Deux députés qui ont sauvé l’honneur. Nous ne sommes pas habitués à les saluer aussi chaleureusement: Noël Mamère et Pouria Amirshahi. Voici leurs déclarations dans la presse hier et aujourd’hui.
Auparavant, donnons les noms des six députés qui n’ont pas cédé: les socialistes Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Gérard Sebaoun et les écologistes Noël Mamère, Sergio Coronado, Isabelle Attard. Plus une abstention, la socialiste Fanélie Carrey-Conte.
Voici donc les expressions de deux de ces 6.
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L’union sacrée est une défaite de la pensée 17 novembre 2015 | Par Noël Mamère – Mediapart.fr
Il est normal et juste que l’Etat montre sa détermination face à l’ère de ténèbres, que le Président préside, que le gouvernement gouverne, que les institutions fonctionnent. Il est normal et juste que le Congrès puisse se réunir, que le Président se concerte avec les forces politiques, vienne auprès des victimes, organise la riposte à l’horreur. Mais pour que la société puisse se défendre, elle doit comprendre, mettre des mots sur les événements. Et ces mots ne peuvent se réduire à ceux de la feuille de route du président de la République, fut-elle rebaptisée « Union Sacrée ».
L’Histoire nous prouve que l’Union Sacrée a toujours été utilisée pour amener la gauche à se soumettre à la logique de guerre de la droite. Le premier à mettre en œuvre ce « concept » politique, fut le président Poincaré, le 4 Août 1914, au lendemain de l’assassinat de Jean Jaurès qui s’opposait à la guerre, pour en appeler à l’union de tous les partis et lancer la France dans la guerre contre l’Allemagne. On sait ce qu’il advint : une génération fauchée par les marchands de canon.
En Mars 1956, L’Union Sacrée vote les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, pour lutter contre le FLN algérien. C’est la guerre d’Algérie. L’Union Sacrée n’est qu’un stratagème qui a pour but de dissimuler les désaccords de fond au sein d’une société et de faire passer le projet d’une République sécuritaire.
Personne, ici, ne nie la nécessité de répondre au défi lancé par l’Etat Islamique. Ces morts, nos morts, qui venaient faire la fête, écouter de la musique, regarder un match, se sont retrouvés victimes d’une guerre qu’ils croyaient lointaine. Mais la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens. Et la guerre, nous la faisons depuis quinze ans. D’abord en Afghanistan, puis sur d’autres théâtres d’opérations, comme la Libye, le Mali, l’Irak et la Syrie. Ceux à qui nous faisons la guerre ripostent à leur façon, asymétrique, face à nos bombardements, à nos drones, à nos assassinats ciblés. Ils l’ont d’ailleurs dit eux mêmes, avec leurs mots et avec leurs balles, au Bataclan, vendredi soir. C’est la loi de toute guerre.
Si nous sommes en guerre, comme le dit le Président de la République, alors soit, mais identifions l’ennemi. Cet ennemi, c’est l’islamo-fascisme, c’est-à- dire un fascisme religieux, qui se réclame de l’Islam mais qui n’a rien à voir avec la tradition musulmane et même, oserais-je dire, avec l’islamisme politique. Il est le produit de la fusion entre le fanatisme religieux et une barbarie occidentale, le national-socialisme, dont s’est largement inspiré, dès son origine, le parti Baas, puis Al Qaïda en Irak. Ce dernier a été influencé par un prédicateur, Sayyid Qotb, mort en 1960, qui avait rompu avec les Frères musulmans sur un point capital : Il ne voulait plus faire de compromis avec toute souveraineté, même celle d’un Etat musulman. Pour lui, tout individu devait obéir et appartenir à Dieu, comme dans le nazisme, tout aryen devait appartenir au Führer. Cette théorie a plusieurs conséquences : la destruction de tout corps intermédiaire, de tout espace public et privé, de tout parti, syndicat ou association qui n’est pas soumise à la seule loi non écrite de la Charia. C’est un courant idéologique et politique transnational, qui agit avec méthode, qui