« En défense de la ZAD, résis­ter à Emma­nuel Macron et à son monde »

 

Cet article a été mis en ligne quelques heures avant que 2500 gendarmes et poli­ciers soient lancés contre quelques dizaines de zadistes.
Juppé restait « droit dans dans ses bottes » en 1995 avant de céder en partie. Un de ses amis est devenu Premier ministre
Macron montre qu’il aime faire cirer ses bottes de géné­ral d’opé­rette par ses grotesques larbins de classe supé­rieure. Il va pouvoir para­der pour réjouir l’ex­trême-droite, la droite et son fan-club de bour­geois, DRHs et édito­ria­listes merce­naires et autres, tous réunis.

Puis nous publions un appel venu de la zad, « seconde manche »

Rassem­ble­ment en réponse aux expul­sions à la ZAD de NDDL lundi 9 avril à 18h place du marché à Poitiers (côté terrasses) à l’ap­pel du Comité poite­vin contre l’aé­ro­port de NDDL et son monde

https://blogs.media­part.fr/les-invites-de-media­part/blog/080418/en-defense-de-la-zad-resis­ter-emma­nuel-macron-et-son-monde

(accès libre)

8 avr. 2018 Par Les invi­tés de Media­part Blog :

« L’opé­ra­tion poli­cière et mili­taire d’éva­cua­tion d’une partie des habi­tant·e·s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes devrait débu­ter dans les prochaines heures. En plein mouve­ment social, cette inter­ven­tion ne nous surprend pas. Nous sommes convain­cu·e·s que ces luttes – pour défendre la ZAD, la SNCF, des univer­si­tés réel­le­ment ouvertes ou des poli­tiques authen­tique­ment humaines d’hos­pi­ta­lité et d’ac­cueil des migrant·e·s – sont liées les unes aux autres, et qu’elles parti­cipent à un même mouve­ment.

L’opé­ra­tion poli­cière et mili­taire d’éva­cua­tion d’une partie des habi­tant·e·s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes appa­raît comme de plus en plus probable, et devrait débu­ter dans les prochaines heures. La première victoire histo­rique de la lutte contre l’aé­ro­port, dont le gouver­ne­ment a été contraint de pronon­cer l’aban­don le 17 janvier dernier, a ouvert une nouvelle phase dans la lutte autour de l’enjeu de l’ave­nir de la ZAD. Depuis, Emma­nuel Macron, Édouard Philippe et Gérard Collomb semblent déter­mi­nés à clore l’his­toire de ce terri­toire en lutte. Pour cela, le gouver­ne­ment a d’abord joué (et conti­nuer de jouer) la divi­sion, en tentant de faire passer l’idée que certain·e·s occu­pant·e·s n’au­raient aucune légi­ti­mité à rester sur un terri­toire qu’ils et elles ont pour­tant direc­te­ment contri­bué à proté­ger du béton et des avions.

Depuis 2013, le mouve­ment dans son ensemble affirme sa volonté de gérer collec­ti­ve­ment les terres de la ZAD, ce que lui refuse aujourd’­hui le gouver­ne­ment, qui menace désor­mais de l’ex­pul­ser, avec un empres­se­ment que rien ne justi­fie. Face à ce risque d’ex­pul­sions, nous réaf­fir­mons notre soli­da­rité sans faille avec l’en­semble des habi­tant·e·s de la ZAD, quel que soit leur statut, quelle que soit leur habi­ta­tion, qu’ils et elles aient un titre de propriété ou non, etc.

Le choix du gouver­ne­ment de procé­der à l’opé­ra­tion d’éva­cua­tion en plein mouve­ment social – à la SNCF, dans la fonc­tion publique ou dans les univer­si­tés (sans comp­ter les multiples autres mobi­li­sa­tions en cours) – ne nous surprend pas. Une opéra­tion d’éva­cua­tion renfor­cera bien sûr le rejet de plus en plus fort et partagé des poli­tiques d’Em­ma­nuel Macron. Mais le gouver­ne­ment fait sans doute le pari qu’il parvien­dra à utili­ser la multi­pli­ca­tion des fronts pour divi­ser les mobi­li­sa­tions en cours.

