Il faut libérer Christian Tein
Depuis cinq mois, des militants Kanaks, dont Christian Tein, président du FLNKS, sont retenus prisonniers à 17 000 kilomètres de chez eux. La demande de remise en liberté de Christian Tein sera de nouveau examinée, ce vendredi, par la cour d’appel de Nouméa. Annie Ernaux, Pierre Lemaitre, Barbara Stiegler et Éric Vuillard espèrent « que face à une situation tragique et dangereuse pour la Nouvelle-Calédonie, et inacceptable pour les militants emprisonnés, les juges de Nouméa feront usage de leur indépendance, et libèreront enfin Christian Tein. »
Depuis les incarcérations et le placement en détention dans l’Hexagone de plusieurs militants kanaks, on peut se demander s’il n’est pas devenu criminel d’être indépendantiste. Depuis cinq mois, des militants Kanaks, dont Christian Tein, président du FLNKS, sont retenus prisonniers à 17 000 kilomètres de chez eux.
Fin octobre, la Cour de cassation a invalidé le placement en détention de deux militants indépendantistes et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Nouméa. La demande de remise en liberté de Christian Tein sera ainsi de nouveau examinée par la cour d’appel de Nouméa vendredi. Une cour d’appel en métropole aurait été un meilleur gage d’indépendance, puisqu’ici la même cour est invitée à se dédire, ce qui répond mal à l’impératif d’impartialité qui est le fondement par excellence de la justice. Espérons que Christian Tein trouvera à Nouméa des magistrats capables de considérer avec sérénité cette affaire. Sa remise en liberté en métropole ne risquerait en rien d’influencer le cours de la justice. Sa détention est donc à la fois injuste et arbitraire.
Ce n’est pas Christian Tein qui serait susceptible d’exercer des pressions depuis la métropole, ce sont les caldoches radicalisés et armés qui, par leurs poids économique et politique, exercent une pression sur la société calédonienne tout entière, et c’est aussi le président de la République.
Manifester des opinions politiques, mener des actions, cela ne peut être un crime. Ces principes datent de la conquête de nos libertés. Dans un contexte colonial, il doit être fait un usage extensif de ces principes, un usage qui protège impérieusement les colonisés dans l’expression de leur liberté, de leurs convictions. C’est l’une des vocations de la justice que de garantir les libertés les plus menacées. Sans quoi, quelle serait sa vocation.
Un processus de paix a été mené pendant plus de trente ans. L’exécutif français l’a brutalement interrompu. La justice peut apporter sa contribution à la paix. Christian Tein est depuis cinq mois en prison. Et puisqu’il n’existe aucune raison technique de le maintenir en détention, sa remise en liberté serait un signe d’apaisement.
La vie des autres a toujours quelque chose d’abstrait, de lointain, d’énigmatique. Il nous faut un effort d’imagination pour envisager ce que peuvent être réellement cinq mois de prison. Il faut un effort d’imagination pour envisager ce que peut être plus d’un siècle et demi d’occupation française. Il faut à chacun d’entre nous un effort d’imagination, une violence faite à notre existence paisible, à l’abri, hors d’atteinte, pour éprouver combien la justice doit s’appliquer aux autres comme à soi.
Nous espérons que face à une situation tragique et dangereuse pour la Nouvelle-Calédonie, et inacceptable pour les militants emprisonnés, les juges de Nouméa feront usage de leur indépendance, ce vendredi, et libèreront enfin Christian Tein.
26 novembre
Signataires :
Annie Ernaux, écrivaine
Pierre Lemaitre, écrivain
Barbara Stiegler, philosophe
Éric Vuillard, écrivain
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/261124/il-faut-liberer-christian-tein