se pense comme Califat à vocation mondiale. Daech, l’Etat Islamique, ce monstre à la confluence du Moyen-Age, du totalitarisme du 20ème siècle et des réseaux sociaux du XXIème, en est l’incarnation. Nous avons affaire à une organisatissociation qui n’est pas soumise à la seule loi non écrite de la Charia. C’est un courant idéologique et politique transnational, qui agit avec méthode, qui se pense comme Califat à vocation mondiale. Daech, l’Etat Islamique, ce monstre à la confluence du Moyen-Age, du totalitarisme du 20ème siècle et des réseaux sociaux du XXIème, en est l’incarnation. Nous avons affaire à une organisation politico-militaire à vocation terroriste planétaire, dotée d’un projet politique, qui se pense comme telle. Elle possède une armature idéologique structurée, dispose de sa propre agence de communication, construit un Etat, lève des impôts, mobilise des dizaines de milliers de soldats, entretient depuis près de 18 mois des milliers de fonctionnaires dans un territoire comprenant la moitié de la Syrie et de l’Irak…
Dès lors, c’est un contre-sens de s’acharner à vouloir essentialiser ses membres comme « musulmans » ou « fous » ou « jeunes des quartiers ayant des problèmes », même s’ils peuvent présenter ces caractéristiques et bien d’autres. Mais quand ils agissent, c’est avant tout comme des militants fascistes religieux. Et ils doivent être combattus et défaits comme tels.
Tandis que nous tentons d’affaiblir l’Etat Islamique (et non Daech, acronyme qui ne lui donne pas son véritable nom en arabe), par des moyens militaires, il s’en prend à nos seules vraies défenses que sont nos libertés et essaie de nous déstabiliser. Rappelons nous que, il n’y a pas si longtemps, la guerre du Vietnam n’a pas été perdue militairement par l’armée américaine mais parce que cette guerre avait perdu sa légitimité auprès du peuple américain.
Ce que l’EI tente d’affaiblir, c’est notre cosmopolitisme. En janvier, avec Charlie, leur cible était la liberté d’expression, la liberté de penser des dessinateurs, des journalistes et, en même temps, une tradition française, née de la lutte contre le despotisme en 1789. Les juifs aussi, incarnation, avec l’esprit diasporique, de ce « Tout Monde » dont parle le poète Edouard Glissant. Le cosmopolitisme toujours. Le cosmopolitisme insurgé des villes rebelles comme Paris, ce Paris de la Commune, des MOI, de la résistance à l’oppression, des barricades de 1830 à 1968, ce Paris métissé, qui est notre véritable ligne de défense contre le fascisme religieux.
L’EI peut être vaincu, mais à condition de ne rien lâcher sur nos valeurs, nos principes, nos convictions. Ce n’est pas en stigmatisant un peu plus les musulmans, en prenant des mesures inefficaces et discriminatoires que l’on combat le fascisme. Au contraire, on va dans le sens de l’EI, qui cherche à faire des musulmans un bouclier humain.
L’EI peut être vaincu, mais pas avec les méthodes que les Etats-Unis et la Russie utilisent depuis deux décennies, de l’Irak à la Tchétchénie.
La politique d’intervention militaro-humanitaire, ça n’a pas marché. Les interventions au sol ou dans les airs, ça n’a pas marché. Les assassinats ciblés, ça n’a pas marché. Avec leur commande des massacres à distance, les drones sont d’ailleurs la politique inversée de Daech. Ceux qui tuent à des milliers de kilomètres et commettent une bavure contre un mariage ou une fête rituelle, ou un hôpital de MSF en Afghanistan, ressemblent aux commanditaires des attentats de Paris. Ils tuent avec leur bonne conscience… Et produisent en retour des monstres. La seule chose qui a fonctionné jusqu’à présent, c’est la résistance kurde en Syrie et en Irak. Parce qu’elle est l’œuvre du peuple, qui résiste seul sur place. Parce que, depuis Kobane, les brigades de l’Armée Syrienne Libre se joignent à elle. Parce qu’elles ne dépendent pas du seul jeux des puissances mondiales ou régionales, arc boutées sur la défense de leurs seuls intérêts d’Etat.