Nous devons donc de notre côté construire des alliances toujours plus fortes et nous oppo­ser à cette opéra­tion mili­taire aber­rante, qui mobi­lise au moins 2 500 mili­taires et 1 500 poli­cier·e·s pour évacuer violem­ment une zone où se construisent des modes de vies rési­lients et durables.

Nous sommes convain­cu·e·s que ces luttes – pour défendre la ZAD, la SNCF, des univer­si­tés réel­le­ment ouvertes ou des poli­tiques authen­tique­ment humaines d’hos­pi­ta­lité et d’ac­cueil des migrant·e·s – sont liées les unes aux autres, et qu’elles parti­cipent à un même mouve­ment. Parmi les nombreuses choses que nous pouvons apprendre de la lutte contre l’aé­ro­port de Notre-Dame-des-Landes et son monde, la diver­sité des stra­té­gies, des approches et des alliances déployées sur place qui ont permis d’ins­crire l’oc­cu­pa­tion dans la durée nous appa­raît déci­sive. Plus encore, les récents exemples de soli­da­rité concrète et active d’ha­bi­tant·e·s de la ZAD avec les acteurs et actrices des luttes du terri­toire nantais consti­tuent un exemple fort et concret de conver­gence des luttes.

Au-delà, ce qui se joue dans la geste that­ché­rienne d’Em­ma­nuel Macron est large­ment commun, que l’on soit habi­tant·e· de la ZAD, chemi­not·e à la SNCF, fonc­tion­naire menacé par les suppres­sions de poste, étudiant·e écra­sé·e par l’aban­don de l’uni­ver­sité ou lycéen·ne aban­don­né·e à l’ab­surde bruta­lité de Parcour­sup ou que l’on résiste à l’in­hu­ma­nité meur­trière des poli­tiques migra­toires française et euro­péenne. Ce que partagent ces luttes va bien au-delà des inven­tions tactiques (qu’illustre la crainte ouver­te­ment expri­mée par des prési­dent·e·s d’uni­ver­sité de voir s’ou­vrir des « ZAD univer­si­taires »). Emma­nuel Macron et son gouver­ne­ment ont engagé l’ul­time étape de la destruc­tion méca­nique et systé­ma­tique des services publics (et de leurs agent·e·s). Le cycle brutal de « réformes » libé­ra­li­sant ces services, qui ne fait que débu­ter, doit évidem­ment ouvrir la voie à leur priva­ti­sa­tion. Pour pouvoir mener à bien leur projet, le gouver­ne­ment cible en prio­rité les secteurs les plus à même de consti­tuer de durables poches de résis­tance.

Autour de la Zad, grâce au travail de ses habi­tant·e·s et de ses rive­rain·e·s, nous avons su mener une lutte de près de cinquante ans contre l’aé­ro­port et son monde – un slogan que les habi­tant·e·s de la ZAD ont rendu concret, par leur capa­cité à créer des liens avec d’autres résis­tances contre d’autres infra­struc­tures, ou en trans­for­mant ces quelques hectares de bocage en un espace d’ac­cueil, d’ex­pé­ri­men­ta­tion et de rési­lience. Nous devons aujourd’­hui parve­nir à défendre la ZAD, de la même manière que nous devons parve­nir à défendre la SNCF, l’uni­ver­sité et l’en­semble des services publics contre Emma­nuel Macron et contre son monde – de libé­ra­li­sa­tion, de marchan­di­sa­tion, de priva­ti­sa­tion et de béto­ni­sa­tion.

