Un enfant est mort, un monde se meurt. Et puis ?

Un enfant, Aylan, fit la une des jour­naux aux premiers jours de ce mois de septembre. Un enfant de trois ans, retrouvé noyé, le visage contre le sable, sur une plage de Bodrum, en Turquie, à quelques kilo­mètres du but tran­si­toire de sa famille, l’île grecque de Kos. On sut son patro­nyme, et qu’il était syrien et kurde, qu’il était mort comme sa mère et son frère, et que son père les porte­rait en terre à Kobané.
Kurdis­tan rebelle et révo­lu­tion­naire.
Kobané, la ville kurde massa­crée sous les yeux indif­fé­rents de l’ar­mée turque pendant des mois puis reconquise de haute lutte par la résis­tance kurde du PKK et de YPG. Kobané, une ville de cette Syrie dévas­tée, où le tyran Assad massacre son peuple depuis qu’une tenta­tive de révo­lu­tion eut lieu en 2011, en son pays hérité de son père comme on hérite d’ une propriété privée. Daech fut jusqu’à il y a peu épar­gné par les raids de l’ar­mée d’As­sad qui concen­trait ses efforts de terreur contre les popu­la­tions civiles et l’Ar­mée syrienne libre. C’est cet enfer que fuient tant de syriennes et de syriens. Au risque de mourir dans un exode où ils rencontrent peu d’amis, vers les pays censés être les plus accueillants d’Eu­rope. On sait main­te­nant que la France n’est plus une desti­na­tion de rêve, et on voit combien les poli­tiques des Sarkozy et Hollande ont porté leurs fruits-véné­neux.
La photo­gra­phie d’Ay­lan.
Aylan est un enfant au visage inconnu. La deuxième photo­gra­phie publiée le montrait dans les bras d’un poli­cier, le corps pas encore saisi par la rigi­dité propre aux cadavres. Il venait de mourir; cette photo­gra­phie nous le montrait comme juste après son agonie ; à quelques instants près, il eut pu être sauvé. Comme tant d’autres. Cette image vient présen­ti­fier la cohorte des morts en mer Médi­ter­ra­née, des morts pendant la fuite vers la vie de tant de syriens, irakiens, érythréens…de tous ces migrants venant du Moyen-Orient ou de l’Afrique sub-saha­rienne.
L’air du temps empeste le post-fascisme
Les réac­tions furent au-delà du pire que ce que nous pouvions craindre. Les chefs de la droite riva­li­sèrent en propos xéno­phobes (sauf Juppé). Dans leur course effré­née derrière le parti de la haine de la famille Le Pen (cette famille décom­po­sée mais richis­sime). Des intel­lec­tuels médiocres rejoi­gnirent la meute des bavards qui ont décidé que notre peuple était défi­ni­ti­ve­ment raciste, et se lâchèrent. Sous couvert d’an­ti­con­for­misme, de refus du poli­tique­ment correct (qui devient à les entendre une certaine décence et tout enga­ge­ment soli­daire), ils s’af­fi­chèrent xéno­phobes et compa­gnons de route du FN. En ce pays, l’image de la mort d’un enfant kurde de trois ans a fini de libé­rer la parole raciste. Et Valls tient à préci­ser que seule une poignée de réfu­giés seront reçus, se situant ainsi non loin de la droite, comme toujours. Ce gouver­ne­ment se confirme comme l’en­nemi de nos valeurs de soli­da­rité, à l’aise dans ce climat où l’hé­gé­mo­nie intel­lec­tuelle, le prêt à penser média­tique vient de rejoindre le contenu des thèses post-fascistes. C’est une revanche de Pétain et de ses succes­seurs.
Leur Europe, cette UE, est haïs­sable.
Face à cet exode, Merkel s’af­firma porteuse de valeurs des droits humains, puis la presse la photo­gra­phia pendant quelques heures avec quelques réfu­giés, puis les fron­tières alle­mandes se refer­mèrent. Merkel s’af­firme comme la diri­geante de l’UE, tant pour asphyxier le peuple grec que pour mimer la compas­sion quelques heures et sommer les autres pays del’UE de l’imi­ter. Cette Union euro­péenne néoli­bé­rale est déci­dem­ment détes­table, en bloc et en détails, ses chefs néoli­bé­raux alle­mands comme leurs dociles compa­gnons français et autres.
Cette Europe forte­resse qui se hérisse de fron­tières barbe­lées et de mille murs de la honte, où les milliers de morts à ses portes ne suscite qu’in­dif­fé­rences étatiques est à l’op­posé de l’Eu­rope que nous voulons.
L’écri­vain Erri de Luca (Le Monde du 10 septembre) écrit à propos de ceux qu’ils nomment « dépor­tés » : « ceux qui leur refusent l’asile sont ceux qui les noient ».
C’est un monde de soli­da­ri­tés passées qui achève de mourir en ces jours sombres, au moins en France, sans doute dans beau­coup de pays de l’Union euro­péenne. Avec le nom de l’en­fant Aylan asso­ciée à cette mort.

Et main­te­nant?
Mais des mouve­ments de soli­da­rité renaissent aussi, fort mino­ri­taires encore, dans nos pays. A ceux qui n’ont que les mots de nation et de patrie à la bouche mais ne sont que les ventri­loques des Le Pen et de Pétain, nous oppo­sons le peuple en lutte de 1793, de la Commune de Paris, de la Résis­tance et de Mai 68. La renais­sance néces­saire, l’in­ven­tion poli­tique impé­rieuse dépen­dra des enga­ge­ments de chacune et de chacun, de la jeunesse pour beau­coup.

Pascal Bois­sel, 27–09–2015.

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