« Jamais l’extrême droite n’a été si près du pouvoir. Parce qu’elle est la pire ennemie de l’égalité, des droits et des libertés, voter contre sa candidate est la seule option antifasciste dans le cadre électoral. Mais ce sera dans la douleur, l’autre bulletin étant au nom du premier responsable de cette catastrophe, Emmanuel Macron. »
« Le barrage à l’extrême droite se fera donc malgré Emmanuel Macron et contre lui.«
19 avril 2022 Article en accès libre:
(…) Alors que l’extrême droite est sortie renforcée comme jamais du premier tour, à la fois démultipliée, notabilisée et banalisée, le président sortant est le plus mal placé pour inviter à l’empêcher de l’emporter au second tour.
Comptable de cette catastrophe après avoir été élu pour la conjurer, il ajoute à ce bilan peu enviable la pédagogie désastreuse d’une campagne cynique. Faisant déjà comme si tous ses suffrages du second tour vaudraient adhésion à son programme, il se moque des électeurs à coups de slogans volés – « L’avenir en commun », programme de Jean-Luc Mélenchon – et d’annonces démagogiques – un premier ministre de la « planification écologique » après avoir trahi la Convention citoyenne pour le climat.
Quand, pour la troisième fois après 2002 et 2017, la menace du loup se fait encore plus sérieuse, ce berger-là donne furieusement envie de fuir le scrutin, quel que soit le péril encouru par le troupeau . Sauf que ce troupeau n’est pas le sien mais le nôtre.
Il s’agit de notre bien commun : l’égalité sans distinction d’origine, de condition, de naissance, de croyance, d’apparence, de sexe, de genre…(…)
(…) « Selon nos informations, elle est totalement d’extrême droite » : le slogan choisi par l’équipe de Mediapart pour sa participation à la manifestation du samedi 16 avril contre le danger Le Pen résume notre avertissement. Ce choix n’est pas de préjugé ou d’intolérance, mais rationnel et informé, enquêté et documenté, comme on peut le vérifier en consultant les articles de notre dossier en accès libre. On y constatera la réalité vraie, violente et raciste, antisociale et antidémocratique, liberticide et antiféministe, cynique et amorale, du Rassemblement national derrière ses nouveaux atours. (…)
Le programme de Marine Le Pen fait ainsi de la « préférence nationale », rebaptisée « priorité nationale »,sa première ambition politique, au point d’envisager de vouloir exclure au plus vite tout binational de la fonction publique. Autrement dit d’installer une hiérarchie discriminatoire liée au hasard de la naissance qui, en essentialisant l’identité nationale, incite à faire le tri entre Français, les vrais et les faux, les bons et les mauvais. Et ainsi d’entraîner notre pays dans une perdition sans retour. (…)
Si l’on en doutait, pensant que cette folie était révolue avec les génocides du siècle passé, la banalisation pendant cette campagne du discours sur le « grand remplacement » et la « remigration » a prouvé le contraire : ce n’est rien d’autre qu’un appel à l’annihilation des musulmans de France. Du moins pour commencer, tant le racisme est une poupée gigogne qui emboîte nombre d’autres boucs émissaires sous la cible principale, comme le démontre la persistance de l’antisémitisme, voire sa renaissance avec la réhabilitation de Vichy et du maréchal Pétain ou le soupçon sur l’innocence du capitaine Dreyfus. (…)
Penseurs de la contre-révolution après 1789 et antidreyfusards antisémites de la fin du XIXe siècle, soutiens du fascisme italien et collaborateurs du nazisme allemand dans la première moitié du XXe siècle, idéologues de la torture coloniale et terroristes de l’OAS pendant la guerre d’Algérie, enfin Ordre nouveau puis le Front national sans oublier le laboratoire intellectuel de la Nouvelle Droite : Marine Le Pen est l’ultime avatar d’une sombre généalogie dont la France n’a pas encore réussi à se délivrer.
