5 décembre 2025

Media­part. 3 septembre. AME : François Bayrou veut priver de couver­ture santé des dizaines de milliers d’étran­gers

AME : François Bayrou veut priver de couver­ture santé des dizaines de milliers d’étran­gers

Pour réfor­mer l’aide médi­cale d’État, le gouver­ne­ment a préparé deux décrets qui excluent de tout accès aux soins des dizaines de milliers de personnes étran­gères en situa­tion irré­gu­lière. Les victimes les plus nombreuses seraient les femmes.

Caro­line Coq-Chodorge

À quelques jours du vote de confiance qu’il a solli­cité, le premier ministre François Bayrou a un certain sens des prio­ri­tés. Le 29 août, à sa demande, le direc­teur de la Sécu­rité sociale a trans­mis au conseil de l’as­su­rance-mala­die, pour avis, deux projets de décrets réfor­mant l’aide médi­cale d’État (AME), qui assure une couver­ture santé aux personnes étran­gères en situa­tion irré­gu­lière.

Dans ces décrets, il y a du « bon sens », a assuré François Bayrou mercredi 3 septembre sur BFMTV. « Lorsque vous deman­dez des efforts aux Français, il n’est pas possible que les étran­gers n’y soient pas asso­ciés. Par exemple, il y avait dans la liste des soins de la balnéo­thé­ra­pie. Ce n’est pas normal, ce n’est pas raison­nable. »

Media­part a pu consul­ter les deux projets de texte. Le premier modi­fie en effet « le panier de soins de l’aide médi­cale d’État » et exclut « les actes de réédu­ca­tion réali­sés en balnéo­thé­ra­pie ».

Les repré­sen­tants d’as­so­cia­tions d’aide aux étran­gers en restent bouche bée. « Je mets au défi l’as­su­rance-mala­die de nous indiquer combien de balnéo­thé­ra­pies ont été finan­cées pour des béné­fi­ciaires de l’AME, réagit Didier Maille, coor­di­na­teur du pôle social et juri­dique du Comité pour la santé des exilé·es (Comede). On parle de personnes au bout de la chaîne de l’ex­ploi­ta­tion : des précaires, des travailleurs en situa­tion de survie, qui gagnent moins de 860 euros par mois. Leur prio­rité n’est pas de faire des cures ther­males à Vichy. C’est indé­cent. »

« Indé­cent », c’est aussi le mot employé par Matthias Thibeaud, réfé­rent plai­doyer « accès aux droits santé » pour Méde­cins du monde. « Le gouver­ne­ment laisse penser que des personnes contraintes de quit­ter leur pays, qui ont subi de nombreuses violences sur leurs parcours de migra­tion, viennent se la couler douce en France. » Il rappelle « la réalité : une personne sur deux n’a pas accès à l’AME alors qu’elle pour­rait y prétendre. Et ceux qui en béné­fi­cient subissent de nombreux refus de soins  ».

Le projet de décret restreint aussi la prise en charge par l’AME de soins plus essen­tiels : les prothèses dentaires, les lunettes, les aides audi­tives. Là encore, la mesure est « sans objet », assure Didier Maille, du Comede : « Certes, pour ces soins, les béné­fi­ciaires de l’AME sont pris en charge à 100 %. Mais le tarif de l’as­su­rance-mala­die est minime. Les béné­fi­ciaires de l’AME n’ont pas droit aux complé­men­taires santé et ne béné­fi­cient pas du dispo­si­tif  “100 % santé”. Les prothèses dentaires, les lunettes ou les aides audi­tives sont donc tota­le­ment inac­ces­sibles avec l’AME ; c’est une escroque­rie intel­lec­tuelle de faire croire à une néces­sité de contrô­ler ces dépenses. »

Avec sa « stra­té­gie de commu­ni­ca­tion », dénonce encore Matthias Thibeaud, le gouver­ne­ment veut en réalité invi­si­bi­li­ser l’es­sen­tiel : « Une restric­tion sans précé­dent de l’ac­cès aux soins. »

On estime qu’entre 40 000 à 60 000 femmes pour­raient être concer­nées. C’est drama­tique, tant pour leur santé que pour leur auto­no­mie.

Matthias Thibeaud, Méde­cins du monde

Le premier projet de décret prévoit égale­ment de modi­fier le calcul des ressources qui donnent droit à l’AME. S’il était publié, seraient alors prises en compte les ressources du conjoint ou de la conjointe. « Concrè­te­ment, explique Matthias Thibeaud, cette mesure vise les personnes étran­gères en situa­tion irré­gu­lière qui vivent en couple avec un conjoint qui dispose d’une carte Vitale. Si les reve­nus de leurs foyers dépassent le plafond de ressources de l’AME – 15 508 euros par an –, alors elles perdront pure­ment et simple­ment tout accès à une couver­ture mala­die. Elle devront assu­mer l’in­té­gra­lité de leurs frais de santé de leur propre poche. Les prin­ci­pales victimes seront des femmes étran­gères en grande préca­rité, souvent déjà fragi­li­sées par des situa­tions de dépen­dance ou de violence. On estime qu’entre 40 000 à 60 000 femmes pour­raient être concer­nées. C’est drama­tique.  »

L’as­so­cia­tion Women for Women France estime de son côté à 100 000 le nombre de femmes qui perdraient ainsi « tout droit aux soins en France ». Cette asso­cia­tion fémi­niste soutient les droits des personnes immi­grées confron­tées à des violences conju­gales en France. « Des femmes sans papiers, souvent très précaires, sont en situa­tion de dépen­dance conjugale, explique Alexan­dra Lachowsky, direc­trice du plai­doyer.(…) 

Le deuxième projet de décret prévoit de durcir les condi­tions d’ac­cès à l’AME : il faudrait four­nir des docu­ments d’iden­tité « avec photo­gra­phie ». Là encore, Méde­cins du monde tente de rame­ner le gouver­ne­ment au réel : « Cela repré­sen­tera un obstacle admi­nis­tra­tif insur­mon­table pour de nombreuses personnes. Beau­coup ont dû quit­ter leur pays sans pièce d’iden­tité – notam­ment les plus jeunes –, ont perdu leurs papiers, se les sont fait voler, ou sont victimes de confis­ca­tion de leur docu­ment ou de chan­tage aux papiers », expose Matthias Thibeaud.

De ces deux décrets, François Bayrou en a « discuté avec le Rassem­ble­ment natio­nal » (RN), lors de leur rencontre mardi à Mati­gnon. Le premier ministre entend-il amadouer le parti d’ex­trême droite en vue du vote de confiance du 8 septembre sur le budget ? Le RN veut en effet déman­te­ler l’AME : dans son projet, seuls les soins urgents et vitaux seraient pris en charge pour les étran­gers en situa­tion irré­gu­lière. Le gouver­ne­ment Bayrou n’est pas loin du compte : il veut faire bais­ser dras­tique­ment le nombre de béné­fi­ciaires de l’AME, 465 000 personnes étran­gères en 2024.

Le projet est bien poli­tique. Car du seul point de vue écono­mique, cette réforme est sans effet, explique Didier Maille : « Les hôpi­taux, surtout publics, vont se retrou­ver avec encore plus de patients sans droits ouverts. Les impayés seront plus nombreux. C’est perdant-perdant : l’hô­pi­tal va perdre des ressources et le malade sera endetté à vie, pour­suivi par des huis­siers. »

(…)

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