Nous le ferons, concrè­te­ment, en répon­dant aux appels à soutien lancés par les habi­tant·e·s de la ZAD, aux appels à se rendre sur place ou à rejoindre les rassem­ble­ments locaux en cas d’ex­pul­sion, et en veillant à ce que nos autres mobi­li­sa­tions se construisent aussi au nom de la défense de ce terri­toire emblé­ma­tique de ce que nos diri­geant·e·s ne peuvent tolé­rer. »

Parmi le 100 premier·e·s signa­taires, je souligne:

Julien Bayou, porte-parole natio­nal EELV
Nicole Benyounes, Fonda­tion Coper­nic
Éric Beynel, porte parole de l’Union syndi­cale Soli­daires
Le Comité Vérité et Justice pour Adama
Char­lotte Girard, cores­pon­sable du programme de la France insou­mise
Frédé­ric Lordon, cher­cheur CNRS
Pierre Khalfa, écono­miste, Fonda­tion Coper­nic
Chris­tine Poupin, porte-parole du NPA
La revue Vacarme

Vincent Char­bon­nier, philo­sophe, syndi­ca­liste (SNESUP-FSU); Denis Char­tier, géographe;Johan Chau­mette, ensei­gnant;Bernard Coadou, méde­cin;
Gene­viève Coif­fard, mili­tante du mouve­ment contre l’aé­ro­port de Notre Dame des Landes et pour la défense de la ZAD
Maxime Combes, mili­tant alter­mon­dia­liste; Philippe Corcuff, maître de confé­rences de science poli­tique à l’IEP de Lyon; Pierre Cours-Salies, profes­seur émérite socio­logue Paris-VIII; Thomas Coutrot, écono­miste; Laurence De Cock, histo­rienne; Chris­tian Dela­rue, mili­tant alter­mon­dia­liste, membre du CADTM; Chris­tine Delphy, socio­logue fémi­niste

Isabelle Garo, philo­sophe; Nacira Guénif, socio­logue, anthro­po­logue, univer­sité Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis, soutien aux exilé·e·s occu­pant Paris-VIII; Michael Löwy, socio­logue;
Pascal Maillard, univer­si­taire, secré­taire natio­nal SNESUP-FSU; Gustave Massiah, membre Cede­tim/Ipam;Thibaut Menoux, MCF univer­sité de Nantes; Corinne Morel-Darleux , conseillère régio­nale, Parti de gauche;Bernard Mounier, président Eau bien commun PACA; Olivier Neveux, univer­si­taire;Frédé­ric Neyrat, philo­sophe;

Ugo Palheta, socio­logue; Annie Pourre, mili­tante asso­cia­tive; Serge Quadrup­pani, écri­vain; Matthieu Renault, univer­sité Paris-VIII; Kris­tin Ross, écri­vain; Danielle Simon­net, conseillère de Paris
Omar Slaouti, mili­tant anti­ra­ciste; Auré­lie Trouvé, mili­tante alter­mon­dia­liste
Enzo Traverso, histo­rien, Sophie Wahnich, direc­trice de recherche CNRS,Maud Youloun­tas, cinéaste, photo­graphe, Yannis Youloun­tas, réali­sa­teur, écri­vain

<em>Et puis cette analyse et appel à l’ac­tion venue de la ZAD:

un point de vue collec­tif sur la situa­tion
// ZAD – seconde manche

Cela fait cinq ans que nous nous y prépa­rions, tout en ayant toujours fait jusque là en sorte que cela ne puisse jamais arri­ver. Mais nous sommes main­te­nant à l’aube d’une nouvelle grande opéra­tion poli­cière dont on ne connaît encore ni l’am­pleur ni la durée. L’Etat devait prendre sa revanche, il devait y avoir une seconde manche. Partout dans ce pays, des personnes venues ici un jour se demandent jusqu’où Macron ira pour mettre fin à l’une des plus belles aven­tures poli­tiques collec­tives de la décen­nie passée, et la possi­bi­lité d’es­pace où se cherchent d’autres formes de vie. Alors que des barri­cades se forment de nouveau sur les routes du bocage, chacun ici s’étreint et se demande ce
qui exis­tera encore demain de tout ce qui a consti­tué le coeur vibrant de nos exis­tences jour après jour. Ce que nos étreintes disent surtout ce soir, c’est que 5 ans après César, il nous faudra affron­ter l’in­va­sion, tenir bon coûte que coûte et s’as­su­rer de nouveau que l’ave­nir reste ouvert.