Nous avons aujourd’hui le devoir de défendre la société, une société de libertés, contre tous ceux qui chercheront à les remettre en cause, à les rogner, une société d’égalité pour tous contre tous ceux qui discrimineront en fonction de la couleur de peau, de la religion, du sexe… Une société de fraternité et de solidarité.
Nous sommes en guerre, certes, mais ce n’est pas une raison pour sombrer dans le renoncement à ce qui est le sens même de nos valeurs. Le « pacte sécuritaire » qui nous est proposé, n’est qu’une habile triangulation pour faire avaler à la gauche la camelote de la droite : état d’urgence prorogé de trois mois sans explication, et éventuelles modifications profondes décidées dans l’urgence de l’émotion, interdiction des manifestations, approbation du principe de déchéance de la nationalité, expulsions massives, régression de l’Etat de droit par la constitutionnalisation d’un Patriot Act à la française… Ce n’est rien d’autre qu’une logique de guerre intérieure permanente qui nous est imposée à la faveur du massacre du vendredi noir. Elle n’en sera pas plus efficace pour autant. Notre besoin n’est pas de banaliser le tout sécuritaire, mais de renforcer les moyens de renseignement et de contre terrorisme, de justice et de police sur le terrain, de faire moins d’esbroufe pour faire croire que l’on protège la population et plus d’infiltrations et d’asséchement des réseaux, plus de politique internationale et moins de vente d’armes à des régimes qui encouragent, de fait, l’insurrection djihadiste.
Une dernière remarque, cet événement nous aura appris au moins une chose : nous savons maintenant ce qui pousse des femmes, des hommes, des enfants, à risquer leur vie en traversant la méditerranée et à errer de murs en murs à travers l’Europe. Ils ont les mêmes visages que ceux qui ont été assassinés lâchement au Bataclan ou rue de Charonne, vendredi soir, mais ils en ont connu des dizaines chez eux. Ce n’est pas la France qui est touchée, c’est l’humanité que l’on assassine à Paris, à Alep ou ailleurs. C’est nous. La seule Union Sacrée qui vaille, c’est celle de l’humanité blessée, qui doit oser se révolter contre la barbarie.
Noël Mamère
Le 17/11/2015.
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Pouria Amirshahi Pourquoi je voterai contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgenceLe Monde.fr | 19.11.2015 à 10h29
Énième sursaut ? Régressions démocratiques ? Réveil des consciences ? Comment empêcher d’autres morts, d’autres destins brisés par des esprits aussi manipulés que résolus à tuer ? Ce qui se joue depuis janvier 2014 et novembre 2015, c’est-à-dire l’avenir de notre société, se dessine en ce moment. Sur le front extérieur comme intérieur, le président de la République a déclaré la France « en guerre ».
La source de cette « guerre » prend racine d’abord dans la géopolitique : la faillite des Etats, les corruptions et les bouleversements qui font le terreau de croissance des monstres tels Daech. Interroger cette géopolitique, c’est nous interroger nous-mêmes, Français, sur les désordres du monde. C’est à cette échelle qu’il convient d’assécher immédiatement les sources de financement du groupe « Etat Islamique ». C’est à ce niveau que nous devrons réviser nos alliances – y compris de commerce d’armes – avec des Etats pour le moins ambigus si ce n’est directement impliqués dans les troubles actuels.
C’est enfin à cette échelle que doit se conduire effectivement une autre politique de reconstruction et de développement. En gros, traduire en actes une nouvelle doctrine qui pourrait se résumer ainsi : « leur développement, c’est notre sécurité ».
Il y a ensuite les fragilités françaises qui voient des jeunes Français manipulés et endoctrinés sur fond de désamour avec la République, devenir assassins et haineux de leur propre pays. Encore ultra-minoritaires, ils croissent et se radicalisent. Il faudra bien très vite sortir des discours de tribune parlant de nos banlieues pour mettre, dès maintenant, autant de créations de postes nouveaux pour les politiques publiques de la ville, de l’action sociale, de l’éducation que nous en mettons dans la police et l’armée – sans regarder jamais à la dépense, comme si c’était plus important.
Mais pour l’heure, il convient pour le Parlement de se prononcer ce jeudi 19 novembre, sur la prolongation pour 3 mois de l’état d’urgence, c’est-à-dire d’une « loi d’exception », dont le premier ministre avait pourtant dit le 13 janvier 2014 qu’elle n’était pas compatible avec l’esprit de notre République. Le projet du gouvernement – déposé avant même le terme des 12 jours légalement prévus et entamés le 13 novembre – entend renforcer les capacités coercitives de l’administration et des pouvoirs de police et durcir les conditions de détention des personnes suspectées prévues depuis 1955. C’est dans la précipitation que les législateurs vont délibérerd’une restriction sévère de nos libertés publiques, de nos loisirs et sorties, de nos manifestations de solidarité, de notre droit à nous réunir. Conformément à la loi de 1955, ces restrictions pourront intervenir à tout moment, à titre permanent le cas échéant, sur décision du préfet.
Celles et ceux qui assument que les libertés puissent (ou doivent) passer au second plan d’une sécurité première ont le mérite de la cohérence. Vieux débat qui traverse la France depuis 1789. Mais pour celles et ceux qui, nombreux dans les paroles, ont affirmé avec force que la démocratie ne gagnera qu’en étant elle-même, en ne rognant pas un pouce de droit ni de liberté, il y a une grave contradiction à défendre aujourd’hui l’inverse dans la Loi : est-ce assumer notre démocratie que d’interdire potentiellement des manifestations citoyennes ? Est-ce faire preuve d’audace que d’interdire des réunions publiques au moment où les Français ont besoin de parler, de se parler, pour comprendre ? Plus que jamais nous avons besoin que la société mobilisée se mette en mouvement : pour faire vivre la démocratie bien sûr, mais aussi pour entraîner les citoyens contre les dérèglements du monde et les fanatismes monstrueux qu’ils engendrent. On n’assigne pas une société à résidence.
Bien entendu la République doit être en capacité de se défendre. Contrairement à ce qui est affirmé par les tenants d’un virage néoconservateur, nous disposons d’un arsenal judiciaire et répressif très dense, révisé plus de 11 fois en 10 ans. Sait-on par exemple que les investigations qui ont conduit aux opérations de police mercredi à Saint-Denis ont été menées indépendamment de l’état d’urgence, dans un strict cadre judiciaire et d’enquête pénale ? « Oui, mais demain, après-demain… Comment faire ? » entend-on parfois du côté de ceux que l’uniforme rassure, même s’ils sont lucides sur l’effet peu persuasif des dispositions de sécurité de rue sur des terroristes déterminés, jusqu’à se faire sauter.
En premier lieu, il convient d’appliquer le code de procédure pénale qui autorise déjà, dans le cadre de la lutte antiterroriste, le recours à des perquisitions de nuit, mais également l’utilisation de techniques d’enquêtes spéciales que ne permet pas l’état d’urgence (écoutes, micros, surveillances etc.). La chancellerie a d’ailleurs déjà ordonné que les affaires de terrorisme soient prioritaires.
Ensuite, il est temps de changer de stratégie de sécurité, par exemple en déployant quelques milliers de policiers et gendarmes aujourd’hui affectés au peu efficace plan Vigipirate, qui de l’avis de tous les spécialistes vise d’abord à rassurer le quidam, vers des investigations, des enquêtes, des filatures… Ce qu’apprécieront juges et policiers, renforcera notre efficacité, et donnera des preuves aux citoyens.
Les actions de justice et de police ont montré que le besoin prioritaire de moyens et de coordination entre services était plus important sans doute que les dispositifs exorbitants de droit commun accordés aux services de sécurité que constituent par exemple la dernière loi renseignement ou une durée anormalement longue d’un état d’urgence.
Il est enfin un obstacle majeur à mon approbation d’une prolongation pour trois mois (durée d’ailleurs aussi arbitraire qu’inexpliquée par le gouvernement) : l’empressement d’une modification constitutionnelle, de notre Loi fondamentale, alors même que le chef des armées vient de nous déclarer « en guerre » et que la France sera en état d’urgence.
Pas une démocratie moderne ne modifie ses règles les plus précieuses en période où prime la possibilité de dérogation à ces mêmes règles. Sans même entrer dans le contenu des modifications envisagées, dont certaines sont la reprise des vieilles revendications du bloc réactionnaire (déchéance de nationalité, présomption de légitime défense – c’est-à-dire permis de tuer – des policiers), on ne saurait, en pleine conscience républicaine, accepter de procéder à ces modifications substantielles de droit fondamental en pleine application d’une loi d’exception. Cette dernière exigence de séparation des temps de notre démocratie ayant été refusée par le premier ministre je voterai contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgence qui va au-delà des pouvoirs administratifs exceptionnels et s’appliquera sans contrôle démocratique véritable.
Pouria Amirshahi est député socialiste des Français établis hors de France
Dans son blog de Mediapart du 19 novembre, il ajoute (et ici, c’est lui qui souligne, non pas la rédaction, contrairement à auparavant):
C’est dans la précipitation que les législateurs vont délibérer d’une restriction sévère de nos libertés publiques, de nos loisirs et sorties, de nos manifestations de solidarité, de notre droit à nous réunir. Conformément à la loi de 1955, ces restrictions pourront intervenir à tout moment, à titre permanent le cas échéant, sur décision du préfet.
Celles et ceux qui assument que les libertés puissent (ou doivent) passer au second plan d’une sécurité première ont le mérite de la cohérence. Vieux débat qui traverse la France depuis 1789. Mais pour celles et ceux qui, nombreux dans les paroles, ont affirmé avec force que la démocratie ne gagnera qu’en étant elle-même, en ne rognant pas un pouce de droit ni de liberté, il y a une grave contradiction à défendre aujourd’hui l’inverse dans la Loi : est-ce assumer notre démocratie que d’interdire potentiellement des manifestations citoyennes ? Est-ce faire preuve d’audace que d’interdire des réunions publiques au moment où les Français ont besoin de parler, de se parler, pour comprendre ? Plus que jamais nous avons besoin que la société mobilisée se mette en mouvement : pour faire vivre la démocratie bien sûr, mais aussi pour entraîner les citoyens contre les dérèglements du monde et les fanatismes monstrueux qu’ils engendrent. On n’assigne pas une société à résidence.
Bien entendu, la République doit être en capacité de se défendre. Contrairement à ce qui est affirmé par les tenants d’un virage néoconservateur, nous disposons d’un arsenal judiciaire et répressif très dense, révisé plus de 11 fois en 10 ans. Sait-on par exemple que les investigations qui ont conduit aux opérations de police mercredi à Saint-Denis ont été menées indépendamment de l’état d’urgence, dans un strict cadre judiciaire et d’enquête pénale ? « Oui, mais demain, après-demain… Comment faire ? » entend-on parfois du côté de ceux que l’uniforme rassure, même s’ils sont lucides sur l’effet peu persuasif des dispositions de sécurité de rue sur des terroristes déterminés, jusqu’à se faire sauter.
En premier lieu, il convient d’appliquer le code de procédure pénale qui autorise déjà, dans le cadre de la lutte antiterroriste, le recours à des perquisitions de nuit, mais également l’utilisation de techniques d’enquêtes spéciales que ne permet pas l’état d’urgence (écoutes, micros, surveillances, etc.). La chancellerie a d’ailleurs déjà ordonné que les affaires de terrorisme soient prioritaires.
Ensuite, il est temps de changer de stratégie de sécurité, par exemple en déployant quelques milliers de policiers et gendarmes aujourd’hui affectés au peu efficace plan Vigipirate, qui de l’avis de tous les spécialistes vise d’abord à rassurer le quidam, vers des investigations, des enquêtes, des filatures… Ce qu’apprécieront juges et policiers, renforcera notre efficacité, et donnera des preuves aux citoyens.
