« Appel de scien­ti­fiques contre un nouveau programme nucléaire » Juin 2023


Le 11 Février 1975 dans les colonnes du Monde, 400 scien­ti­fiques invi­taient la popu­la­tion française
à refu­ser l’ins­tal­la­tion des centrales nucléaires « tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des
risques et des consé­quences ».
Rappe­lant le carac­tère poten­tiel­le­ment effroyable d’un acci­dent
nucléaire, ils consta­taient que « le problème des déchets est traité avec légè­reté », et que :
« systé­ma­tique­ment, on mini­mise les risques, on cache les consé­quences possibles, on rassure ».
La perti­nence de cet appel, qui pour­rait être repris quasi­ment mot pour mot aujourd’­hui, a été
large­ment confir­mée dans les dernières décen­nies
 :
• Présen­tés à l’époque comme impos­sibles, les acci­dents graves ou majeurs se sont
multi­pliés, entraî­nant des rejets massifs de matières radio­ac­tives. Ils ont touché aussi bien des
cœurs de réac­teurs (Three Mile Island, Tcher­no­byl, Fuku­shima) que des dépôts de déchets
radio­ac­tifs ou des usines de combus­tible (Mayak, Tokai­mura, WIPP, Asse).
• De vastes zones géogra­phiques ont été ainsi rendues toxiques pour tous les êtres vivants
et les irra­dia­tions et les conta­mi­na­tions radio­ac­tives conti­nuent de faire de nombreuses
victimes, y compris autour des instal­la­tions en fonc­tion­ne­ment « normal ».
• L’in­dus­trie du nucléaire a offi­ciel­le­ment accu­mulé en France plus de 2 millions de tonnes de
déchets radio­ac­tifs, dont 200 000 tonnes dange­reuses sur de longues périodes, un volume
très sous estimé qui ne comp­ta­bi­lise ni les stériles et déchets miniers aban­don­nés à l’étran­ger,
ni les « matières » desti­nées à un hypo­thé­tique réem­ploi (combus­tibles usés, uranium
appau­vri, uranium de retrai­te­ment…).
• Le déman­tè­le­ment et la dépol­lu­tion des sites déjà conta­mi­nés sont à peine enga­gés,
s’an­noncent exces­si­ve­ment longs et coûteux, et vont encore aggra­ver le bilan des déchets.
Force est de consta­ter qu’a­près un demi-siècle de déve­lop­pe­ment indus­triel, nous ne maîtri­sons
toujours pas les dangers de l’atome, et n’avons fait que repous­ser des problèmes annon­cés de longue
date.

Pour­tant, hors de tout débat démo­cra­tique, et sans avoir procédé à un réel bilan des choix passés et
des options qui s’offrent aujourd’­hui, nos gouver­nants s’ap­prêtent à relan­cer un nouveau programme
élec­tro­nu­cléaire. Sous prétexte d’ur­gence clima­tique, et sur la base d’ar­gu­ments tronqués, simplistes,
voire lour­de­ment erro­nés, des lobbyistes dispo­sant d’im­por­tants relais média­tiques s’em­ploient à
orga­ni­ser l’amné­sie.

Rappe­lons que, pour stocker une frac­tion seule­ment des déchets les plus dange­reux produits à ce jour
en France, déchets qui selon certains « tien­draient dans une piscine olym­pique », on s’ap­prête à
creu­ser 300 km de gale­ries sous un site de 29 km2, pour un coût provi­soi­re­ment estimé entre 25 et 35
milliards d’eu­ros, et ce sans certi­tude sur la dura­bi­lité de ce stockage aux échelles géolo­giques
requises, de l’ordre d’au moins 100 000 ans.
Rappe­lons que les consé­quences d’ac­ci­dents majeurs tels que Tcher­no­byl et Fuku­shima ne peuvent se
réduire à un petit nombre de morts « offi­ciels ».
Le fait qu’un bilan sani­taire et écono­mique sérieux
du drame de Tcher­no­byl ne soit toujours pas établi devrait inter­pel­ler tout esprit scien­ti­fique. Un
large éven­tail de morbi­di­tés affecte les habi­tants des terri­toires conta­mi­nés : condi­tions de vie
dégra­dées, paupé­ri­sa­tion et stig­ma­ti­sa­tion seront leur lot pour des siècles.
Deux faits majeurs de notre actua­lité devraient plus que jamais nous aler­ter : le dérè­gle­ment
clima­tique qui s’ac­cé­lère, et la guerre en Ukraine.
La raré­fac­tion de l’eau douce et la réduc­tion du
débit des fleuves liés à une séche­resse bien­tôt chro­nique en France, tout autant que les risques de
submer­sion des zones côtières dûs à l’élé­va­tion du niveau des océans et à la multi­pli­ca­tion
d’évè­ne­ments clima­tiques extrêmes vont rendre très problé­ma­tique l’ex­ploi­ta­tion des instal­la­tions
nucléaires. Miser sur de nouveaux réac­teurs dont le premier serait au mieux mis en service en 2037
ne permet­tra en rien de réduire dès aujourd’­hui et dras­tique­ment nos émis­sions de gaz à effet de serre,
comme l’ur­gence clima­tique l’exige. Par ailleurs, au-delà des horreurs de la guerre, la vulné­ra­bi­lité de
la centrale de Zapo­rijia menace l’Eu­rope entière. Dans un tel contexte d’ins­ta­bi­lité géopo­li­tique,
comment allons nous garan­tir la paix éter­nelle requise par le nucléaire ?

Dans l’im­mé­diat, l’ef­fort indus­triel et finan­cier que repré­sen­te­rait ce nouveau programme détour­ne­rait
pour long­temps les moyens néces­saires pour affron­ter les défis conju­gués de la crise clima­tique, de
l’ef­fon­dre­ment du vivant, des pollu­tions géné­ra­li­sées et de l’épui­se­ment des ressources. Le système
élec­tro­nu­cléaire est au contraire indis­so­ciable d’un modèle écono­mique basé sur le produc­ti­visme et
le gaspillage, qui doit prio­ri­tai­re­ment être revu.

Aujourd’­hui, toute critique de la tech­no­lo­gie nucléaire, soumise au double secret indus­triel et
mili­taire
, est deve­nue extrê­me­ment diffi­cile au sein des écoles, labo­ra­toires et insti­tuts qui lui sont
liés. Mais les sciences de l’in­gé­nieur n’ont le mono­pole ni du savoir ni de la légi­ti­mité pour déci­der
de notre avenir. Les sciences de la terre et du vivant, de la santé, les sciences sociales et
écono­miques, les huma­ni­tés et les lettres produisent des enquêtes, des analyses et des contre-récits
sans lesquels nous ne saurions rien aujourd’­hui des véri­tables consé­quences de l’atome sur les
socié­tés, les milieux de vie et les popu­la­tions, humaines et autres qu’hu­maines.
C’est pourquoi nous, femmes et hommes scien­ti­fiques, méde­cins, ensei­gnants, ingé­nieurs,
univer­si­taires et cher­cheurs lançons cet appel à refu­ser tout nouveau programme nucléaire. A un
choix imposé qui enga­ge­rait notre avenir sur le très long terme, nous oppo­sons la néces­sité
d’éla­bo­rer démo­cra­tique­ment et de manière décen­tra­li­sée, à partir des terri­toires et des besoins, des
propo­si­tions de rupture pour des poli­tiques de sobriété, de tran­si­tion éner­gé­tique, et de justice
écolo­gique.
Pour signer l’ap­pel :
https://appel-de-scien­ti­fiques-contre-un-nouveau-programme-nucleaire.org

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