Nous venons de vivre après l’aban­don une période tumul­tueuse avec denom­breuses tensions, des tenta­tions aux replis dans ses prés carrés, quand ce n’était pas tout simple­ment au renon­ce­ment. Mais cette période a aussi été marquée pour beau­coup d’entre nous par la recherche conti­nue de ce qui pour­rait toujours dessi­ner une voie commune. Il a été parfois
assez affli­geant dans ces dernières semaines de voir à quel point un même récit binaire et dépres­sif a pu se répandre. En cette heure de vérité, nous préfé­rons reve­nir pour notre part sur ce qui nous semble toujours permettre aujourd’­hui de penser cette voie commune. Avant que la tempête ne vienne souf­fler de nouveau par ici, ces lignes sont par là une manière de trans­mettre pourquoi il demeure selon nous vital de conti­nuer à défendre la zad. Sur le terrain et là où chacun.e sera dans les prochains jours. Dans les prochains mois aussi, car César 2 ne vien­dra sûre­ment pas à bout de ce que l’on porte ici.

Ce que négo­cier ne veut pas dire

Le mouve­ment a bien décidé après l’aban­don d’en­trer en dialogue avec le gouver­ne­ment pour tenter d’y négo­cier sa vision de l’ave­nir de la zad.
Cette séquence nous a forcé à nous confron­ter à de nouveaux enjeux. Nous nous y sentions guidés par des objec­tifs à la fois clairs et extrê­me­ment complexes. Neutra­li­ser au mieux la néces­sité quasi-abso­lue pour l’Etat de se venger de la zad par une opéra­tion d‘ex­pul­sion et donc main­te­nir les habi­tant.e.s de ce terri­toire dans leur diver­sité. Garder le plus possible des marges d’au­to­no­mie qui ont forgé le sens propre à cette expé­rience, tout en trou­vant les moyens d’une stabi­lité dési­rée par
nombre des personnes se proje­tant ici. Main­te­nir et ampli­fier la prise en charge collec­tive des terres de la zad et son lien à d’autres résis­tances en cours. Dans cette période, il n’y a jamais eu pour nous de choix à faire entre négo­cier OU lutter.
Nous n’avons jamais fait le pari que nous obtien­drions d’em­blée, dans des bureaux, ce que nous souhai­tions. La négo­cia­tion n’est qu’un des leviers que le mouve­ment a décidé de se donner après l’aban­don, en s’ap­puyant sur un rapport de forces issu d’an­nées de résis­tance. Et ce sont bien toujours les mêmes forces ici, depuis cette pers­pec­tive, qui vont penser une négo­cia­tion offen­sive et orga­ni­ser en paral­lèle un rassem­ble­ment devant la préfec­ture quand les réponses portées par l’Etat sont insa­tis­fai­santes.
Ce sont les mêmes forces qui au cours des dernières semaines ont mené un combat juri­dique et poli­tique contre toutes les expul­sions, orga­nisé une mani­fes­ta­tion à Nantes à ce sujet avec les collec­tifs de réfu­gié.e.s et mal-logé.e.s, ou qui s’en­ga­ge­ront dans la résis­tance physique sur le terrain lorsqu’ils vien­dront tenter d’ex­pul­ser des lieux.

