https://blogs.mediapart.fr/anthony-smith-depute-europeen-lfi/blog/161124/en-france-et-en-europe-combattre-les-puissants-pour-lutter-contre-la-mort-au
En France et en Europe, combattre les puissants pour lutter contre la mort au travail
Alors que chaque jour en Europe neuf salariés meurent au travail – dont trois en France – nous organisons avec ma collègue Marina Mesure et mon groupe « The Left – la Gauche au Parlement européen » une grande initiative européenne contre la mort au travail, qui sera diffusée en direct.
En France et en Europe : combattre les puissants pour lutter contre la mort au travail !
En Europe, chaque jour 9 salariés meurent au travail, près de 3 millions de travailleurs sont victimes d’accidents du travail et chaque année, 200 000 travailleurs meurent de maladies professionnelles.
La France fait d’ailleurs partie des champions européens où l’on meurt le plus au travail avec 3,32 accidents mortels pour 100 000 personnes en activité (données Eurostat 2021). Deux morts par jour et près de 600 000 accidents du travail par an !
Cette hécatombe reste invisibilisée et largement mésestimée. Les accidents du travail sont massivement sous-déclarés (par exemple pour les travailleurs ubérisés sous statut d’auto-entrepreneurs, pour les travailleurs mobiles d’un État à l’autre dans les chantiers du bâtiment etc.)
Dans ce contexte l’Europe des Macron et des Von Der Leyen est une Europe au service quasi exclusif des intérêts des patrons et des puissants, pour qui les « normes » sociales ne sont que des « contraintes » dont il faudrait s’extraire au motif d’une sacro-sainte compétitivité dégagée de tout carcan. Le patronat français à travers le très réactionnaire MEDEF ne s’y est pas trompé, revendiquant lors de la dernière campagne des élections européennes l’élaboration d’un « plan global d’allégement des règlementations applicables aux entreprises ».
L’Union européenne au service du seul capital
Ces constats sont révoltants. C’est pourquoi, lors de la campagne des élections européennes 2024, alors candidat sur la liste de la France insoumise – Union populaire, je m’étais engagé à porter une fois élu la perspective d’une directive européenne « zéro morts au travail ». Avec ma camarade et collègue Marina Mesure, qui avait déjà organisé des initiatives en ce sens, nous passons aux actes en coorganisant les 18 et 19 novembre prochain une grande initiative européenne, soutenue par notre groupe « The Left – la Gauche au Parlement européen ». Nous allons réunir des associations, syndicats, inspecteurs du travail, élu-es engagés sur ces questions, pour que cesse l’hécatombe des morts au travail. Cela afin d’aboutir dans les prochains mois à la construction d’une directive européenne afin de protéger les travailleurs victimes d’accidents et leurs familles souvent seuls face aux institutions : droit d’être informé sur les procédures, droit à une indemnisation réelle des préjudices, pénalisation plus forte des patrons délinquants et criminels, véritable prévention des risques professionnels, renforcement des services d’inspection du travail, de la médecine du travail etc.
Et c’est peu dire que la tâche est immense tant l’Union européenne se révèle quasi inexistante sur le sujet des morts au travail.
Évidemment les textes de l’Union européenne rappellent des principes essentiels qui s’avèrent comme des droits formels bien plus que réels. C’est le cas par exemple de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux qui affirme que « Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. ».
Mais, dans la réalité du fonctionnement de l’Union la « question sociale », la question des droits des travailleurs et des moyens de les garantir reste largement sous-traitée voir absente de nombreux textes.
Le cadre stratégique de l’Union européenne en matière de santé et de sécurité pour la période 2021–2027 ne traite que marginalement de l’inspection du travail et des moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour pouvoir, sur le terrain, s’assurer de l’application et de l’effectivité des mesures décidées notamment pour lutter contre les morts au travail.
Il en va de même avec la « vision zéro » issue de la résolution du Parlement européen du 17 décembre 2020 appelant les États membres à s’engager à éliminer les décès liés au travail et à réduire les maladies professionnelles d’ici à 2030. Cet objectif est à l’heure actuelle inatteignable du fait de l’inaction, et ne pourra être atteint.
