Chili : comprendre la victoire de l’extrême droite
Avec 58 % des suffrages exprimés, le peuple chilien a élu comme nouveau président d’extrême droite, José Antonio Kast. Sa victoire est brutale pour toutes celles et tous ceux qui ont gardé la mémoire du coup d’État militaire du 11 septembre 1973, la figure de Salvador Allende et l’expérience glorieuse du gouvernement d’Unité populaire.
Il importe de comprendre, sans caricature ni facilité.
Face au néo-pinochetiste Kast, la candidate Jeannette Jara a rassemblé un peu plus de 41,8 %.
Elle conduisait une grande coalition de gauche, datant des années 90, allant de la gauche radicale, les communistes et socialistes jusqu’à la Démocratie chrétienne. Désignée par une primaire en avril dernier, Jeannette Jara était la ministre du travail du gouvernement sortant de Gabriel Boric. Membre du Parti communiste chilien, issue d’un milieu populaire, elle fut notamment emprisonnée en 1997, durant les années post-dictature.
Il faut d’abord noter la forte augmentation du corps électoral depuis 2021, où la victoire de Boric fut une conséquence de très grandes mobilisations dans le pays, contre la vie chère et pour une nouvelle constitution.
Passé de 8,3 à 13,4 millions, le vote est devenu obligatoire. La base électorale de la candidate de gauche ne s’est pas réduite mais s’est même élargie, passant de 1,8 million en 2021 au premier tour, à 3,48 millions de voix pour Jeannette Jara. En pourcentage, cela fait donc une petite augmentation de 25,8 à 26,85 %.
Le fait nouveau est donc que ces millions d’ex-abstentionnistes, souvent jeunes, de milieu populaire ou des zones rurales ont voté massivement pour des candidats d’extrême droite, que ce soit pour Kast, nostalgique du pinochetisme et ultra-conservateur, obtenant 3 millions de voix au premier tour et sept millions au second, ou pire encore pour Kaiser (1,8 million), d’une extrême droite encore plus dure.
En comparaison avec 2021, l’extrême droite a plus que doublé ses voix !
Les thématiques de campagne, portées par des médias privés très conservateurs, furent l’insécurité et l’immigration. La question sociale a été noyée dans une offensive de « fake news » et de propos racistes, en particulier contre l’immigration vénézuélienne et haïtienne. Pourtant, même s’il n’était évidemment pas parfait, le bilan du gouvernement n’était pas inexistant. Réduction de la semaine de travail de 45 h à 40 h, augmentation du salaire minimum, accès gratuit à la santé pour les 2,5 millions de Chiliens les plus modestes, amélioration du système de retraite et mise en place de premières cotisations patronales… Mais l’extrême droite a imposé son discours, son récit, ses thèmes.
Parmi les faiblesses du gouvernement Boric, qui n’avait pas de majorité à l’assemblée nationale, il y eut en premier lieu l’échec cinglant de la révision constitutionnelle : la constitution actuelle est encore celle de Pinochet, la nouvelle ayant été rejetée par référendum après le travail novateur d’une Assemblée constituante. Cela a pesé lourd.
Les commentaires sarcastiques, qu’on a pu entendre en France, aussi ignorants que pédants sur l’échec d’une prétendue « gauche molle », sont donc simplistes.
Cette victoire de l’extrême droite doit être pensée enfin dans une vague globale qui traverse l’Amérique latine et au-delà, après l’échec de gouvernements de gauche dont il importera de tirer la leçon.
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