Cela n’était pas évident pour les occu­pant.e.s de se lancer dans le pari de la négo­cia­tion avec la peur de perdre au passage le tran­chant de la zad. Ce n’était pas plus évident pour d’autres compo­santes de pour­suivre la lutte et de remettre le sort de la période post-aban­don avec l’en­semble de déci­sions urgentes qu’elle néces­si­te­rait entre les mains d’as­sem­blées larges et hété­ro­gènes. Ce sont ces prises de risques et dépas­se­ments mutuels qui comme toujours, ont permis de conti­nuer à avan­cer ensemble plutôt que de déser­ter ou de s’iso­ler. En l’oc­cu­rence, nous croyons ferme­ment qu’il était néces­saire de faire cette tenta­tive là à ce moment là pour pouvoir conti­nuer aussi à aller au-delà, à chaque fois que la négo­cia­tion montre­rait ses limites.

La capa­cité de compo­si­tion du mouve­ment anti-aéro­port a été des années durant un cauche­mar pour le gouver­ne­ment, il lui était extrê­ment désa­gréable d’ima­gi­ner qu’elle puisse perdu­rer au-delà de l’aban­don. Au démar­rage de ces négo­cia­tions, un des objec­tifs premier du gouver­ne­ment était donc clai­re­ment de faire explo­ser notre choix de délé­ga­tion commune. Il lui fallait aussi entra­ver sa volonté de porter de manière trans­ver­sale les enjeux pour l’ave­nir : du refus des expul­sions à la
prise en charge collec­tive des terres par le mouve­ment, d’une oppo­si­tion ferme au retour à la gestion agri­cole clas­sique en passant par la ques­tion de l’am­nis­tie. La préfec­ture a donc tenté de trier ses inter­lo­cu­teur.rice.s parmi nous et de les convoquer un à un dans un comité de pilo­tage stric­te­ment agri­cole. Ça a débattu sec à ce sujet dans chaque compo­sante et dans les assem­blées. On ne saurait négli­ger la force de ces appâts et l’éner­gie que la préfec­ture a mise pour ne pas se
voir oppo­ser de refus. Notre cadre lente­ment élaboré a failli explo­ser brusque­ment en vol, mais la manoeuvre a échoué. L’Acipa a décliné l’in­vi­ta­tion de la préfète tandis que la Confé­dé­ra­tion paysanne appe­lait au rassem­ble­ment orga­nisé devant le comité de pilo­tage et déci­dait de porter à l’in­té­rieur le message du mouve­ment. La délé­ga­tion commune a tenu. La préfec­ture a dû immé­dia­te­ment reve­nir sur ses posi­tions et accep­ter de la rece­voir de nouveau. Le main­tien des seules acti­vi­tés agri­coles s’est trans­formé en « para-agri­cole au sens large », et il est d’ores et déjà quasi acquis que plusieurs centaines d’hec­tares des terres sauvées et entre­te­nues collec­ti­ve­ment, en plus de celles des histo­riques, devraient rester dédiées à des projets liés au mouve­ment.
C’est une première étape consi­dé­rable, qui ne résoud pas pour autant le sort du combat lié aux habi­tats et la néces­sité d’obte­nir une priser en charge collec­tive du foncier dès cette phase de tran­si­tion pour mieux la pérén­ni­ser par la suite.

Résis­ter au tri

Dans cette première phase de négo­cia­tion, la préfec­ture annonçait sa volonté de faire le tri selon des critères inac­cep­tables et a mis en demeure ceux qui voulaient avoir une chance de rester de lui faire une demande de conven­tion indi­vi­duelle et de s’ins­crire au plus vite à la MSA. Certain.e.s, inca­pables de scru­ter l’ho­ri­zon autre­ment qu’a­vec des sché­mas préconçus et la passion de la défaite, ont aussi­tôt auguré des trahi­sons des uns qui se feraient forcé­ment leur place au soleil aux dépends des autres. Il était effec­ti­ve­ment on ne peut plus facile de se sauver indi­vi­duel­le­ment à n’im­porte quel moment au cours des semaines dernières avec quelques simples petits cour­riers et démarches admi­nis­tra­tives. La préfec­ture n’at­ten­dait que ça. Mais la réalité,c’est que malgré les pres­sions, personne n’est tombé dans ce piège.
Personne n’a renvoyé de dossier pour passer de manière sépa­rée à l’exa­men sélec­tif : nous n’avons pas accepté de nous trier nous-mêmes.

