé on attend toujours. Le 28 mars
Edouard Philippe annonce un grand plan d’investissement pour l’hôpital.
Aucun chiffrage. Aucune modalité de mise en œuvre. Pas d’annonce sur
l’abolition de la dette des hôpitaux. Rien non plus sur la
revalorisation des rémunérations des professionnels du soin. Seule une
prime exceptionnelle est envisagée.
En guise de réponse pour
l’instant ce n’est que déclarations sur l’héroïsme des soignants des
remerciements et beaucoup de belles paroles verbales. On peut penser que
les soignants et la population n’oublieront pas et sauront exiger que
les revendications portées depuis plus d’un an soient satisfaites.
Ce
sera sans doute l’enjeu des combats à mener à la sortie de la pandémie.
Cela implique de commencer la réflexion sur les axes idéologiques et
programmatiques à avancer et à défendre.
Dernière nouvelle : les
révélations par Médiapart de la note de la caisse des dépôts et
consignations présentant les axes pour ‘’réformer’’ le système de santé
notamment l’hôpital. Macron avait parlé de rupture. Cette note décrit
les contours de cette rupture : recul du service public, privatisation,
partenariat public-privé, efficience et rémunération à la performance,
soutien aux start-ups de la e-médecine, tout l’agenda néolibéral
renforcé et accéléré !
Cela rend encore plus urgent de dégager quelques éléments de réponses :
Pour un système de santé répondant aux besoins : quelles réponses quels axes programmatiques ?
Un premier niveau de réponse s’articule autour de l’urgence de la situation créé avec la pandémie du COVID19.
Le
confinement général a été mis en place parce que le manque cruel de
moyens ne permettait pas d’envisager de tester tous les sujets contacts
des malades déclarés (ce qui a été fait en Corée et à Singapour). Le
gouvernement a menti sur cette réalité.
Nous mettons en avant :
La réquisition des entreprises et des usines pharmaceutiques en capacité de produire des tests doit être mise en place.
Pour la sortie du confinement droit au test et aux sérologies en masse.
Distribuer les produits de protection (masques, gel) en réquisitionnant toutes les entreprises qui peuvent en produire.
Accélérer les études sur les traitements proposés.
Organiser
le dépistage des personnes fragiles et autour d’elles. Dans les EHPAD
des renforts en personnels mais surtout du matériel de protection et de
désinfection pour les résidents et les professionnels masques, blouses,
gel hydroalcoolique,) permettant les mesures barrières.
Assurer le ravitaillement alimentaire et les récoltes.
Garantir les ressources des plus fragiles (chomeur(se)s, précaires, sans papiers, indépendants)
Réquisitions
d’hôtels et/ou bâtiments vides pour garantir un accueil pour les
sans-abris, , construction de foyers, mais aussi pour organiser suite à
dépistage le confinement des personnes malades peu symptomatiques.
Garantir le droit d’accès à l’ IVG sur tout le territoire.
Garantir
la protection des femmes victimes de violences conjugales et des
enfants maltraités, en équipant les équipes de brigades des mineurs et
les professionnels de l’action sociale de moyens de protection pour
l’évaluation des situations.
Un deuxième niveau de réponse doit s’articuler autour de l’idée qu’il
n’est plus possible de confier à des intérêts privés l’organisation de
la production de biens et de services essentiels pour les populations.
Il faut réparer et reconstruire des services publics de santé mais aussi
du médicament, des biens médicaux de la recherche.
Cela passe d’abord par l’annulation de la dette des hôpitaux
La suppression de la tarification à l’activité et du mécanisme budgétaire de l’ONDAM.
La
mise en place d’un budget permettant de répondre aux besoins, définis
démocratiquement par la population elle-même, les professionnels du
secteur, les représentants des autorités locales, régionales,
nationales. Il faut en finir avec la toute-puissance des préfectures
sanitaires que sont les agences régionales de santé.
Mise en place
d’un plan d’urgence pour la psychiatrie publique comprenant notamment la
réactivation des structures de secteur publics pour prendre en charge
les troubles psychologiques et mentaux auxquels de nombreuses personnes
auront été exposés pendant le confinement
Mise sous contrôle
(gestion, production) des entreprises du médicament dans un premier
temps pour aller vers un service public du médicament.
Refonte de la
gouvernance hospitalière, en finir avec la toute-puissance de la
technocratie financière et commerciale. L’hôpital n’est pas une
entreprise qui vend du soin. Les soignants sont les mieux placés pour
savoir ce dont ils ont besoin.
Pour les professionnels
Un
plan de recrutement massif et de formation dans les écoles
d’infirmières d’aides-soignantes de manipulateurs radios de technicien
de laboratoire etc…
La suppression du numérus clausus à l’entrée des
études médicales. Une politique délibérée de restriction du nombre de
médecins, menée depuis trop longtemps aboutit aujourd’hui aux déserts
médicaux pour la médecine de premier recours et à des centaines de
postes vacants dans les hôpitaux alors que la population augmente et
vieillit ce qui entraine une demande de soins en augmentation.
L’organisation
de la médecine ambulatoire dans un cadre pluriprofessionnel, public,
comme le démontre l’expérience des centres de santé.
Une revalorisation des carrières et une augmentation massive des salaires.
Pour les besoins de santé
La constitution de stocks stratégiques en médicaments, réactifs, matériels de protection et d’analyse.
La
réouverture de services et de lits dans les territoires ou les manques
se font sentir notamment en médecine, gynéco-obstétrique et chirurgie
générale.
Contribution de la Commission Santé d’Ensemble Article Carrousel dim, 05/04/2020 – 09:07 Santé