Se laisser duper par son récent déguisement en amie des chats, bonne copine et paisible jardinière, au point de faire entrer le loup néofasciste dans la bergerie démocratique, c’est accepter un point de non-retour. Croire qu’il y aura suffisamment d’anticorps, dans l’appareil d’État et dans la mobilisation de la société, pour l’en expulser au plus vite, c’est sous-estimer la force d’inertie de ce passé non soldé et toujours présent, sans compter l’exceptionnalité des institutions françaises qui font de la présidence, une fois conquise, une forteresse quasiment inexpugnable. (…)
Une semaine avant le premier tour, il (Macron) avait osé mettre à équivalence l’extrême droite (le « politiquement abject ») et l’antifascisme (le « politiquement correct »). Insulte à la mémoire des résistances, aussi bien au nazisme qu’au colonialisme, l’inculture historique redouble ici l’irresponsabilité démocratique.
Le barrage à l’extrême droite se fera donc malgré Emmanuel Macron et contre lui. (…)
Si celui-ci (le néo-fascisme) frappe aujourd’hui à la porte présidentielle, c’est bien parce que la fascisation n’a cessé de progresser sous cette présidence, laissant libre cours à la désignation de boucs émissaires plutôt que de rassembler autour des urgences écologiques, sociales et démocratiques. Est-il besoin de rappeler l’assidue fréquentation de Philippe de Villiers, butte témoin des droites identitaires, ou la sollicitude envers Éric Zemmour, propagandiste raciste avéré, sans parler de la complaisance des ministres pour CNews, chaîne télévisée de la haine raciste et xénophobe ?
Sans précédent par sa violence depuis la guerre d’Algérie, la répression des mouvements sociaux, notamment des « gilets jaunes » mais aussi de la jeunesse et des quartiers populaires, a remplacé l’État de droit par un État de police, brutalisant les libertés fondamentales. Les incessantes campagnes contre les épouvantails islamo-gauchistes et la complaisance pour les propagandistes médiatiques du racisme islamophobe ont enfanté d’une loi liberticide qui, au prétexte du « séparatisme » – vocable hier réservé aux communistes et aux anticolonialistes –, criminalise l’auto-organisation des discriminés.
À ces portes ouvertes à la haine ordinaire, largement documentée par Mediapart, la présidence Macron a ajouté une régression dans l’exigence démocratique, renonçant à la vertu républicaine et méprisant les contre-pouvoirs. (…)
Autant de faits qui incitaient à sanctionner Emmanuel Macron au premier tour. Et que l’on doit garder à l’esprit maintenant qu’il s’agit d’éviter une victoire de l’extrême droite au second tour. C’est donc dans la douleur que beaucoup d’entre nous, dimanche 24 avril, utiliseront le bulletin Macron pour voter contre Le Pen afin de conjurer cette catastrophe et l’effroi qui nous saisit face à son éventualité.
Il s’agira de voter contre elle et certainement pas pour lui. C’est un vote de raison, pas de passion. En matière électorale, l’émotion n’est pas bonne conseillère. Il ne manque pas d’exemples, à l’étranger ou dans le passé, pour nous rappeler que les urnes de la colère produisent des lendemains amers, de souffrance accrue et d’oppression aggravée.
Surtout, pensons à toutes celles et tous ceux qui seraient les premières victimes d’une présidence néofasciste – musulman·es, Arabes, Africain·es, immigré·es, Noir·es, réfugié·es, étrangères et étrangers, LGTBQI+, juifs, roms, etc. « L’extrême droite au pouvoir, c’est un point de non-retour », confie ainsi à Mediapart le rappeur Médine.
« Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste » : cette recommandation de Victor Hugo, dans ses Choses vues, rappelle que, pour le camp de l’émancipation, le choix électoral est entre le maintien d’un espace de conflit, d’opposition et de mobilisation, ou son éclipse brutale, dont le programme anticonstitutionnel de Marine Le Pen ne fait aucunement mystère. Mieux vaut poursuivre debout le combat contre une fascisation qui, hélas, gangrène droites et gauches de gouvernement que de prendre le risque de devoir combattre le fascisme à genoux. Comme entendu dans les manifestations du samedi 16 avril, « mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue ». (…)
Si, par malheur, l’extrême droite parvenait au pouvoir au soir du 24 avril, les premiers responsables seront ceux qui auront voté pour elle par conviction ou par complaisance, pensant qu’elle n’est pas un danger. Mais aussi ceux qui, depuis cinq ans, les ont encouragés en cédant du terrain à ses obsessions identitaires.
Sans compter ceux qui, à l’instar du président sortant et de ses soutiens, n’auront pas réussi à mobiliser l’électorat des oppositions de gauche, en ignorant leurs attentes et en méprisant leurs colères.