Il y a eu au contraire un refus poli­tique et concret de ces injonc­tions et le main­tien de la reven­di­ca­tion et de la recherche d’un cadre collec­tif protec­teur pour tou.te.s, entre autres une conven­tion globale sur les terres du mouve­ment. C’est bien cette soli­da­rité réelle qui coince la préfec­ture aujourd’­hui à au moins deux niveaux : pour pour­suivre la négo­cia­tion dans le sens qu’elle souhai­tait initia­le­ment impo­ser, et pour légi­ti­mer son opéra­tion d’ex­pul­sion sélec­tive.

On entend néan­moins dans ce contexte toujours beau­coup parler de « radi­caux » ou d’ « irré­duc­tibles » d’un côté et de lâcheurs impa­tients de négo­cier ou de paysans prompts à se norma­li­ser de l’autre. Il est remarquable, là aussi, de voir à quel point cette fiction plaît autant aux médias domi­nants, à la préfec­ture qu’aux prédi­ca­teurs de la bonne morale d’une radi­ca­lité fantas­mée. Mais, pour la plupart des habi­tant.e.s qui ont défendu la zad, cultivé et vécu dans ce bocage au cours de ces dernières années, ce clivage n’est qu’une fiction. Parmi celles et ceux qui tiennent à une ligne commune dans le mouve­ment par la négo­cia­tion ET la lutte, parmi celles et ceux qui veulent rester ici et réel­le­ment main­te­nir la zad en tant qu’es­pace partagé, il y a d’ailleurs des personnes et bandes issues de chaque compo­sante : des paysan.ne.s,de jeunes et de plus vieux squat­ters, des « histo­riques », des adhé­rent.e.s de l’Acipa, des voisin.e.s, des natu­ra­listes, des cama­rades syndi­ca­listes, des passioné.e.s de sentiers, des mili­tant.e.s de la Coor­di­na­tion… Dans l’op­tique que la zad conti­nue à se déployer, l’idée
que tout devrait être légal ou tout rester illé­gal sont les deux faces d’une même (mauvaise) pièce. Elles relèvent de féti­chismes idéo­lo­giques aussi stériles l’un que l’autre pour pour­suivre des luttes sur le terrain. Les personnes qui ont réel­le­ment parti­cipé au déploie­ment du mouve­ment ces dernières années, plutôt que de se conten­ter de le commen­ter sur inter­net le savent bien : ces visions univoques « léga­listes » ou « illé­ga­listes », « violentes » ou « non-violentes »
n’ont jamais corres­pondu à ce qui a fait notre force effec­tive et nous a permis de faire plier l’Etat
. Elles ne sont pas plus adap­tées aujourd’­hui à répondre aux hori­zons des un.e.s et des autres et aux objec­tifs que l’on s’est donné avec les « 6 points ».

Il ne s’est jamais agi pour nous d’en­trer tête bais­sée dans la norma­li­sa­tion, mais bien de déter­mi­ner ce qui nous permet­trait de garder concrè­te­ment, dans cette recon­fi­gu­ra­tion de la situa­tion l’en­semble des lieux de vie et des acti­vi­tés. Il faut pour cela déter­mi­ner pas à pas ce qui sera le mieux à même de préser­ver des marges d’au­to­no­mie et d’ap­pui pour ne juste­ment pas devoir finir par se soumettre isolé­ment à l’en­semble des carcans impo­sés par les formes de produc­tion marchande et
indus­trielle. Il s’agit ici de pratiques bien réelles dans un rapport de force concret avec un ennemi puis­sant, et non pas de vues de l’es­prit sur un monde idéal. On peut faire confiance à l’at­ta­che­ment que nous portons au sens trouvé depuis des années dans la réin­ven­tion libre du rapport à ce que nous produi­sons pour ne pas le lâcher comme ça.

