Coro­na­vi­rus : les enjeux de la crise

Nous publions un article de Chris­tophe Aguit­ton (membre d’En­semble!) paru sur le site d’ATTAC.

https://france.attac.org/nos-idees/placer-l-alter­mon­dia­lisme-et-la-soli­da­rite-au-coeur-des-rela­tions/article/un-monde-instable-et-impre­vi­sible-a-l-heure-du-coro­na­vi­rus

Un monde instable et impré­vi­sible à l’heure du coro­na­vi­rus

Jamais, depuis 1945, le monde n’avait connu une situa­tion aussi chao­tique et instable dans un enche­vê­tre­ment de crises aussi diverses que majeures :

climat et envi­ron­ne­ment, migra­tions, guerres et tensions géopo­li­tiques, montée des auto­ri­ta­rismes, ralen­tis­se­ment du commerce mondial, soulè­ve­ments popu­laires sur tous les conti­nents, endet­te­ments et marchés finan­ciers hors contrôle, et enfin la crise sani­taire due au coro­na­vi­rus… Si ces crises sont inter­dé­pen­dantes – comment penser les ques­tions migra­toires sans penser au climat, aux conflits et aux guerres – il nous faut choi­sir un angle et, aujourd’­hui, l’épi­dé­mie de Covid-19 est un bon indi­ca­teur des fragi­li­tés de la situa­tion inter­na­tio­nale et des tendances poten­tielles qu’elle révèle.

Du grec « Krisis », la crise en français, est avant tout une rupture, une discon­ti­nuité qui peut ouvrir sur de nouvelles oppor­tu­ni­tés. L’épi­dé­mie actuelle répond parfai­te­ment à cette défi­ni­tion et elle porte en elle les germes des pires et plus souhai­tables évolu­tions possibles.

La situa­tion chinoise nous montre à quel point une situa­tion d’ur­gence peut être utili­sée pour accen­tuer le contrôle de la popu­la­tion. Des milliers d’in­ter­nautes chinois ont ainsi été exclus des réseaux sociaux pour « propa­ga­tion de fausses nouvelles » et toute la popu­la­tion est aujourd’­hui tracée par des appli­ca­tions sur mobile qui partagent avec la police, les socié­tés de trans­port et même les centres commer­ciaux, l’état de votre risque sani­taire et le détail de vos derniers dépla­ce­ments. En Europe nous n’en sommes pas là, mais, sans parler des nombreuses atteintes aux liber­tés fonda­men­tales dues aux obli­ga­tions de confi­ne­ment, il est clair que les gouver­ne­ments en place tentent d’uti­li­ser la foca­li­sa­tion des media et du public sur le coro­na­vi­rus pour reprendre la main sur les opinions et le contrôle du calen­drier. Mais si ces mesures coer­ci­tives sont accep­tées par les popu­la­tions pendant le pic de l’épi­dé­mie, il est fort probable que le mécon­ten­te­ment popu­laire s’ex­prime forte­ment une fois celle-ci passée. En Chine, les très nombreux messages de soutien au docteur Li Wenliang, le premier lanceur d’alerte à Wuhan, ou les cris de colère face à la vice-premier ministre chinoise Sun Chun­lan en visite dans la ville en témoignent !

Par son ampleur, et parce qu’elle a d’abord touché la Chine, cette épidé­mie permet de mettre le doigt sur les points faibles de la mondia­li­sa­tion néoli­bé­rale. Des secteurs stra­té­giques, comme l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, délo­ca­lisent depuis des années des pans entiers de leur appa­reil produc­tif. Aujourd’­hui, en pleine crise sani­taire l’Union euro­péenne (UE) réalise que des médi­ca­ments de base sont en passe de manquer à cause de la para­ly­sie de l’in­dus­trie chinoise. L’in­dus­trie du numé­rique est égale­ment touchée de plein fouet. Mais les dégâts ne se limitent pas à ces secteurs. Les grandes entre­prises du secteur de l’au­to­mo­bile, de l’aé­ro­nau­tique ou de la robo­tique ont déve­loppé des chaînes de produc­tion qui s’étendent sur toute la planète et qui peuvent se grip­per au moindre problème. Le Brexit avait déjà posé une alerte, obli­geant plusieurs grands groupe à revoir leurs poli­tiques d’im­plan­ta­tion d’usines, et le Covid-19 pour­rait repré­sen­ter la crise de trop pour de nombreuses multi­na­tio­nales. Mais la mondia­li­sa­tion ne concerne pas que l’in­dus­trie, et de nombreux secteurs vont être dura­ble­ment impac­tés par cette épidé­mie. Le tourisme, en plein boom, en est un des premiers. Il repré­sente aujourd’­hui 10% du PIB et 10% de l’em­ploi au niveau mondial et il se concentre sur un nombre limité de lieux et de pres­ta­tions. En France, le premier site visité est Disney­land Paris, bien devant la tour Eiffel ou le Louvre, et, au niveau mondial le secteur des croi­sières connaît une forte crois­sance, avec des paque­bots toujours plus grands, mais aussi premiers témoins de la mala­die. Dernier élément, et non des moindres, la mondia­li­sa­tion finan­cière qui montre égale­ment sa fragi­lité. Les bourses du monde entier ont commencé à chuter dès le mois de février, puis ont plongé le 9 mars à la suite de la très forte baisse des cours du pétrole. Si, à l’heure où ce texte a été écrit il n’est pas possible de prévoir l’am­pleur des événe­ments à venir, le coro­na­vi­rus pour­rait être le déclen­cheur d’une crise écono­mique et finan­cière de grande ampleur par la conjonc­tion, sans pareil, d’élé­ments de très forte fragi­lité.

