Nous ne trouvons jamais les mots pour dire l’effroi, la tristesse, la colère, le désarroi ; surtout quand ces sentiments se bousculent aux lendemains de la nuit de tueries qui a ensanglanté Paris. Nous oscillons entre le mutisme abasourdi et la parole volubile, cherchant à dire et comprendre.
Nous tentons de trouver les mots qui disent l’horreur, ses circonstances et les mots qui ouvrent une voie de vie. Les militant.e.s de l’émancipation sont dans cette bien inconfortable posture , aussi.
Nous disons que nous ne sommes pas en guerre comme le proclame le martial Hollande, car la guerre au terrorisme est une absurdité criminelle comme les USA de Bush et de ses continuateurs l’ont démontré depuis 15 ans. Hollande et Valls aiment à recopier les néoconservateurs Us et leur « stratégie du choc », chère aux stratèges néolibéraux.
Hollande parle aussi comme les généraux algériens qui dirent en 1991qu’ils « éradiqueraient »le terrorisme et massacrèrent ensuite autant ou plus que leurs ennemis pendant dix ans.
Nous ne sommes pas en guerre mais les exterminateurs de Daech font leur guerre aux amateurs de football, de bière, de terrasses nocturnes et de rock. Ils transforment en abattoir pour humains une salle de concert . Comme les soudards des guerres coloniales, comme les SS à Oradour sur Glane et dans des dizaines de villages russes ou français, comme lors de la Shoah par balles : c’est un acte de guerre commis par des ennemis. Ils sont les agents morts-vivants d’un dieu diabolique, assoiffé de sang, prônant la peine de mort pour tout écart par rapport à une « loi »exterminatrice.
Il nous faut parvenir à dire les deux propositions : il y eu un acte dit de guerre dans Paris et pourtant parler de guerre est une absurdité. Une de ces absurdités qui annonce l’Union sacrée comme en 1914, puis les plus grands malheurs. Dire les deux est difficile, c’est encore tôt pour y parvenir.
Nous tentons des explications et alors, vite, c’est la situation en Syrie, dans tout le Moyen-Orient et dans la région arabe qui se trouve convoquée. Les syriens de 2011 qui furent massacrés par Assad puis livrés à sa vengeance interminable, ainsi qu’aux massacres concurrents de Daech, et à ses viols systématiques –250000morts-, viennent nous dire qu’ils ne comprennent pas la lâcheté de nos gouvernements, notre peu de solidarité effective. Ce sont ces printemps arabes assassinés qui se rappellent alors à nous. Dans ces pays, nous avons des amis . Ce sont celles et ceux qui osèrent se révolter et défier les régimes corrompus, et aussi les troupes kurdes en Syrie autour desquelles s’agglomèrent les résistants à la double barbarie, et encore la jeunesse palestinienne qui est au-delà de toute patience possible. Nous n’y avons aucun État ami, contrairement à JL Mélenchon et d’autres.
Nous ne sommes pas, en cette période, en situation de nous rêver en femmes et hommes d’État qui s’imagineraient ce qu’ils feraient s’ils et elles étaient au pouvoir. Tant le pouvoir est hors de notre portée (qui l’ignore?), tant l’État néolibéral destructeur de toute velléité d’intérêt général est irréformable pour nos objectifs. Nous sommes dans une période où l’air du temps est mauvais, où l’hégémonie politique est assumée par le FN et Sarkozy et son double nommé Valls, où les patrons des multinationales ont un pouvoir sans partage et impitoyable. L’essentiel du discours commun actuel vient nous dire combien nous sommes actuellement minoritaires, même si nos efforts pour ne pas nous complaire en cette situation sont certains. Minoritaires face aux racismes, à l’islamophobie montante, à l’antisémitisme qui se développe, minoritaires lorsque nous défendons même les libertés élémentaires face à l’état d’urgence de nos gouvernants casqués.
Car nous nous opposons sans détour à cet état d’urgence, inutile pour gêner les terroristes de Daech, mais lourd de dérives quotidiennes à venir contre les paroles dissidentes à leur « Union nationale ». C’est par mille initiatives de la jeunesse et du monde salarié que vient une vie toujours renaissante face aux dévots de la mort. C’est la solidarité vivante qui est notre boussole.
Il nous faudra lutter toujours plus rudement, c’est certain, combattre peut-être, et le courage collectif nécessaire pour ce faire se construit dès aujourd’hui. Face à ces forces destructrices multiples qui nous annoncent le pire comme imminent, nous serons de la majorité sociale à inventer qui saura sauver la vie.
Pascal Boissel, 18–11–2015.
PS. La photographie choisie illustre un adepte d’un dieu féroce et impitoyable, créé en nos contrées (musée de Toulouse). Ce n’est pas exotique.
Merci Pascal de nous livrer « à chaud » ta réflexion.
Car comme tu l’écris face à l’horreur de la montée de l’obscurantisme sanguinaire et face à la logorrhée médiatique de la pensée unique et simpliste, il est bien difficile de formuler une parole responsable et audible.
Je suis de ceux qui depuis vendredi soir restent sur le coup de la sidération et cherchent comment exprimer à la fois ses sentiments d’horreur, son inquiétude pour l’avenir et des éléments de compréhension de la situation qui nous est faite et dont nous savons qu’elle ne résulte en rien d’une fatalité ni d’un hasard. S’ajoute à cette difficulté, en tout cas pour moi, le besoin pour ce que tu appelles les forces d’émancipation de compléter l’analyse habituelle de tels évènements , certes juste, mais trop souvent centrée sur la dénonciation d’un système capitaliste destructeur, porteur de toutes les misères et de la guerre.
Aujourd’hui il nous faut aussi prendre en compte de façon plus complète, certes les stratégies économiques et géostratégiques à l’oeuvre en France, en Europe et dans le monde, mais aussi tout ce qui fait, ou ne fait plus société entre nous , dans nos quartiers ou villages et sur notre planète monde. L’expression rassemblée d’une compassion et d’une pitié voire d’une colère ne pouvant pas suffire à trouver les forces de construire ne serait-ce que les perspectives d’une société nouvelle qui place enfin l’homme ou plutôt les hommes dans leur diversité et avec toutes leurs différences au centre d’une projet partagé !
Certes nous sommes minoritaires à vouloir changer ce monde, nous savons que ce sera difficile, mais nous savons aussi que c’est possible. C’est ce qui nous empêche de céder au désespoir.