Trêve de mytho­lo­gie routière

Pour avoir pris part pendant des semaines à la résis­tance physique à l’opé­ra­tion César en 2012, nous savons que l’ef­fi­ca­cité de la défense de la zad n’a jamais tenu centra­le­ment à une route d281 barri­ca­dée par un groupe isolé, encore moins à l’obs­ses­sion nostal­gique pour ce dispo­si­tif hors d’une période d’at­taque. Mais, elle a toujours consisté pour nous
dans la possi­bi­lité le moment venu de bloquer les diffé­rents accès stra­té­giques et de tenir le terrain dans des moda­li­tés très diffé­rentes, avec un ensemble varié de soutiens sur la zone et en dehors. C’est malheu­reu­se­ment cette possi­bi­lité de résis­tance large que la cris­pa­tion de ces dernières semaines sur la route a entre autre risqué de mettre à mal.

Nous avons tenté pendant des mois de ne lais­ser aucun ouver­ture poli­tique à l’Etat pour expul­ser qui que ce soit. Ce pari remporté maintes fois dans les dernières années était encore selon nous abso­lu­ment tenable après l’aban­don, malgré les menaces du Premier ministre. La préfec­ture avait besoin pour concré­ti­ser ces menaces d’une histoire adap­tée. Il lui fallait des personnes qui puissent incar­ner les fameux « ultra-radi­caux » dans la posture la plus cari­ca­tu­rale qui soit.
Certains ont endossé brilla­ment le rôle attendu, notam­ment sur laques­tion de la route d281, en rédui­sant les enjeux de la lutte à une histoire qui deve­nait de plus en plus incom­pré­hen­sible pour la très grande majo­rité de celles et ceux avec qui ils s’étaient battus, pour leurs voisin.e.s et en règle géné­rale pour la plupart des gens qui voyaient ça de près ou de loin. En bloquant une première fois les travaux, quelques personnes – que l’on ne saurait confondre avec les habi­tant.e.s proches de la route – ont justi­fié la présence poli­cière que nous avons subie des semaines durant et leur a permis de reprendre
pied sur le terrain. La destruc­tion de quelques pans de bitumes à la fin des travaux, alors que la police pouvait se reti­rer, la situa­tion se clari­fier et que nous pouvions espé­rer retrou­ver une force commune, a réussi d’un coup à déses­pé­rer pour un temps au moins une bonne partie de celles et ceux qui conti­nuaient à porter un soutien sans faille face aux menaces d’ex­pul­sions. Le Conseil géné­ral refu­sant d’ou­vrir la route dans ces condi­tions, les expul­sions en ques­tion deve­naient alors quasi inéluc­tables et trou­vaient une justi­fi­ca­tion majeure.

Faire front quoi qu’il en soit

La force de cette lutte a constam­ment été d’al­ler à contre-courant autant des évidences du ghetto iden­ti­taire qui se dit « radi­cal » que de celles du mili­tan­tisme citoyen clas­sique. Elle a souvent heurté à ce
titre celles et ceux qui s’en­fer­maient dans l’une ou l’autre de ces pola­ri­sa­tions et forcé à des boule­ver­se­ment ceux qui voulaient l’ac­com­pa­gner. Elle y a trouvé sa propre voie et posé les bases d’un front unique tout à la fois ancré, offen­sif et popu­laire. Ce simple fait a été pour beau­coup d’entre nous un événe­ment poli­tique renver­sant et le moteur d’une défaite histo­rique de l’Etat. Il n’est cepen­dant pas éton­nant que l’avè­ne­ment d’une autre phase amène à des ques­tion­ne­ments
inédits, à de nouveaux espoirs mais aussi à des sclé­roses idéo­lo­giques.
La séquence qui suit la victoire est bien un moment de vérité où se dévoile la consé­quence réelle des un.e.s et des autres. Dans cette phase tendue, il y a bien eu typique­ment deux manières se répon­dant l’une l’autre de sabo­ter nos enga­ge­ments communs et le mouve­ment : bloquer les travaux sur la route OU se disso­cier publique­ment d’un rassem­ble­ment orga­nisé par le mouve­ment devant le comité de pilo­tage pour soute­nir la délé­ga­tion inter­com­po­sante. La triste vérité, c’est d’un côté que
certain.e.s ont préféré fragi­li­ser l’édi­fice commun en se recroque­villant sur des obses­sions indé­fen­dables pour le reste du
mouve­ment et que d’autres ont été tout aussi prompts à en oublier les lignes communes face aux pres­sions du gouver­ne­ment.