Si l’épi­dé­mie montre les points faibles de la mondia­li­sa­tion néoli­bé­rale, elle permet aussi de mettre en avant ce que pour­raient en être les alter­na­tives. L’his­toire regorge de moments où des événe­ments impré­vus, des guerres, des chocs poli­tiques ou des mouve­ments sociaux ont accé­léré des proces­sus en cours ou permis des bifur­ca­tions impré­vi­sibles. Tout récem­ment la grève des trans­ports en Ile-de-France a permis à des dizaines de milliers de personnes de décou­vrir les usages du vélo en ville, et les derniers chiffres montrent que ce mouve­ment perdure. Sans commune mesure, la Seconde Guerre mondiale et les années qui l’ont suivie a jeté les bases de ce l’on a appelé l’État provi­dence. Aux Etats-Unis l’im­pôt progres­sif mis en place pendant le New Deal par l’ad­mi­nis­tra­tion Roose­velt s’est durci avec un taux maxi­mal de 80 à 90% en place jusque dans les années 1980. En France, le système de retraite, précé­dem­ment basé sur des fonds de capi­ta­li­sa­tion, s’est effon­dré pendant la guerre. C’est ainsi que le système de retraite par répar­ti­tion a été mis en place à la libé­ra­tion. Plus géné­ra­le­ment, dans tous les pays déve­lop­pés, un taux élevé de prélè­ve­ment obli­ga­toire néces­saire à la recons­truc­tion a été péren­nisé pour mettre en place des systèmes de redis­tri­bu­tion et de couver­ture sociale. Un choc plané­taire comme l’épi­dé­mie de Covid-19 pour­rait initier ou accé­lé­rer des trans­for­ma­tions néces­saires. La pénu­rie de médi­ca­ments a amené les insti­tu­tions euro­péennes, ces dernières semaines, a réflé­chir à une relo­ca­li­sa­tion de certaines chaînes de produc­tion pour assu­rer une sécu­rité sani­taire sur le conti­nent. Cette initia­tive pour­rait être élar­gie à d’autres secteurs, la produc­tion agroa­li­men­taire, par exemple, pour répondre à la reven­di­ca­tion histo­rique de « souve­rai­neté alimen­taire » défen­due par les paysans de la Confé­dé­ra­tion paysanne et de la Via Campe­sina. Au niveau indus­triel, la baisse des prix de machines à commandes numé­riques a permis un timide mouve­ment de relo­ca­li­sa­tion de certaines produc­tions. Les chaînes mondiales mises en place par les multi­na­tio­nales pour leurs produc­tions indus­trielles viennent de révé­ler leur fragi­lité, il serait temps de donner la prio­rité à une relo­ca­li­sa­tion qui béné­fi­cie­rait à l’em­ploi comme à l’en­vi­ron­ne­ment. La crise du coro­na­vi­rus a égale­ment montré en cas de néces­sité des mesures « radi­cales » pouvaient être mises en place. C’est le cas de la fixa­tion des prix ou la réqui­si­tion pour des produits qui connais­saient des phéno­mènes spécu­la­tifs, comme le gel hydro­al­coo­lique ou les masques de protec­tion. Il est déjà évident que l’UE – devant la crise écono­mique qui s’an­nonce – va exoné­rer les pays membres des obli­ga­tions budgé­taires fixées par le traité de Maas­tricht. Ce qui est possible, et juste, face aux consé­quences de l’épi­dé­mie devrait être mis en place de la même manière pour d’autres ques­tions toutes aussi impor­tantes, comme la crois­sance des inéga­li­tés, le trai­te­ment inhu­main des migrants, la crise clima­tique ou l’ef­fon­dre­ment de la bio-diver­sité. La NASA a diffusé des images de la Chine avant et pendant l’épi­dé­mie qui montre une quasi-dispa­ri­tion de la pollu­tion en quelques jours. Il ne s’agit évidem­ment pas de confi­ner sur le long terme toutes les popu­la­tions, mais ces images montrent la réver­si­bi­lité de phéno­mènes si des mesures fortes sont prises. La crise sani­taire mondiale nous indique des alter­na­tives poten­tielles.

Mais, à l’évi­dence, elles ne seront mises en œuvre que si elles sont portées par des mouve­ments sociaux et un rapport de force à construire pour chan­ger le système. Ce sera tout l’enjeu des mois et années qui viennent ! 

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