L’affaire Nicolas Hulot.
« la remise en cause de la culture politique de la prédation peut devenir un authentique bien commun »
Texte daté du 8 décembre:
Tribune.
Je m’étonne de tant d’étonnements. Le #metoo politique, appelant à « écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes » de la vie politique[tribune parue dans Le Monde du 16 novembre] a enclenché une vague de stupéfaction qui traduit une dramatique incompréhension.
Comment ignorer que notre culture politique favorise les passages à l’acte violents envers les femmes ? Déjà en 2011, les commentateurs se succédaient pour exprimer leur incrédulité devant l’affaire Dominique Strauss-Kahn. On s’en souvient, il n’y avait « pas mort d’homme » [selon l’ancien ministre Jack Lang], et si le patron du Fonds monétaire international avait « sauté une femme de chambre, ça ne nous regard[ait] pas »[d’après le journaliste Olivier Mazerolle].Comme je l’avais vigoureusement dénoncé, l’invisible victime, Nafissatou Diallo, n’avait droit à aucun mot de compassion, à de très rares expressions près. Dix ans plus tard, la déferlante #metoo étant passée par là, les femmes qui ont témoigné contre Nicolas Hulot reçoivent davantage de considération et d’empathie. Mais les expressions d’effarement sont toujours là, comme s’il était si difficile d’imaginer qu’un homme de pouvoir puisse ainsi violenter des femmes.
Nous devrions pourtant le savoir : héritage historique et pratiques culturelles nourrissent les violences sexuelles dans le monde politique. Contrairement aux idées reçues, le haut niveau d’éducation et d’intégration des codes bourgeois ne prémunit aucunement de la prédation sexiste. Le monde politique est même façonné par une symbolique et des codes sociaux qui tissent une toile de fond propice à l’oppression des femmes.
Rapport de dépendance
Autrefois parce qu’elles en étaient formellement exclues, aujourd’hui, puisque ce sont les hommes qui tiennent encore pour l’essentiel les rênes des appareils, des postes et des décisions, l’accès des femmes à la politique passe par leurs relations aux hommes. Ce rapport de dépendance est à la fois très concret et profondément ancré dans nos imaginaires. L’entre-soi masculin relève de la simple reproduction sociale et le costume du leader politique reste calibré pour la virilité. Posséder des femmes fait partie de la panoplie d’un homme de pouvoir digne de ce nom.
Bien placé pour nous rappeler les pesanteurs réactionnaires, Eric Zemmour écrit dans son dernier livre que « dans une société traditionnelle, l’appétit sexuel des hommes va de pair avec le pouvoir ; les femmes sont le but et le butin de tout homme doué qui aspire à grimper dans la société ». Et souvent, la domination d’un sexe sur l’autre se double de celle de l’âge de la maturité sur la jeunesse. La littérature regorge de récits en ce sens, et la réalité d’exemples concrets.
Même si elles se trouvent ébranlées par les vagues féministes, nos représentations sont façonnées par cet ordre des choses. Que les hommes de pouvoir attirent les femmes, c’est l’évidence. Faut-il rappeler combien les normes en matière de séduction et de sexualité sont construites autour du binôme homme actif-femme passive ? Non seulement le statut des leaders politiques, localement ou nationalement, dans les médias ou dans la hiérarchie du parti, est érotisant pour les femmes, mais une relation avec eux constitue aussi un moyen d’accéder à ce pouvoir qui leur est par ailleurs refusé. Comment dès lors se dire stupéfait que des hommes en profitent en prenant les femmes pour un dû, presque un droit, comme s’ils se prouvaient en les soumettant qu’ils sont irrésistibles, invincibles ?
Un coup de pied dans la fourmilière
C’est ainsi que des femmes se sentent et se trouvent piégées, à l’instar de celle accusant Nicolas Hulot de l’avoir violée sous l’effet de la sidération lorsqu’elle était adolescente, alors qu’elle était impressionnée de prendre un verre avec son idole. Confronté à ces accusations, l’intéressé ose depuis ironiser : « Je sais que j’ai un physique très ingrat et que seule la contrainte me permet de vivre des histoires d’amour. »
Dans ce contexte, la parole des victimes de violences sexuelles, que je salue du fond du cœur pour leur courage, est aussi essentielle qu’irremplaçable. « Pour un #metoo politique » a également mis un coup de pied salutaire dans la fourmilière. La balle est renvoyée aux partis chargés de faire le ménage, si l’on peut dire. Même s’ils ne peuvent pas se substituer à la justice et que les formes de cette intervention posent des questions, oui il le faut, ils le doivent !
« Le pouvoir politique doit cesser d’être confondu avec la possession et la sujétion »
Nous ne nous en sortirons pas seulement en ciblant des cas individuels relevant de crimes et délits, même si c’est une étape fondamentale. Nous devons aller à la racine du mal. Une mise à jour antisexiste est indispensable pour en finir avec les violences sexuelles en politique. Ici comme ailleurs, il existe un continuum entre les rappels quotidiens à l’ordre des sexes et les actes de violences sexuelles. Mais ici plus qu’ailleurs, le pouvoir tel qu’il a été façonné, par les hommes et pour les hommes, est de nature à favoriser les violences sexuelles.
C’est pourquoi nous devons aussi revisiter la conception de l’exercice du pouvoir dont le virilisme est une caractéristique majeure. Et ce d’autant que la fameuse « zone grise » [entre le consentement et le viol] fait partie du problème et n’a pas de solution devant les tribunaux. De plus, les femmes en politique peinent à dénoncer ce qu’elles vivent, ce qu’elles savent, tant parler peut être vécu comme une contribution à affaiblir sa propre famille politique ou la promesse d’une mise à l’écart du parti voire de la vie politique.
Récurrence d’humiliations
Ce qu’il nous faut atteindre, c’est toute la chaîne des comportements qui favorisent le passage à l’acte violent. Ce travail relève de l’introspection d’un ensemble de normes, de propos, de gestes qui confortent jour après jour la puissance des hommes et l’infériorité des femmes en politique. C’est cette récurrence d’humiliations, de mises à l’écart, de renvois à notre statut de mère ou d’objet sexuel qui rend possible voire facile le harcèlement, l’agression, le viol.
Le pouvoir politique doit cesser d’être confondu avec la possession et la sujétion. Pour y parvenir, la sororité est un atout essentiel mais les hommes politiques devraient, à mon sens, prendre à bras-le-corps le sujet et être pleinement acteurs de cette révolution féministe. Or, force est de constater le trop de silences, de déni, de complicités masculines. Je veux croire qu’au moins dans notre gauche qui défend les humanités, l’émancipation et le partage des pouvoirs, la remise en cause de la culture politique de la prédation peut devenir un authentique bien commun.
Clémentine Autain est députée La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis.