Publié le 6 septembre 2021 |
Une surenchère sécuritaire, alimentée par les pouvoirs publics et des médias complaisants, consacre la dérive autoritaire de l’appareil d’Etat. En attestent des lettres ouvertes de gradés de l’armée qui en appellent à un retour à l’ordre musclé dans les quartiers populaires, comme le soutien par le ministre de l’Intérieur d’une manifestation de l’intersyndicale des policiers majoritairement d’extrême droite…
Ceci sur la base d’amalgames entre différents fauteurs de troubles réels ou supposés : terroristes, délinquant.es ordinaires, jeunes de quartiers populaires, Gilets jaunes, manifestant.es. A l’Université, une enquête est commandée par le ministère pour éradiquer les ferments « séparatistes » des études post-coloniales et de l’« islamogauchisme ».
Un arsenal législatif liberticide s’est ainsi constitué au fil des derniers mandats présidentiels. Dans cette gestion essentiellement répressive, sont occultées les responsabilités de l’Etat dans les causes des violences incriminées. Cet engrenage du conflit systématique n’épargne pas les policiers dont l’exercice professionnel est souvent à risques, ni la justice, institution critiquée par leurs syndicats et dont, pour autant, nombre de ses représentant.es optent pour l’impunité des forces de l’ordre.
Dans les faits, en matière d’insécurité, la politique internationale française a de lourdes responsabilités, tant en Afrique qu’au Proche-Orient. Alors que la Libye a sombré dans le chaos qui dure depuis l’intervention militaire occidentale en 2011, les pays du Sahel subissent une occupation militaire sans perspectives de paix depuis 2013, une politique tous azimuts de ventes d’armes alimente des conflits guerriers ou des régimes dictatoriaux (en Egypte, en Arabie saoudite, au Yémen…).
Endiguer les violences : le recours de l’Ecole et des sciences humaines et sociales
Cause et effet de cet ordre inquisitorial en gestation, auquel s’ajoute une gestion parfois infantilisante de la crise pandémique, le système éducatif est un grand absent du débat actuel. La loi sur « l’Ecole de la confiance », votée en 2019, institue entre autres « le devoir d’exemplarité » des enseignant.es ; la loi sur la Fonction publique a mis fin aux commissions paritaires qui permettaient le contrôle de la gestion des carrières par les représentants des personnels.
Au nom d’une idéologie pseudo-scientifique et d’une gestion managériale qui impose progressivement la mise en concurrence des établissements, les libertés pédagogique et d’expression des enseignant.es se restreignent toujours davantage, tandis qu’augmentent pressions, répressions et stress, chez les publics également. Quant à l’Université, elle pâtit toujours davantage de sa pseudo autonomie et d’un manque de moyens criant, notamment en termes de personnels. Les lycéen.nes et étudiant.es souffrent, quant à eux, de modes de sélection inéquitables, qui contreviennent au principe démocratique d’accueil de l’Université : dispositif Parcoursup, sélection en master…
De telles involutions ne peuvent que bénéficier à des établissements privés à but lucratif et sans ambition éthique. Le financement de la recherche et des universités répond aussi à cette même logique. Combien existe-t-il de précaires diplômé.e.s parfaitement aptes à occuper des postes de manière pérenne, si ceux-ci étaient créés ?
Face à cette déferlante réactionnaire sur fond néo-libéral, le service public d’éducation et de recherche a légitimité à renforcer les préventions, en réaffirmant l’autorité morale et intellectuelle de ses agents, dont une majorité est constituée de femmes. En effet, c’est sur les bancs de l’Ecole et de l’Université que doit se forger l’avenir du pays, à partir de l’exercice de l’esprit critique et des valeurs émancipatrices et authentiquement républicaines. Le fort abstentionnisme électoral, et parfois le désengagement militant, d’une jeunesse de plus en plus précarisée nous oblige à renforcer ces missions.
Pour une campagne unitaire en faveur de l’Ecole et de l’Université
Il est urgent qu’une campagne, notamment intersyndicale, en appelle à l’arrêt des méthodes managériales issues du privé et à la promotion des garanties d’indépendance des personnels et d’éthique politique qu’apporte encore le statut de la Fonction Publique. C’est l’une des conditions d’une authentique refondation des services publics de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur des principes fondamentaux d’humanisme, de solidarité et d’émancipation.
Enfin, dans le débat pré-électoral qui tourne en boucle, devront être médiatisés les expertises et programmes qui concernent Ecole et Université, sur lesquels les états-majors politiques ont à se prononcer publiquement.
Parmi les signataires :
Philippe Blanchet universitaire, élu au CNESER et au Conseil supérieur de l’éducation,
Claude Calame historien EHESS, membre du Conseil scientifique d’ATTAC, Pierre Cours-Salies, sociologue, Alexis Cukier, philosophe, syndiqué CGT Ferc Sup,
Laurence de Cock historienne
Didier Epsztajn animateur du blog « Entre les lignes entre les mots »
Isabelle Garo, enseignante, philosophe, syndiquée CGT Educ’action
Franck Gaudichaud, politiste (université Toulouse Jean Jaurès)
Samy Johsua universitaire en sciences de l’éducation
Pascal Maillard, universitaire, responsable syndical du SNESUP-FSU
Gus Massiah économiste membre du Conseil scientifique d’Attac France
Ugo Palheta, sociologue, université de Lille
Louis Weber ancien président de l’Institut de recherches de la FSU