Le gouvernement Macron, complice de la mort au travail
Mais l’Europe n’est pas la seule responsable. Macron et ses gouvernements successifs ont alimenté les poncifs autour des accidents du travail qui, dans la « start-up nation » seraient « la faute à pas de chance » ou pire, la faute des victimes elles-mêmes ! Ces gouvernements qui continuent de fermer les yeux sur ces drames qui, derrière les murs clos des entreprises, ne troublent pas « l’ordre public » et l’accumulation capitaliste.
Il y aurait pourtant lieu d’agir, notamment en renforçant les moyens d’une inspection du travail exsangue après plus d’une décennie de casse systémique – il reste moins de 1800 inspectrices et inspecteurs sur le terrain pour plus de 20 millions de salariés du secteur privé à protéger et près de 2 millions d’établissements soumis au contrôle – en renforçant les moyens juridiques (pénalisation des principes de préventions des articles L.4121–1 du Code du travail, création toujours dans le Code du travail d’un crime d’homicide au travail), renforcement des moyens de prévention à travers, notamment la formation à la sécurité (et notamment l’abrogation du décret Hollande de 2015 qui a limité les possibilités de contrôle, par l’inspection du travail, des équipements de travail utilisés par de jeunes mineurs en entreprise).
À l’inverse, au lieu d’agir, les gouvernements de Macron, se dissimulant derrière de prudes campagnes de communication sur les accidents du travail, ont dans les faits massivement déréglementer le travail avec comme seule boussole une diminution du niveau de protection collective des salariés, alors même qu’en matière de droit du travail, les normes (le Code du travail, les conventions et accords collectifs, l’Organisation Internationale du Travail) sont à l’inverse là pour protéger la « partie faible » du contrat : le salarié soumis au sacro-saint lien de subordination.
Ces politiques se sont incarnées évidemment avec les ordonnances de 2017 qui, dans leur sillage, ont attaqué la justice prud’homale via l’inique « barémisation » des indemnités prud’homales qui ne correspondait, ni plus ni moins, qu’à la création d’un permis de licencier abusivement. Cette mesure a donné un signal clair au patronat du pays : vous êtes les maîtres de vos entreprises et rien ne doit vous entraver. Avec ce brevet de servage, la logique de préservation de la santé de la sécurité et des conditions de travail – déjà difficile à faire entendre au patronat- s’est trouvée reléguée.
Mais pire, la suppression des CHSCT, les Comités d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail, est venue parachever cette offensive réactionnaire. Les CHSCT étaient issus d’une lente construction issue de l’après-guerre jusqu’à la Loi Auroux du 23 décembre 1982 qui les avait « sacralisés ». La création des CSE, les Comités Sociaux et Économiques, a eu pour effet direct de supprimer dans toutes les entreprises et établissements de 50 à 299 les CHSCT. Ces derniers n’étant « compensés » (que partiellement) dans les établissements de plus de 300 salariés par des Commissions Spécialisées en Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT).
Sur le terrain les inspectrices et inspecteurs du travail ne peuvent d’ailleurs que constater les effets de ces mesures sur la hausse des accidents du travail en entreprise.
Mais les ordonnances Macron ne sont que la partie visible d’un iceberg bien plus grand. Les attaques n’ont pour ainsi dire jamais cessé depuis 8 ans (et elles avaient commencé bien avant sous le mandat de Hollande dont la loi El Khomri de 2016). Ainsi l’ex-ministre du Travail Catherine Vautrin s’est fait le relais de l’action des lobbies patronaux pour, le 9 juillet dernier, faire publier au Journal officiel un décret permettant aux employeurs de suspendre, de leur seule initiative, le repos hebdomadaire des travailleurs pour certains travaux, dont les vendanges !
Cette attaque contre le droit au repos fruit de tant de luttes du mouvement ouvrier incarne à elle seule le fonds de commerce du macronisme : agir jusqu’au bout pour supprimer toutes les protections conquises par les travailleurs et leurs organisations au cours du XXe siècle.
Les arrêter, tout reconstruire, créer de nouveaux droits, protéger réellement celles et ceux, travailleuses et travailleurs dont le labeur abîme les corps et les esprits, parfois jusqu’à la mort. Voilà l’un des enjeux des prochaines années. Luttons pour que notre initiative, à sa mesure, permette d’y aider.
Vous pouvez suivre cette initiative https://left.eu/events/stop-death-at-work/