Certain.e.s se sont employés brilla­ment à justi­fier une expul­sion partielle et à mettre ceux qui seraient alors ciblés dans la posi­tion la plus isolée possible. D’autres sont demeu­rés quasi-muets à l’ap­proche de l’opé­ra­tion d’ex­pul­sion. On pour­rait s’en tenir à ces constats amers et les ressas­ser indé­fi­ni­ment. Mais une autre vérité beau­coup plus lumi­neuse c’est que jusqu’ici et malgré tout, la plupart des personnes, toutes compo­santes confon­dues, qui ont formé au cours des années la commu­nauté de base de ce combat, qui ont bravé les dangers et les épreuves ensemble, sont restées fidèles aux promesses qu’elles se sont faites.
C’est bien cette vérité là à laquelle il faut conti­nuer à s’ac­cro­cher si nous ne voulons pas périr des prophé­ties auto-réali­sa­trices sur la chute inéluc­table des espaces d’au­to­no­mie et des aven­tures collec­tives.

Malgré les ressacs qui ont sans nul doute affai­bli le mouve­ment et sa lisi­bi­lité au cours des dernières semaines, il n’est pas ques­tion de lais­ser le gouver­ne­ment procé­der à des expul­sions ici sans combattre.
Quels que soient les pièges dans lesquels nous avons pu tomber un temps, l’as­sise réelle de la zad et les espoirs qu’elle conti­nue à susci­ter ne se sont pas désa­gré­gés en quelques semaines sous les lamen­ta­tions. On le sent dans les forces qui se remo­bi­lisent à la veille de l’opé­ra­tion, dans celles et ceux qui doutaient peut-être mais qui passent un coup de
fil et prennent immé­dia­te­ment la route, dans les assem­blées de dernière minute, dans les barri­cades de toutes sortes qui s’érigent face aux forces armées de l’Etat et face à l’his­toire que celui-ci s’ap­prête à
racon­ter…

Nous allons devoir traver­ser une épreuve violente qui pourra aussi bien rebattre toutes les cartes. Mais nous ne doutons pas que la zad survi­vra à César 2. Ce que nous conti­nue­rons à y porter ne sera pas une vitri­neal­ter­na­tive docile ni un ghetto radi­cal. Mais bien toujours un grenier des luttes et un bien commun des résis­tances, un espace où habitent et
se croisent des personnes aussi diverses qu’i­nat­ten­dues, un terri­toire qui donne envie de s’or­ga­ni­ser sérieu­se­ment, de vivre à plein, un chan­tier perma­nent pour des construc­tions merveilleuses et des rêves éveillés. Nous avons toujours autant besoin de lieux où le fait de ne pas s’en remettre à l’éco­no­mie et la gestion insti­tu­tion­nelle soit très visi­ble­ment dési­rable et possible. Et nous avons besoin que ces lieux durent, quitte à assu­mer leur part d’im­pu­re­tés et d’hy­bri­da­tions.
Parce que les espaces qui nous excitent le plus obligent à compo­ser et à remettre nos prêts-à-porter poli­tiques en ques­tion. Nous croyons que, dans le fond, c’est bien ça dans la zad qui conti­nuera à mouvoir des dizaines de milliers de personnes à travers le pays.

Et main­te­nant il nous faut faire front !</strong

Des voix communes

Suivez la seconde manche sur zad.nadir.org

marquer comme non lu

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.