Les actions de justice et de police ont montré que le besoin prioritaire de moyens et de coordination entre services était plus important sans doute que les dispositifs exorbitants de droit commun accordés aux services de sécurité que constituent par exemple la dernière loi renseignement ou une durée anormalement longue d’un état d’urgence.
Il est enfin un obstacle majeur à mon approbation d’une prolongation pour trois mois (durée d’ailleurs aussi arbitraire qu’inexpliquée par le gouvernement) : l’empressement d’une modification constitutionnelle, de notre Loi fondamentale, alors même que le chef des armées vient de nous déclarer « en guerre » et que la France sera en état d’urgence.
Pas une démocratie moderne ne modifie ses règles les plus précieuses en période où prime la possibilité de dérogation à ces mêmes règles. Sans même entrer dans le contenu des modifications envisagées, dont certaines sont la reprise des vieilles revendications du bloc réactionnaire (déchéance de nationalité, présomption de légitime défense – c’est-à-dire permis de tuer – des policiers), on ne saurait, en pleine conscience républicaine, accepter de procéder à ces modifications substantielles de droit fondamental en pleine application d’une loi d’exception.
Cette dernière exigence de séparation des temps de notre démocratie ayant été refusée par le premier ministre je voterai contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgence qui va au-delà des pouvoirs administratifs exceptionnels et s’appliquera sans contrôle démocratique véritable.
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A l’inverse des 6 députés et de la Ligue des droits de l’homme, voici ce que l’on pouvait lire sur le blog de Mediapart de la députée Jacqueline Fraysse, parlant de concert avec les autres députés du Front de gauche, de façon contradictoire avec les déclarations aussi des directions du PCF, du PG, si nous avons bien lu, et d’Ensemble bien sûr et ce de façon certaine:
« Lundi dernier, le Président de la République a convoqué le Congrès du Parlement à Versailles pour s’exprimer directement devant les députés et les sénateurs.
Face à la gravité de la situation, il appelle à l’union nationale. Nous pouvons y souscrire dans la mesure où elle n’implique pas de renoncer à ses convictions, mais exige de chacune et chacun d’être plus que jamais responsable.
C’est ce qu’avec les députés de mon groupe, je m’attache à faire.
Sur le plan intérieur, je soutiendrai la prolongation de l’état d’urgence pour permettre l’arrestation plus rapide d’individus dangereux et le démantèlement des réseaux. La situation exceptionnelle justifie cette mesure d’exception.
Par contre, ce texte attentatoire aux libertés fondamentales ne saurait être prolongé et encore moins gravé dans le marbre de la constitution.
Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point car les mesures sécuritaires, si elles sont nécessaires, ne font que soigner le symptôme. Or, nous avons plus que jamais besoin de soigner aussi les causes.
Certaines d’entre elles ont leur racine au cœur de nos institutions : beaucoup trop d’enfants de la République sont aujourd’hui, et depuis trop longtemps, laissés sur le bord du chemin, en-dehors de l’école et du monde du travail. Il est essentiel que le gouvernement déploie au moins autant d’énergie à renforcer l’accès de tous à l’éducation, la culture et l’emploi qu’aux mesures sécuritaires dont nous mesurons les limites.
S’attaquer aux causes, c’est aussi œuvrer pour une solution politique aux conflits qui se déroulent sur la scène internationale
Un salutaire infléchissement est enclenché pour permettre une meilleure coordination de la réaction armée.
Mais il est urgent de donner toute sa place à l’Organisation des Nations Unies pour appliquer le droit international et fixer des objectifs tant dans le domaine militaire que politique.
Il est urgent d’avancer sur la voie de la diplomatie afin de régler les interminables conflits dans lesquels les occidentaux portent de lourdes responsabilités.
Songeons que la terreur vécue par nos concitoyens le week-end dernier est celle que vivent depuis des mois, des années, les peuples syrien, palestinien, irakien, libanais, libyen, sans parler de ceux de l’Afrique de l’Ouest.
La force seule ne peut rien régler durablement, le rôle de la France doit être de tout mettre en œuvre pour arrêter cette spirale de guerre et rétablir la paix. »
Jacqueline Fraysse